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Économie - Aides publiques

Les subventions aux agriculteurs, une course à l’échalote ?

Face à la crise profonde que traversent plusieurs filières du secteur, l'État a multiplié les annonces d'aides financières ces dernières semaines.

Les producteurs de blé vont recevoir 8 millions de dollars d’indemnités pour leurs invendus de la saison 2015-2016. Jamal Saïdi/Reuters

Depuis une semaine, le gouvernement multiplie les plans d'aides d'urgence pour faire face à la grogne des agriculteurs. Hier, le Conseil des ministres a débloqué 10 milliards de livres (6,6 millions de dollars) pour indemniser les producteurs de cerises de Ersal (district de Baalbeck) n'arrivant plus à accéder à leurs cerisaies depuis trois ans à cause des combats entre l'armée libanaise et les combattants jihadistes dans cette région. Une décision entérinée alors que des dizaines d'agriculteurs concernés par cette mesure ont manifesté devant le Grand Sérail pendant la réunion du Conseil.

Les ministres ont également alloué 400 000 dollars aux propriétaires d'élevages de volaille de la Békaa touchés en avril par le virus H1N1 (grippe aviaire), une épidémie qui avait provoqué la mort de plus de 35 000 poulets et obligé de nombreux éleveurs à abattre une partie de leur cheptel. Plusieurs d'entre eux s'étaient rassemblés samedi à Deir Mimas (Nabatiyé) pour protester contre l'absence de soutien de l'État à leur filière. Contacté par L'Orient-Le Jour, le ministre de l'Agriculture, Akram Chehayeb, n'était pas disponible pour commenter ces évènements.

Succession de plans d'aides
Ces mesures s'ajoutent à deux autres plans d'aides adoptés lors de la précédente réunion du Conseil des ministres. Le 6 octobre, ce dernier décidait en effet de verser 26 millions de dollars de subventions aux producteurs de pommes, en proie à d'importantes difficultés pour écouler leur production et mobilisés depuis plusieurs semaines.

Il avait ensuite entériné, le même jour, le versement d'une indemnité de près de 80 dollars aux producteurs de blé pour chaque surface de 1 000 m² cultivée, au titre de leurs invendus pendant la saison 2015-2016. Cette enveloppe de près de 8 millions de dollars – selon une source au ministère de l'Économie et du Commerce qui chapeaute cette filière – succède à celle débloquée le 31 mars pour les indemniser des invendus de 2014-2015 à raison de 116 dollars pour chaque surface de 1000 m² de blé. Le ministère de l'Économie n'était pas en mesure de communiquer le montant total de cette dernière mesure dans l'immédiat.

En sus de cette succession de plans d'aides, le gouvernement avait enfin décidé, en mai, de prolonger jusqu'au 31 mars 2017 un programme de subventions aux exportations de 14 millions de dollars piloté par l'Autorité de développement des investissements au Liban (Idal). Ce plan avait été lancé le 18 septembre 2015 pour permettre aux exportateurs de supporter le surcoût provoqué par la réorientation des exportations (et qui a quasiment quadruplé depuis 2010 selon plusieurs sources concordantes) vers les pays arabes par voie maritime depuis la fermeture, en avril 2015, de la frontière syro-jordanienne. Selon Idal, la mise en œuvre de ce programme sur les 7 premiers mois a absorbé 4,6 millions de dollars sur son enveloppe totale et a financé l'acheminement de plus de 14 000 tonnes de produits agricoles sur cette période, soit 88 % du total des exportations subventionnées dans ce cadre. Ces chiffres n'ont pas encore été actualisés par l'autorité. Le programme se poursuit actuellement avec les fonds restants (environ 9,4 millions de dollars).

 

(Pour mémoire : L'État va subventionner les cultivateurs de pommes)

 

Tache d'huile
Et le succès de la mobilisation des producteurs de pommes est appelé à continuer à faire tache d'huile. « Les producteurs de pommes de terre du Akkar ont manifesté moins de 24 heures après que le gouvernement eut décidé d'accorder des subventions aux producteurs de pommes et de blé », rappelle le président de l'Association des agriculteurs, Antoine Hoyek, avant d'ajouter que « la fronde devrait bientôt s'étendre aux producteurs d'agrumes et de bananes ».

Les premiers ont vu leurs exportations s'effondrer – de 87 640 tonnes en 2014 (15,4 millions de dollars) à 54 088 tonnes d'agrumes en 2015 (pour 11,8 millions de dollars), selon les douanes – notamment en raison de la concurrence des produits issus de l'Union européenne dans les pays du Golfe, dans le sillage de l'embargo russe sur les produits alimentaires européens en 2014.

Les producteurs de bananes subissent quant à eux les répercussions de la décision de M. Chehayeb qui avait interdit en juin les importations de fruits et légumes syriens, avant d'assouplir sa position en septembre. En 2015, la Syrie a absorbé 70 % des 34 008 tonnes de bananes exportées en 2015 (pour 8,7 millions de dollars), selon les douanes.

En attendant, face à cette avalanche de dépenses imprévues, le gouvernement préfère relativiser. « Les montants engagés par le gouvernement pour soutenir les agriculteurs ces derniers mois restent raisonnables, compte tenu des enjeux », commente une source au ministère de l'Agriculture. Si l'agriculture contribue à hauteur de moins 5 % environ du PIB selon la Banque mondiale, le secteur a employé plus de 210 000 personnes à plein temps en 2010, selon le dernier recensement de la population agricole effectué par l'Organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). « En plus de ces subventions directes, le ministère mobilise chaque année environ 7 milliards de livres (4,6 millions de dollars) par an d'aides indirectes au secteur, pour principalement financer l'achat et la distribution de semences et d'engrais aux agriculteurs », indique encore la source précitée.

S'ils saluent les efforts du gouvernement, tous les agriculteurs ne sont toutefois pas convaincus de leur utilité pour redresser un secteur en crise depuis des années. « Ces subventions sont nécessaires pour soulager des agriculteurs exsangues, mais elles ne suffiront pas à sauver le secteur de l'effondrement », estime M. Hoyek. Même constat pour Nasser Lama, l'un des responsables du programme Lebanon Industry Value Chain Development (LIVCD) de l'Agence américaine pour le développement international (Usaid) au Liban, pour qui ces plans d'aides n'offrent pas de solution viable à long terme. « La taille du marché libanais oblige les agriculteurs à exporter pour écouler leur production », rappelle-t-il, avant d'ajouter que « l'État doit aider ces derniers à adapter leurs méthodes de production, de stockage et de transport aux exigences des marchés qu'ils ciblent. »

 

 

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