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Économie - Diaspora

La crise sociale s’accentue à Saudi Oger

Selon plusieurs sources internes, des milliers d'employés ont été remerciés la semaine dernière par le géant de la construction. De son côté, ce dernier continue à tenter de céder certains actifs.

Saudi Oger ne paie plus ses dizaines de milliers d’employés depuis plus de 11 mois et des milliers d’ouvriers ont quitté l’Arabie saoudite ces derniers mois sans leurs salaires. Fayez Nureldine/AFP

Licencié la semaine dernière après 18 ans passés à travailler dans la logistique chez Saudi Oger, Moein Hasna est amer. « J'ai dû aller en personne au bureau des ressources humaines pour l'apprendre. Je suis désespéré. Je ne peux pas rembourser à ma banque un prêt de 140 000 rials (37 000 dollars), et elle a porté plainte devant la justice. » Selon cet ancien employé originaire de Saïda, le géant de la construction saoudien lui doit 360 000 rials (96 000 dollars), soit l'équivalent de près d'un an de salaire, bonus inclus.

En juillet, Moein avait pourtant été détaché par son employeur pour travailler pour le compte d'une autre entreprise de construction qui avait repris un chantier de Saudi Oger à l'arrêt depuis plusieurs mois. Après l'avoir payé deux mois de salaire, cette entreprise a mis fin à son détachement, et celui de plusieurs collègues, avant que Saudi Oger ne décide de se séparer de lui.

(Lire aussi : Saudi Oger licencie 1 300 employés d'une imprimerie du Coran)

« Peur d'être le prochain »

Plusieurs sources internes indiquent à L'Orient-Le Jour que des milliers d'employés ont été notifiés de leurs licenciements la semaine dernière. « Il s'agit du nombre le plus important d'employés licenciés d'un coup depuis le début de la crise financière à Saudi Oger, observe un cadre libanais. Pour l'instant, ce sont les activités de construction qui sont les plus touchées. Une nouvelle vague suivra sûrement dans peu de temps. » Tandis que lui survit avec ses économies, un membre de sa famille, également employé de Saudi Oger, a aussi des ennuis avec sa banque et ne peut plus régler son loyer. « La banque a voulu le traîner en justice. Heureusement que ma mère a pu elle-même emprunter de l'argent auprès d'une banque au Liban pour l'aider », indique-t-il. Saudi Oger n'a pas officiellement confirmé ces licenciements et ni répondu aux sollicitations de L'Orient-Le Jour.

Selon une source diplomatique libanaise, qui évoque « des rumeurs », le nombre de Libanais concernés serait d'environ 400. « J'ai peur d'être le prochain sur la liste », s'inquiète un autre employé libanais, qui rapporte que 500 Pakistanais ont quitté son chantier, puis le pays, la semaine dernière. D'autres prennent la nouvelle avec plus de flegme. « Je me sens enfin libre. Pour la première fois depuis un an, j'ai une idée claire de mon avenir », explique un ancien cadre, qui avait indiqué à l'entreprise qu'il souhaitait changer d'employeur il y a quelques semaines. « Si la situation s'améliore d'ici à un ou deux ans, ça me ferait plaisir de réintégrer l'entreprise. »

La situation du groupe de l'ancien Premier ministre Saad Hariri ne semble néanmoins pas devoir s'améliorer. Victime, comme de nombreux concurrents, de la politique d'austérité mise en place par le gouvernement saoudien depuis la baisse des cours du pétrole ces deux dernières années, Saudi Oger traverse une crise majeure. Selon les sources citées début septembre par Reuters, la dette du gouvernement envers le groupe s'élevait à 8 milliards de dollars pour travaux déjà exécutés. Plusieurs projets ont été abandonnés, selon le cadre précité. Il pointe aussi du doigt des erreurs dans une gestion caractérisée notamment par « un manque de vision, l'embauche de personnes non qualifiées et une mauvaise sélection de projets ». Résultat, l'entreprise ne paie plus ses dizaines de milliers d'employés depuis plus de 11 mois et des milliers d'ouvriers, notamment originaires d'Inde, des Philippines ou du Pakistan, ont quitté l'Arabie saoudite ces derniers mois sans leurs salaires. Selon les sources citées en septembre par Reuters, l'entreprise devait alors plus de 600 millions de dollars en arriérés de salaire et indemnités, tandis que sa dette incluait également 4 milliards de dollars en prêts et des centaines de millions de dollars contractés auprès de sous-traitants et de fournisseurs.

(Lire aussi : Saudi Oger : Des centaines de Pakistanais doivent quitter l'Arabie sans leurs salaires)

Cession d'actifs

Alors que dans le même article, Reuters avait affirmé que le gouvernement saoudien avait mis fin cet été aux négociations avec Saad Hariri autour d'une reprise de la société, l'agence a rapporté hier que l'entreprise poursuivait ses démarches pour céder certains de ses actifs. Selon plusieurs sources citées par Reuters, Saudi Oger est entrée en négociation avec des acheteurs potentiels basés au Moyen-Orient et en Arabie Saoudite afin de vendre sa part de 20,93 % dans la banque jordanienne Arab Bank. La valeur de cette part s'élèverait à 1,15 milliard de dollars, selon l'agence, bien qu'une source lui ait indiqué qu'elle ne serait pas vendue à plus d'un milliard de dollars à cause de la situation de l'entreprise. Cette somme couvrirait un prêt de 1,03 milliard de dollars contracté auprès de banques régionales et internationales qu'elle devra rembourser en février. Toujours selon l'agence, la famille saoudienne al-Hokair ferait partie des acheteurs intéressés. Cette famille est à la tête de plusieurs entreprises, dont Fawaz al-Hokair, qui détient les franchises au Moyen-Orient de grandes marques internationales de prêt-à-porter comme Zara et Banana Republic.

En attendant, face à une grogne sociale montante, le gouvernement avait annoncé en août qu'il verserait lui-même les arriérés de salaire aux employés à partir de la somme due à l'entreprise. Il avait également indiqué qu'il aiderait les employés souhaitant quitter définitivement le pays ou changer d'employeur. Annonce qui n'a toujours pas été suivie d'effet, exception faite pour les 200 employés français qui ont reçu leurs salaires début septembre. « La France a l'avantage de pouvoir exercer des pressions diplomatiques sur l'Arabie saoudite, au contraire des pays d'origine des autres employés », glisse un employé libanais.
La seule application concrète de cette annonce gouvernementale semble avoir été une lettre envoyée il y a une dizaine de jours par la direction des ressources humaines aux employés, leur demandant d'indiquer s'ils souhaitaient ou non rester dans l'entreprise. Saudi Oger indiquait que ceux qui restent toucheront – à une date non précisée – leurs arriérés de salaire, tout comme ceux désirant quitter la société.
L'entreprise n'avait toutefois pas détaillé le cas de ceux souhaitant rester mais qu'elle voulait licencier, laissant ces employés dans le flou. Saudi Oger s'était contenté de préciser qu'une « restructuration » était en cours, ce qui pourrait expliquer les licenciements récents.


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