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À La Une - Reportage

Au Pakistan, le calvaire des filles d'une chrétienne condamnée pour blasphème

Les autorités semblent toujours hésiter entre respect des droits de l'Homme et concessions aux radicaux religieux.

Esham, 18 ans, fille d'Asia Bibi, une Pakistanaise chrétienne condamnée à mort pour blasphème. Photo AFP

Esham et Esha restent souvent confinées à la maison. Les rues de Lahore ne sont pas sûres pour ces deux adolescentes, filles d'Asia Bibi, une Pakistanaise chrétienne condamnée à mort pour blasphème.

On est bien loin des splendeurs du Vatican, où Esham, 18 ans, a été reçue en avril 2015 par le pape François. Le souverain pontife avait alors prié pour leur mère, enfermée depuis des années dans le couloir de la mort d'une prison pakistanaise. "Il m'a bénie", raconte la jeune femme à l'AFP. "Je sens que le pape prie et va continuer à prier pour ma mère et qu'à la fin, grâce à cela, elle sera libérée", poursuit-elle.

Asia Bibi a été condamnée en 2010 en vertu d'une loi controversée sur le blasphème, suite à une dispute avec une musulmane au sujet d'un verre d'eau. Le blasphème est un sujet extrêmement sensible au Pakistan, où l'islam est religion d'Etat. La loi prévoit jusqu'à la peine de mort pour les personnes reconnues coupables d'offense à l'islam. Mais ses détracteurs soulignent qu'elle est souvent instrumentalisée pour régler des conflits personnels via la diffusion de fausses accusations. Et de simples allégations se terminent régulièrement par des lynchages aux mains de la foule ou d'extrémistes. Les chrétiens, minorité persécutée, sont fréquemment visés.

Asia Bibi est devenue un symbole de la controverse sur le blasphème, et six ans après le début de l'affaire, les autorités pakistanaises semblent toujours hésiter entre respect des droits de l'Homme et concessions aux radicaux religieux. En 2011, le gouverneur de la province du Pendjab, le progressiste Salmaan Taseer, a été abattu par son propre garde du corps après avoir défendu la cause d'Asia Bibi. Son assassin Mumtaz Qadri a été pendu au printemps dernier, suscitant la fureur des extrémistes, qui ont exigé que la chrétienne soit exécutée à son tour.
Ces événements ont encore rétréci l'espace exigu dans lequel Esham et Esha pouvaient se mouvoir en sécurité. "Papa me disait de ne pas sortir, que la situation au dehors était très mauvaise" dans les jours ayant suivi la pendaison de Qadri, raconte Esham. "Nous restions à l'intérieur en permanence", ajoute-t-elle, confessant sa peur. "Un jour, quelqu'un va venir et me demander: +Es-tu la fille d'Asia Bibi?+"

Séparés par sécurité

Deux fois par mois, les deux soeurs vont à Multan, à 350 km de là, pour rendre visite à leur mère dans sa prison. "Nous lui parlons de ce qui se passe à la maison", relate Esham. "Je lui fais part de mes pensées, de choses entre mère et fille".

Les visites commencent sur une note joyeuse mais se concluent à chaque fois dans la peine. "Elle s'attriste car ses filles viennent de si loin pour la voir et elle ne peut même pas les serrer dans ses bras", lâche-t-elle.
Esham et sa cadette Esha, âgée de 17 ans et handicapée mentale et physique, vivaient jusqu'à récemment avec un tuteur, séparées de leur père et de leurs frères et soeurs pour plus de sécurité. La famille a depuis pu être réunie.

Selon un décompte de l'organisation Human Rights Watch, 17 personnes se trouvent actuellement dans le couloir de la mort pour blasphème au Pakistan, mais aucune n'a été exécutée en vertu de cette loi.
Le pape Benoît XVI a plaidé publiquement pour la libération d'Asia Bibi en 2010. Le mari de Mme Bibi a aussi écrit au président pakistanais Mamnoon Hussain pour obtenir sa grâce et l'autorisation de partir en France, en vain.

Plusieurs recours ont été rejetés et la Cour suprême n'a accepté que l'an dernier d'examiner son cas. Une audience a été fixée pour la deuxième semaine d'octobre, a indiqué à l'AFP l'avocat de Mme Bibi, Saif-ul-Mulook.

Thèmes 'sacrés'

Cette audience sera extrêmement importante, estime Mustafa Qadri, expert des questions de droits de l'Homme en Asie du Sud. "Il ne fait aucun doute que ce qui est en jeu est véritablement l'âme du pays et de la société pakistanaise: le Pakistan respecte-t-il les droits des plus vulnérables ? Défend-il ces droits contre de fausses accusations, même quand elles touchent à des thèmes sacrés pour la plupart des Pakistanais ?", souligne-t-il, interrogé par l'AFP.
Quel que soit le verdict, les lois anti-blasphème vont continuer d'empiéter sur le respect des droits de l'Homme au Pakistan, estime-t-il. Mais une décision en faveur de Mme Bibi "enverrait un message fort au monde que le Pakistan respecte l'Etat de droit et pas la rue". Les extrémistes, toujours sous le choc de l'exécution de Qadri, "réagiraient certainement avec fureur et sans doute avec violence" à une telle décision, estime-t-il.

L'assassin du gouverneur est présenté comme un héros lors des sermons du vendredi et un monument en son honneur a récemment été construit près d'Islamabad. Des dignitaires religieux continuent d'exiger publiquement l'exécution d'Asia Bibi.
Mais à Lahore, Esham et Esha ne perdent pas espoir. Esham s'éclaircit la gorge, puis dit doucement: "Ma mère sera relâchée. Je vous demande de prier pour elle".

Esham et Esha restent souvent confinées à la maison. Les rues de Lahore ne sont pas sûres pour ces deux adolescentes, filles d'Asia Bibi, une Pakistanaise chrétienne condamnée à mort pour blasphème.On est bien loin des splendeurs du Vatican, où Esham, 18 ans, a été reçue en avril 2015 par le pape François. Le souverain pontife avait alors prié pour leur mère, enfermée depuis des...

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