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Culture - Rencontre

Vanessa Redgrave vit pour aider la société à ne pas devenir folle

À 79 ans, la célèbre actrice britannique reste une avocate passionnée et sincère de la cause des enfants et des réfugiés, militante pour la paix et la justice. Son plus beau rôle, dit celle qui en a endossé plus de 200. Elle en parle à « L'Orient- Le Jour ».

Vanessa Redgrave : derrière ses lunettes, des yeux qui en disent plus long que les mots. Photo Michel Sayegh

Le ciel est d'un bleu serein. Comme le sourire. La poignée de main est vigoureuse. Brève. Business like. Carrure imposante, bien que ses 182 cm soient désormais un peu voûtés, Vanessa Redgrave est à l'évidence une personne qui n'y va pas par quatre chemins. C'est tout droit qu'elle fonce et sans chichis, ni mièvreries. Adepte du less is more, jusqu'au bout de ses longs doigts diaphanes. Chaque geste est lourd de sens. Elle s'exprime par frémissements du visage. Qui en disent plus long que ses phrases souvent laconiques.

Si elle est aujourd'hui à Beyrouth, c'est pour incarner sur scène une personnalité hors normes, une militante comme elle en a peu rencontré, une figure qui mériterait d'être (re)connue à l'étranger comme dans son propre pays. Le ciel s'illumine. « Wadad Makdissi Cortas était une de ces natures bigger than life », dit-elle doucement. « Elle a consacré toute sa vie à l'école Ahlié de Beyrouth, où elle avait elle-même fait sa scolarité avant d'en devenir directrice. Elle y a ainsi passé cinquante années, jusqu'à sa retraite en 1974. Ses Mémoires, rédigés avec tant de chaleur et d'humanité, et si pleins de son désir d'aider ses filles à devenir ces femmes cultivées qu'elles étaient en droit d'être, nous font saisir ce monde détruit par les luttes de pouvoir, mais où la compréhension de la musique, de la poésie et de la littérature était portée par cette femme qui adorait la culture arabe. Cortas aspirait à la paix : pour elle, en travaillant à éduquer ces jeunes filles, elle contribuait à créer les conditions de la paix. Tel est le thème central de la représentation "A World I loved" que nous jouons aujourd'hui. (NDLR : hier et ce soir, à la salle Issam Farès de l'AUBMC) », explique-t-elle.

Pas le genre à s'admirer le nombril, l'actrice de 79 ans met les autres au-devant de la scène. « Nous sommes un ensemble ici présent pour rendre cet hommage », dit-elle. Et de citer les personnes qui y collaborent : les acteurs Najla Saïd et Nadim Sawalha, les musiciens Karim Saïd, Sary Khalifé, Nabih Boulos, ainsi qu'un groupe de chanteurs élèves de l'école centenaire, mené par Leila Dabaghi, chef de chorale de la Lebanese American University.

 

(Pour mémoire : Sur les planches beyrouthines, il y aura... Vanessa Redgrave)

 

« Regarde sur l'atlas »
Le ciel se voile. « Le monde est devenu fou, nous vivons une époque très difficile. Dans ce monde qui part dans tous les sens, le rôle des acteurs, de tous les artistes, est d'aider la société à ne pas devenir folle », note-t-elle. Et d'enchaîner : « Cette conception de l'art m'est apparue suite à mes nombreuses visites à Sarajevo où j'ai passé six mois en compagnie des grévistes et rassemblé des témoignages uniques sur la réalité des femmes et des hommes qui n'avaient pas reçu leur salaire depuis un an. » Avec son fils Carlo (de son second mari, le comédien italien Franco Nero), la célèbre actrice britannique – qui a aidé plusieurs collègues, artistes bosniens, et ceux qui ont fui le totalitarisme et des nationalistes, de toutes régions yougoslaves – a signé un documentaire intitulé Bosnia Rising. « Et c'est donc là-bas que j'ai compris que les artistes vivaient pour aider les gens à survivre », dit-elle. Le ciel s'embrume. Il pleut sur son visage crispé par l'émotion. Elle bafouille : « Les réfugiés ont besoin de nous. Nous sommes eux, et ils sont nous. »

Prépare-t-elle un documentaire sur les camps de réfugiés au Liban ? Le ciel devient glacial. Le ton également : « Toute ma vie j'ai visité des camps de réfugiés. J'ai moi-même vécu la guerre et été déplacée dans mon propre pays. Nous sommes tous des réfugiés. » Et elle cite un poème de W. H. Auden, Refugee Blues. « Autrefois, nous avions un pays que nous pensions être un pays de justice. Regarde sur l'atlas et tu le trouveras là. Maintenant, nous ne pouvons pas y aller, mon amour, maintenant nous ne pouvons pas y aller. »

Le ciel, cette fenêtre sur son âme, s'ouvre à nouveau : « L'histoire de cette femme (NDLR : Wadad Cortas) remplit mon cœur et mon âme d'amour et de force. » Ce qu'elle voudrait faire parvenir aux spectateurs ? « Un état de paix, d'amour et de bien-être, rétorque-t-elle. Que je sois en train de jouer la reine Margaret dans Richard III , de Shakespeare, sur la scène de l'Almeida Theatre, ou que je sois parmi le public assistant à une production modeste d'Oncle Vania de Tchekhov, je garde la ferme conviction que le théâtre est bien l'une des façons les plus directes de transmettre cet état d'être, cet état du monde. »
La « meilleure actrice de notre temps », comme l'avaient qualifiée Tennessee Williams et Arthur Miller (qui ne sont plus du nôtre, c'est vrai), conclut : « La simplicité est le chemin le plus proche de la vérité. » C'est donc en tout minimalisme qu'elle incarnera ce soir une femme arabe féministe et patriotique qui militait pour la paix, à travers les arts et l'éducation.

 

(Pour mémoire : « Rachel et Juliette » de Lynn Redgrave : une affaire théâtrale de famille)

 

« C'est mon histoire. C'est l'histoire d'une femme arabe »
Sur la scène du Issam Farès Hall de l'Université américaine de Beyrouth, devant une salle comble, Vanessa Redgrave apparaît aux côtés des acteurs Nadim Sawalha et Najla Saïd. Ce soir, l'actrice britannique oscarisée sera Wadad Makdissi Cortas, enfant libanaise née avec le XXe siècle et qui a vécu de grands bouleversements. Ancienne directrice de l'école Ahlié qui célèbre aujourd'hui ses cent ans, militante de la première heure, fervente pasionaria de l'émancipation de la femme, Wadad Cortas avait rédigé ses Mémoires en 1976 en anglais pour atteindre un lectorat occidental et lui faire connaître le monde qui était le sien. C'est ce monde-là, A world I loved (Un monde que j'ai aimé – c'est ainsi qu'elle a intitulé son ouvrage), que l'auditoire a touché des sens hier soir (et ce soir également, à 20h00). Un formidable voyage dans le temps, vers une époque ou tout était possible. Alors qu'aujourd'hui, un siècle plus tard, tout semble impossible...

« C'est mon histoire. C'est l'histoire d'une femme arabe. » La voix enrouée de Redgrave joue des intonations en égrenant les Mémoires de Wadad Makdissi sur une musique du trio Karim Saïd, Sary Khalifé et Nabih Boulos, accompagnés d'un chœur formé d'élèves de l'école Ahlié et de la Lebanese American University. Elle ramène avec elle les souvenirs d'une renaissance arabe, d'un siècle de bouleversements entre joug ottoman, guerres, famines, mandat français, accords de Sykes-Picot, mosaïque libanaise, combats pour les libertés, et, surtout, désir de paix et de culture.

Et, pour conclure deux heures de récits personnels, de jalons historiques, d'envolées lyriques, d'une ou de deux piques humoristiques et d'une ou de deux pensées monotones, Najla Saïd – petite-fille de l'auteure et fille de l'historien Edward Saïd et de Mariam C. Saïd – prend la parole pour raconter avec beaucoup d'émotion et de spontanéité ses propres allers-retours entre le Liban et les États-Unis, entre la paix et la guerre, entre les rêves et les désillusions de la jeunesse arabe. Mais c'est déjà une autre histoire. Un autre siècle. Un autre combat.

Le ciel est d'un bleu serein. Comme le sourire. La poignée de main est vigoureuse. Brève. Business like. Carrure imposante, bien que ses 182 cm soient désormais un peu voûtés, Vanessa Redgrave est à l'évidence une personne qui n'y va pas par quatre chemins. C'est tout droit qu'elle fonce et sans chichis, ni mièvreries. Adepte du less is more, jusqu'au bout de ses longs doigts diaphanes....

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