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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Les minorités dans l’angoisse de l’après-Mossoul

« Cela fait deux ans que le gouvernement nous dit"on va libérer Mossoul". Ce ne sont que des mots. Il ne peut pas y avoir d'harmonie. On n'est pas acceptés. On se sent exclus ».

Les forces irakiennes tirant un obus en direction du village de Tall al-Tibah, à quelque 30 kilomètres de Mossoul, lors d’une opération contre l’État islamique hier. Ahmad al-Rubaye/AFP

La reconquête programmée de la ville de Mossoul, tombée aux mains du groupe État islamique en 2014, ne changera rien au sort des nombreuses minorités qui vivent aujourd'hui en Irak. C'est du moins l'avis de Behnam Abbouch. À la tête d'une force paramilitaire d'environ 300 hommes, tous assyriens, il promet de protéger les villages chrétiens des environs de Mossoul. Sans compter sur l'aide de quiconque, et surtout pas des troupes gouvernementales irakiennes.

Les autorités de Bagdad assurent que l'offensive lancée lundi pour chasser l'EI de Mossoul est une étape décisive vers le rétablissement de la sécurité dans un pays en proie à d'incessantes violences à caractère confessionnel. Mais Behnam Abbouch n'a pas confiance. Et se fonde sur ce qui s'est passé il y a deux ans. Le 6 août 2014, deux mois après la chute de Mossoul aux mains des jihadistes de l'EI, les Kurdes stationnés dans la ville de Karakosh ont tout d'un coup annoncé leur départ.

Nombre des 55 000 habitants de la ville parvinrent à s'enfuir avant l'arrivée des jihadistes mais Behnam Abbouch dit que cet épisode illustre bien le fait qu'en Irak les minorités – chrétiens, turkmènes, yazidis ou encore chabak – ne doivent compter que sur elles-mêmes pour leur avenir. « Les Kurdes nous ont dit, on va vous protéger. Et puis à 22h30, ils nous annoncent "on s'en va". Ça a été très difficile, en particulier pour les femmes et les enfants », se souvient-il.

 

(Repère : Les chrétiens d'Irak, une ancienne communauté fréquemment cible de violences)

 

Force de protection
Ingénieur de formation, Behnam Abbouch est aujourd'hui le « général » d'une force assyrienne basée à al-Kosh, à une cinquantaine de kilomètres de Mossoul. Ses hommes ont reçu des armes du gouvernement central, mais seulement la moitié de la quantité promise, et comptent sur des dons de familles chrétiennes irakiennes vivant à l'étranger. « Si le gouvernement central était fort, on n'aurait besoin de rien. Mais si vous voulez régler les problèmes, il faut une force de protection », dit-il.

À Bagdad, Khisro Goran, un député kurde du Parlement irakien, explique que les peshmergas s'étaient retirés de Qaraqosh en 2014 parce qu'ils n'étaient pas suffisamment armés face aux hommes de l'EI. Mais il partage l'opinion de Behnam Abbouch. « Je suis d'accord, les minorités devraient avoir leur propre force de police, c'est en fait le moyen idéal de résoudre cette question de la confiance », dit-il.

Ce n'est pas l'avis de l'armée irakienne. À Bagdad, un porte-parole fait remarquer que les autorités ne peuvent pas modifier sans cesse le budget de la défense pour s'aligner sur les besoins de minorités qui varient constamment. Le gouvernement, assure-t-il répétant la ligne officielle, est « soucieux d'offrir son soutien à tous ceux qui combattent Daech ».

 

(Lire aussi : "Reprendre Mossoul signifie un retour chez moi, chez ma famille et mon peuple")

 

Craintes de génocide
À Erbil, capitale du Kurdistan autonome, la défiance envers le gouvernement central est aussi perceptible. Le père Salim Saka invite dans ses sermons à œuvrer pour la concorde nationale et l'harmonie entre toutes les communautés. Mais en privé, le discours est tout autre. « Cela fait deux ans que le gouvernement nous dit"on va libérer Mossoul". Ce ne sont que des mots. Il ne peut pas y avoir d'harmonie. On n'est pas acceptés. On se sent exclus », dit-il.

Autre minorité dont le sort a empiré dans les secteurs tombés sous l'emprise de l'EI, les yazidis sont convaincus, eux aussi, qu'ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Des enquêteurs mandatés par l'Onu estiment que l'EI s'est rendu coupable de crime de génocide contre les yazidis d'Irak et de Syrie. Les membres de cette communauté sont considérés comme des infidèles par les jihadistes sunnites de l'EI et à ce titre persécutés. Une milice yazidie, les Unités de résistance de Sindjar (YBS), dit ne jouir que d'un soutien partiel du gouvernement central. Pourtant, ses hommes font partie des Forces de mobilisation populaire (FMP), milice chiite entraînée par l'Iran mais qui a un statut officiel reconnu à Bagdad. Les YBS comptent 2 700 hommes mais un millier seulement d'entre eux reçoivent un salaire de Bagdad, dit leur commandant, Saeed Hassan.

Pour Haji Hassan, un civil qui travaille dans l'administration des YBS, « l'immense majorité des yazidis souhaitent un statut d'autodétermination sous protection internationale. On a zéro confiance dans l'administration provinciale. Ils nous maltraitaient même avant que Daech arrive ». À Erbil, un camp de personnes déplacées, sorte de bidonville situé juste à côté d'un hôtel cinq étoiles, abrite des yazidis qui vivent essentiellement de la générosité de membres de leur communauté.
« Les yazidis sont seuls », constate Ali Khalaf, qui vivote de petits boulots. « Même si l'État islamique est chassé de Mossoul, ce qu'on veut c'est une force internationale pour nous protéger des risques de génocide. »

 

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