Je me suis levé à 7h ce matin (hier) et je suis sorti de chez moi pour essayer de trouver à manger pour ma famille. J'ai tourné pendant deux heures pour pouvoir trouver du pain et du lait pour mon fils, âgé de 4 mois. En vain. Je suis allé ensuite dans l'un des hôpitaux dans lesquels je travaille. Pas une voiture à l'horizon, tout paraît calme et désert.
Je suis anesthésiste. Nous ne sommes plus très nombreux à Alep-Est, et je dois me rendre tous les jours d'un hôpital à un autre, sous une pluie de bombes, tellement nous recevons de victimes. Parfois, il se passe des jours entiers sans que je puisse voir mon épouse et mon fils. Le travail m'accapare. À l'hôpital, on ne mange pas plus que les gens dehors. Nous sommes tous logés à la même enseigne, à Alep. On se contente d'une assiette de moujaddara (purée de lentilles), avec un peu de riz parfois.
Ce matin, c'était calme, car les avions n'ont pas survolé nos quartiers. Mais des obus continuent d'être tirés à partir de la citadelle, à l'instant même où je vous parle. Mon petit garçon a très peur des bombardements. Il pleure pendant des heures lorsqu'il entend une bombe exploser. Je tente à chaque fois de le calmer, mais il est tellement traumatisé que même une porte qui claque le terrifie désormais. Les obus ne me font pas peur, mais nous tous ici craignons les avions plus que tout. On a peur du phosphore et des barils d'explosifs, car ils font des dégâts immenses. Mais nous devons sortir chaque jour dans les rues pour trouver de la nourriture. Nous n'avons pas le choix. De toutes les manières, il n'y a pas d'électricité à la maison. On entend dire que l'Onu veut nous envoyer de l'aide, mais on ne voit rien venir. Et puis, le régime nous bombarde jour et nuit, alors pourquoi accepterait-il de laisser entrer des vivres ? Les corridors humanitaires sont censés se mettre en place aujourd'hui, mais ce n'est qu'un gros mensonge. On m'a dit que des gens se sont rués aux portes de la ville, mais qu'ils se sont fait canarder.
Il est clair que le régime ne veut pas de nous de l'autre côté. Même si ces corridors étaient sûrs, je ne partirais pas de chez moi. Jamais je ne pourrai laisser ces gens sous les bombes. Ils ont besoin de moi. Surtout en ce moment. L'hiver approche et j'ai très peur que mon enfant ait froid. Je ne suis pas toujours pas rentré chez moi ce soir. Je dois trouver du lait...
L'Orient-Le Jour a demandé à Anouar Chehada des images représentant son quotidien :
"Je vous parle d'Alep", les précédents témoignages :
VI – Ismaël Alabdallah, Casque blanc à Alep : Nous avons pu trouver à manger aujourd'hui
IV- Abou el-Abed, combattant rebelle : Ma mère n’a jamais accepté que j’aille combattre
Je suis anesthésiste. Nous ne...
commentaires (0)
Commenter