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Culture - Interview

Les multiples vies chinoises du Suisse Uli Sigg

Homme aux multiples casquettes (businessman, journaliste, collectionneur de l'art chinois, ambassadeur), il a fouillé et exploré l'Empire du Milieu. Bien avant qu'il ne se réveille...

Uli Sigg : « Une vie ne me suffira pas pour trouver encore et encore… » Photo Michel Sayegh

Les yeux bleus comme ceux des eaux des lacs de Constance, de Lugano ou Léman, l'allure sportive, la barbe aux poils blancs de quelques jours. À 70 ans, Uli Sigg a toujours cet intérêt pour les terres lointaines, les êtres, l'art et la vie. Avec cette distance, cette ponctualité et cette rigueur parfaitement suisses. Il a tenu à être présent à l'annonce du programme du Festival du film d'art de Beyrouth (BAFF) qui présente un documentaire le concernant*. À signaler que le festival se déroulera du 8 au 20 novembre prochain.

Premier voyage au pays du Cèdre ?
J'ai visité le pays plusieurs fois avant la guerre. C'était vers 1972-74. Quelle impression aujourd'hui ? Difficile à dire et à juger. Une ville nouvelle sans doute. Autre temps, autre ville... Faut-il restaurer une ville telle qu'elle était ou la changer ? C'est le cas en Chine, avec l'émergence des cités modernes. Toutes se ressemblent quelque peu. Les villes n'ont plus de visage. On s'en rend compte maintenant. Mais ici, c'est différent.

De toutes vos professions (homme d'affaires qui a installé les ascenseurs Schindler dans l'Empire du Milieu ; collectionneur d'art chinois qui a frayé avec Ai Weiwei ; ambassadeur de la Suisse en Chine, Corée du Nord et Mongolie), laquelle a vos préférences ?
L'occupation avec l'art. C'est la plus colorée ! À l'époque, quand j'achetais l'art chinois que personne ne connaissait encore, c'était considéré comme une aventure hasardeuse. Avec le temps, tout s'est consolidé et les connaisseurs se sont davantage penchés sur un art qui s'est transformé en tête de file et d'avant-garde...

Quel est votre meilleur souvenir d'homme d'affaires ?
Celui d'avoir établi entre la Chine et le monde une société mixte. C'était le premier investissement d'étrangers en Chine. Un modèle pour le monde et la Chine. Il n'y avait pas en ce temps-là de loi. Mao Zedong avait éliminé tout code légal. La loi, c'était la volonté du peuple et le parti, c'est la pointe de la flèche...

Comment, du monde de l'argent et de l'industrie, avez-vous glissé vers celui de l'art ?
J'ai toujours eu une passion pour l'art. En 1979, après une politique d'ouverture, je me suis penché sur le travail de certains artistes. D'abord, j'étais déçu car j'avais l'œil d'un Occidental. Les artistes eux-mêmes étaient coupés de l'information. J'ai acheté certains tableaux et œuvres. En 90, les artistes ont trouvé leur propre langage. Personne ne collectionnait encore le travail de l'espace le plus grand au monde. Cela aurait dû être fait par une institution internationale...

Qu'y a-t-il de singulier dans ce parcours hors du commun ? Avez-vous une anecdote particulière sur les artistes que vous avez côtoyés et fréquentés ?
Il y a des situations amusantes et qui donnent à réfléchir. Comme cet artiste qui travaillait avec la soie. Avec des chrysalides pour tout emballer. À la Biennale de Lyon, il devait emballer avant la saison de maturation des cocons d'où sort le fil de la soie. Il a installé une usine pour tout chauffer à 40 degrés. Il avait là battu la nature en étant en avance sur la température...

Quelle acquisition a le plus de place dans votre cœur ?
Celle d'Ai Weiwei en 79 pour 130 vases de l'âge néolithique (5 000 ans) enduits de peinture industrielle blanche. Clash de civilisation. Agression du capitalisme. Installation très importante cédée à très bas prix par l'artiste (c'était 1980). Lorsque j'ai jugé que ce prix était excessivement dérisoire, l'artiste m'a dit : Ce qui m'appartient vous appartient... L'histoire est pour tous !

Pourquoi avoir cédé une grande part de votre collection au Musée de Hong Kong ?
La collection est bien plus grande que moi... Les Chinois ne connaissant pas leur création, ils montrent ainsi ces œuvres tout le temps. Tandis qu'au MoMA ou ailleurs, c'eût été l'occasion d'une démonstration éphémère...

Quel regard portez-vous actuellement sur la Chine ?
C'est un pouvoir mondial qui prend sa place. Et non sans bruit... Pour reprendre la formule consacrée de Napoléon : Quand la Chine se réveillera le monde tremblera... Économiquement, actuellement, c'est tout un autre regard. Pour information, la Chine a acquis un fleuron de l'agronomie suisse pour 44 milliards de dollars. C'est dire...

Comment abordez-vous la personnalité d'un collectionneur, vous qui avez écrit une analyse sur sa typologie ?
En ce qui me concerne, j'aime l'art : j'ai acquis des œuvres qui me plaisent. En ce parcours, il y a des phases. Avoir un focus et accumuler avec logique. Combiner les œuvres, en faire un web (une toile) aux ramifications qui s'imbriquent...

Pour un homme qui a si brillamment réussi sa vie, que cherchez-vous encore ?
L'art contemporain, infini, est un accès à la Chine... Une vie ne me suffira pas pour trouver encore et encore...

 

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Fiche signalétique

Uli Sigg est le plus grand collectionneur d'art chinois contemporain.
À son actif, 2 000 œuvres de 350 artistes chinois. Il a fait une
donation de 1 463 œuvres de 350 artistes chinois au Musée de Hong Kong pour un montant estimé à 163 millions de dollars américains.

 

*Le film « Les vies chinoises d'Uli Sigg » de Marcel Hoehn sera projeté le jeudi 10 novembre à Metropolis 2 à 21h15 dans le cadre du BAFF.

Les yeux bleus comme ceux des eaux des lacs de Constance, de Lugano ou Léman, l'allure sportive, la barbe aux poils blancs de quelques jours. À 70 ans, Uli Sigg a toujours cet intérêt pour les terres lointaines, les êtres, l'art et la vie. Avec cette distance, cette ponctualité et cette rigueur parfaitement suisses. Il a tenu à être présent à l'annonce du programme du Festival du film...

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