Chaque fois qu'on vous demande des nouvelles du Liban, vous avez l'impression de livrer le bulletin de santé d'un éternel moribond. Vous dites que ça va. Vous n'allez pas encore geindre quand, par-dessus le marché, le monde entier va si mal. Le Liban n'a plus l'exclusivité du malheur, il n'est même plus malheureux. C'est comme si cette éternelle « moribonderie » était son état naturel et définitif. Depuis le début de ce millénaire pourtant prometteur, il eut bien, par moments, quelques petits signes évasifs de convalescence. Ressuscité, rose et prospère, il ne s'était pas reconnu. Depuis, tout est rentré dans l'ordre: politiques mortifères, blocage des institutions, débats oiseux, destruction de l'environnement, chantage aux ordures, lassitude. Son pronostic vital de nouveau engagé, enfin il se sent soi-même. Ce n'est qu'à l'agonie que lui vient le talent de vivre.
Et nous ? « Quand c'est difficile, quand c'est tout le temps difficile, l'amour ne s'éteint pas », disait François Mitterrand aux deux femmes de sa vie. Et c'est difficile, tout le temps difficile de l'aimer, ce pays. Alors nous l'aimons ardemment. Nous l'aimons de toute la haine que nous inspire la classe politique dévoyée qui le tient en otage, dépourvue du moindre soupçon d'éthique, enferrée dans sa vision communautaire, vénale et forcément paranoïaque du monde ; si petite et si incapable de nous grandir, limitée qu'elle est par ses calculs personnels et mesquins, alors que le siècle avance. Aurons-nous un président? Cela changera-t-il quelque chose à nos vies ? Et qui sera Premier ministre ? Et pourra-t-il former un gouvernement ? Aurons-nous un jour des élections législatives ? Seront-elles libres, justes, équitables ? Franchement, toutes ces questions que se poserait légitimement tout peuple qui se respecte n'ont plus pour nous la moindre importance. On a le snobisme qu'on peut, et tant que nos gouvernants, présents ou futurs, se croiront intronisés à vie pour recevoir des honneurs, alors que le seul honneur que leur accorde leur élection est celui de servir sans distinction leurs administrés, ils ne nous intéressent pas. Résolument pas.
Pour notre part, nous continuons à faire ce que font les Libanais depuis le fond des âges : travailler, éduquer nos enfants, croire partir, revenir, nous leurrer, faire semblant et constater que ça marche, simplement grâce au modeste apport de chacun d'entre nous. Avant, nous faisions la fête et le monde croyait que Beyrouth était l'autre nom de la fête. À présent nous construisons des musées, avec la frénésie du manque. Bien plus de musées que nous n'en pouvons contenir, mais ça ne fait rien. Trop de mémoire a été effacée. Trop de mémoire reste à inscrire. Face à l'ignorance et au populisme, la culture est notre dernier carré de dignité.
En attendant, ce pays s'étiole et change de visage à force de voir remettre à plus tard les solutions qui s'imposent aujourd'hui. Déserté par sa jeunesse et ses forces vives, le voilà qui danse, une fois de plus, avec le peu d'énergie qu'il lui reste, au bord de cet abîme qui n'en finit pas de l'attirer. Il ne tombera pas. Il n'est jamais tombé. Qu'importe ce qu'on peut lui faire subir, son esprit funambule regarde passer les cohortes, et sourit.
Quand c’est tout le temps difficile
OLJ / Par Fifi ABOU DIB, le 20 octobre 2016 à 02h25
commentaires (5)
OUI... MADAME... MAIS LE PAYS SE VIDE ET IL SE VIDE DE SES ENFANTS LES PLUS CHERS, DE SES CERVEAUX CREATEURS, LES PLUS LIBANAIS DES LIBANAIS, A QUELLE CONFESSION QU,ILS APPARTIENNENT... ET C,EST UNE TRAGEDIE ! NON... MADAME... RIEN N,EST PLUS COMME AVANT ET RIEN NE LE SERA DE NOUVEAU... LE LIBAN... APRES LES TURPITUDES ET LES COUPS COMMIS PAR NOMBRES DE SES PRETENDUS ENFANTS COMTRE LUI AVANT ET PUIS CONTRE LEURS FRERES... NE POURRA HELAS JAMAIS RETOURNER CE QU,IL ETAIT !!!
LA LIBRE EXPRESSION
11 h 29, le 20 octobre 2016