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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Bataille de Mossoul : les tensions entre Ankara et Bagdad compliquent tout

Aucun plan politique n'a été élaboré pour l'après-EI, alors que les intérêts des uns et des autres empêchent toute unité face au groupe.

Le camp de Zalikan, à Baachiqa, dans la province de Ninive, où des troupes turques entraînent des combattants arabes sunnites pour libérer Mossoul. Thaier al-Sudani/Reuters

Alors qu'une opération pour reprendre la ville de Mossoul à l'État islamique semble proche, les relations entre l'Irak et la Turquie ne cessent de s'envenimer depuis quelques jours. La présence de troupes turques dans la province de Ninive, et plus précisément à Baachiqa, près de la « capitale » du groupe terroriste, n'est pourtant pas nouvelle.
Ce serait, en revanche, la prolongation d'un an du mandat de ces troupes votée la semaine dernière par le Parlement turc qui serait à l'origine des fortes tensions entre Bagdad et Ankara. Le gouvernement du Premier ministre Haïder al-Abadi a en effet aussitôt protesté, qualifiant les quelque 2 000 soldats turcs de « forces d'occupation », suscitant l'ire d'Ankara. Les deux capitales ont alors convoqué leurs ambassadeurs respectifs, selon des sources au sein des deux ministères des Affaires étrangères. Jeudi, l'Irak est allé plus loin encore, demandant la tenue d'une réunion extraordinaire du Conseil de sécurité de l'Onu pour dénoncer la présence turque en Irak.

Ankara n'a toutefois pas fait signe de faire baisser les tensions, au contraire. « Peu importe ce que dit le gouvernement irakien, la présence turque sera maintenue pour combattre Daech (acronyme arabe de l'EI) et pour éviter une modification par la force de la composition démographique dans la région » de Mossoul, a lancé jeudi le Premier ministre turc, Binali Yildirim, lors d'une réunion avec des hommes d'affaires.


(Lire aussi : « Parfois, tu t'assieds sur un canapé et ça explose. Ils piègent même les frigos... »)

 

Dans l'impasse
Le scénario n'est pas inédit. En décembre dernier, Bagdad avait déjà sommé Ankara de retirer des soldats tout juste arrivés en renfort sur son territoire, alors que plusieurs centaines de troupes sont présentes depuis plus de trois ans dans le cadre d'un accord de coopération destiné à l'entraînement des peshmergas, combattants du Kurdistan irakien. Aujourd'hui, la donne est quelque peu différente. Ankara entraîne à présent un certain nombre de combattants sunnites, appartenant notamment aux Hachd el-Watani (Forces de mobilisation nationale, FMN), pour participer à l'opération de reprise de Mossoul, ainsi que pour limiter la marge de manœuvre des Kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Il est clair que pour Ankara, « le gouvernement de Bagdad est un gouvernement fantoche, qui en premier lieu n'a pas permis de protéger la ville et l'a laissée tomber aux mains de l'EI en 2014 », affirme Myriam Benraad, chercheure à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman (Iremam), maître de conférences en sciences politiques à l'Université de Limerick (Irlande) et auteure, spécialiste de l'Irak et du Moyen-Orient. Pour la Turquie, le gouvernement de Haïder al-Abadi n'a donc plus aucune légitimité, d'autant plus qu'il reste aujourd'hui aux mains de l'Iran et des milices, qui infiltrent tous les échelons de l'appareil d'État, ajoute la chercheure.

En outre, la Turquie a récemment procédé à certaines manœuvres qui ont fâché l'Irak, comme le fait par exemple d'annoncer en premier la bataille pour Mossoul, avançant même la date du 19 octobre pour le début de l'assaut, rappelle Renad Mansour, chercheur irakien associé au Carnegie Middle East Center à Beyrouth. Coincé entre la Turquie et ses alliés kurdes et arabes sunnites d'une part, et l'ex-Premier ministre chiite Nouri al-Maliki et le Hachd al-Chaabi (Forces de mobilisation populaires, FMP) d'autre part, l'actuel gouvernement irakien est aujourd'hui dans l'impasse, tandis que le Premier ministre Abadi tente de maintenir un semblant d'autorité face à l'opinion publique.

 

(Lire aussi : L'Irak face à mille et un défis pour reprendre Mossoul à l'EI)

 

Droits historiques
Les revendications historiques de la Turquie sur la province de Ninive, perdue en 1923 au profit de l'Irak après la signature du traité de Lausanne, expliquent aussi la volonté d'Ankara de rester coûte que coûte sur place. On retrouve d'ailleurs des échos de ce « néo-ottomanisme », comme l'appelle Mme Benraad, quand la Turquie évoque des « droits naturels » dans la région, clairement en référence à l'Empire ottoman. Pour la chercheure, l'EI va laisser des traces très lourdes derrière lui, même s'il est défait, parce qu'il a provoqué une sorte de « reconfiguration des imaginaires ». « Il a assez largement structuré des poussées impériales connexes, à commencer par la poussée impériale turque, mais aussi iranienne à travers cette velléité d'expansionnisme en Irak, en Syrie et à travers la région », estime-t-elle.

Dans cette configuration, le gouvernement de Bagdad a en fait très peu de marge de manœuvre, d'où la décision annoncée jeudi de saisir le Conseil de sécurité. Cela ne conduira pas nécessairement au retrait des troupes turques, vu la position qu'occupe actuellement la Turquie, redevenue un acteur incontournable sur l'échiquier syrien.

 

(Lire aussi : Deux batailles pour Mossoul)

 

À l'approche d'une opération pour reprendre Mossoul, « quelques semaines » d'après Renad Mansour, il est certain que ces tensions pourraient jouer sur le cours des événements. Bien qu'ayant essuyé des pertes et des revers, l'EI est loin d'être défait et reste omniprésent dans la région. « Il va certainement réagir à un assaut sur Mossoul, entre autres avec des attaques et un retour à la clandestinité », juge Myriam Benraad. Quant aux forces mobilisées, aucune d'entre elles ne s'entendent, ou très peu. Au-delà de l'objectif commun de lutter contre l'EI, il n'y a pas de plan pour l'après-EI, pour la gouvernance. « Tous les acteurs en présence semblent être dans la surenchère, pour voir qui aura la plus grande part du gâteau », dénonce la chercheure, selon laquelle cette logique est aussi en vigueur en Syrie.

Même son de cloche pour M. Mansour, qui estime que cette opération est prématurée, vu l'absence de préparation pour ce qui va venir après la bataille. La Turquie et le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani tentent de mettre le retour d'Atheel el-Noujaïfi (ancien gouverneur de la province de Ninive, où se trouve Mossoul, de 2009 à 2015) et chef du Hachd al-Watani (Forces de mobilisation nationale, FMN) en avant, tandis que le gouvernement central essaie de faire revenir l'ex-ministre de la Défense, Khaled el-Obeidi, souligne le chercheur irakien.

Il y a donc des idées radicalement différentes concernant qui devrait être mis en place une fois l'EI chassé de la deuxième plus grande ville du pays. Les problèmes se révèlent au fur et à mesure que la bataille se prépare, et un vide politique est à envisager. « Cela va de toute évidence affecter le déroulement de l'opération pour reprendre Mossoul à l'EI. Malgré le fait que les différents camps ont plus ou moins les mêmes hommes pour combattre, ils ont en revanche des besoins, mais surtout des ambitions totalement opposées », indique M. Mansour.

 

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Alors qu'une opération pour reprendre la ville de Mossoul à l'État islamique semble proche, les relations entre l'Irak et la Turquie ne cessent de s'envenimer depuis quelques jours. La présence de troupes turques dans la province de Ninive, et plus précisément à Baachiqa, près de la « capitale » du groupe terroriste, n'est pourtant pas nouvelle.Ce serait, en revanche, la prolongation...

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