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Moyen Orient et Monde - Interview

Le « refoulement » des massacres du 17 octobre et la responsabilité collective

Politologue, historienne, ex-présidente du comité pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage (CPMHE), aujourd'hui titulaire de la chaire global south(s) au Collège d'études mondiales à Paris (Fondation Maison des sciences de l'homme), Françoise Vergès revient sur le sens des massacres du 17 octobre 1961 et l'enjeu d'une reconnaissance politique.

Des Algériens arrêtés lors de la manifestation par la Fédération de France du FLN (Front de libération nationale) et expulsés s’apprêtent à embarquer à bord d’un avion à destination de l’Algérie. Photo AFP archives

Quel est le sens du 17 octobre 1961 aujourd'hui ?
Le 17 octobre 1961 est une date extrêmement importante dans l'histoire de la société française. Elle est au cœur d'un refoulement de la manière dont la France perçoit son histoire coloniale. Le 17 octobre 1961 renvoie également à un crime d'État, une répression autorisée, légitimée et couverte par la justice pour mener une chasse aux Algériens, sortis manifester ce soir-là. Jusqu'à ce jour, le sens de cette histoire est évacué. Il y a ce qu'Aimé Césaire appelait dans le discours sur le colonialisme « l'effet boomerang ». Il expliquait que l'on ne peut pas coloniser impunément car il y a toujours un effet de retour et, pour illustrer son propos, il prend l'exemple du nazisme : les Européens ont été totalement étonnés de ce qui s'est passé chez eux, alors qu'ils ont reproduit des pratiques similaires dans les colonies. La colonisation a dépossédé les populations et le discours colonial a justifié les génocides, la torture, les camps d'internement, les enfumages, etc. Mais cela revient comme un boomerang au visage. Cet effet boomerang, décrit pas Aimé Césaire et Frantz Fanon, est au cœur même de la conception de la figure du colonisé. Ne pas regarder, ne pas voir en quoi la colonisation française a en retour colonisé la société en imprimant des images, des discours, des justifications, c'est une contamination de la démocratie par le colonialisme.

Comment en arrive-t-on près de 40 ans après à adopter la loi révisionniste du 23 février 2005 pour promouvoir les effets positifs de la colonisation ?
Profondément, la République française a été coloniale. N'oublions pas que l'empire colonial s'étend sous la République. Les républicains jouent un rôle important dans sa consolidation. Jules Ferry, célébré par le président de la République François Hollande à l'ouverture de sa mandature, était également un grand partisan de la colonisation. La colonie est au fondement de la République. En 1848, la IIe République abolit l'esclavage, mais elle déclare l'Algérie département français. L'idée que la colonisation a apporté le progrès est profondément ancrée. Aussi, reconnaître le passé colonial, c'est s'interroger réellement aujourd'hui sur un racisme structurel, octroyant des privilèges aux « Blancs », non pas au sens de couleur de peau mais plutôt au sens de la place dominante qu'ils occupent. C'est notamment interroger la nature des inégalités car celles-ci ne sont pas seulement de classe mais de race également.
Dans ses conséquences économiques, sociales et raciales, la question coloniale est aujourd'hui au centre de la question politique. Dans une approche comptable, l'idéologie néocoloniale voudrait faire croire que le colon a apporté le développement des infrastructures routières, hospitalières, etc. Or les populations colonisées n'ont jamais rien demandé. Le colonialisme signifie d'abord la dépossession des terres et donc l'abolition des droits des autochtones.
Aujourd'hui, les déclarations de certains élus politiques sur les bienfaits de la colonisation sont symptomatiques du fait qu'ils sont acculés par l'organisation de la lutte contre un système foncièrement inégalitaire. Ils sont sur une posture défensive. La difficulté réside dans la capacité à unifier ces luttes pour revendiquer l'égalité.

Quelles sont les conditions d'une reconnaissance politique des effets destructeurs du colonialisme ?
En réalité, il faut commencer par un travail qui n'a pas encore vraiment été réalisé : interroger profondément le rôle de la gauche. L'extrême droite et certaines personnalités de la droite sont fidèles à elles-mêmes, c'est-à-dire racistes ou fascistes. En revanche, il existe une forte responsabilité de la gauche. En quoi la gauche a-t-elle abandonné ses propres principes ? En quoi a-t-elle participé à la colonisation et à la justification de la colonisation ? En 1956, quand Aimé Césaire démissionne du Part communiste, il dit à peu près ceci : « Vous êtes profondément paternalistes, car vous ne pouvez pas imaginer que l'on puisse penser par nous-mêmes. Vous voulez penser à notre place. »
Cette croyance de supériorité est prégnante dans tous les mouvements de gauche, y compris le féminisme qui se présente comme universel. Quel que soit le contexte, l'histoire et les formes locales, la gauche incarnerait le progrès qui doit guider les peuples et penser leurs conditions d'émancipation. Ce suprématisme, ancré dans plusieurs siècles d'histoire, doit être combattu aujourd'hui par les nouveaux mouvements antiracistes.

Quel est le sens du 17 octobre 1961 aujourd'hui ?Le 17 octobre 1961 est une date extrêmement importante dans l'histoire de la société française. Elle est au cœur d'un refoulement de la manière dont la France perçoit son histoire coloniale. Le 17 octobre 1961 renvoie également à un crime d'État, une répression autorisée, légitimée et couverte par la justice pour mener une chasse aux...

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