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Nos Lecteurs ont la Parole - Karim NAJJAR

Le petit zeste de confiance

Tirée de la page Facebook « Weyn el-daoulé? » (Où est l’État ?)

Pressé comme un citron depuis toutes ces années, le Libanais n'accorde sa confiance qu'au compte-gouttes. Méfiant là où la méfiance paraît étonnante, suspicieux là où le doute n'est pas utile, il plisse des sourcils et serre les lèvres à chaque fois que son jugement est mis à l'épreuve. Il réitère inlassablement les mêmes mots, se comporte avec la régularité d'un métronome zurichois, dès lors qu'il a un choix à faire, une décision à prendre ou un pouvoir à déléguer. Il doute en permanence. Aucun jardin de la vie n'est exempt de la crise de confiance du Libanais à l'égard de son pays, de ses collègues de travail, et même de sa famille et amis. Il doute en permanence des autres, du système, de la politique, de la man'ouché qu'il vient d'acheter ou de la viande qu'il ramène à la maison : est-ce de la bonne viande ? Est-elle avariée ? Est-ce bien le morceau que j'ai demandé à mon cher boucher que je vois toutes les semaines et que je connais depuis toutes ces années ?
Comme un cancer, l'absence de confiance gangrène notre vie libanaise et dissémine ses méfaits dans toutes les décisions que nous prenons quotidiennement. Qui peut se vanter de n'avoir jamais douté d'une personne, d'un homme politique ou d'un plein d'essence ? Planant comme un fantôme maléfique, le doute empoisonne notre quotidien. Il s'instille dans toutes les discussions et les brouille. L'autre jour, une situation cocasse m'a fait sourire ; je suis passé à ma banque, où toute ma famille est domiciliée depuis de nombreuses années, pour faire une opération sur mon compte. Au cours des démarches, le banquier, désolé et gêné, m'a informé que la signature apposée sur les documents n'était pas tout à fait la mienne. En effet, à moins de faire un copier collé, il m'est difficile de reproduire ma signature à l'identique à chaque fois. De surcroît, n'ayant pas étudié la graphologie et n'étant pas non plus diplômé de criminologie, je lui ai avoué mon incompétence à reproduire à l'extrême identique ma signature. Heureusement, l'affaire se dénoue grâce à l'intervention du chef de service, qui avoue l'absurdité de la situation, mais la justifie en m'expliquant qu'il y a beaucoup de faux et d'escroqueries.
Le doute est magnifique, il a toute sa place dans la science et le progrès de l'humanité, mais le doute quotidien finit par devenir usant. Il est des degrés qui caractérisent notre crise de confiance à l'égard des autres, et des domaines sont particulièrement touchés. Prenons la médecine. Un jour, un médecin spécialiste m'a glissé dans l'oreille, presque fier de lui : « Nous, à Tripoli nous soignons les diarrhées, et pour tout le reste nous préférons les envoyer à Beyrouth. Nous ne voulons pas de problèmes avec les patients, nous soignons les cas les plus simples, car de toute façon, les patients ne nous font pas confiance. » Inutile de préciser que j'étais horrifié par ces propos. Voilà qu'un homme qui a fait 12 ans d'études n'a plus confiance en lui-même.
J'entends souvent mes compatriotes chanter avec joie leur fierté d'avoir vécu toutes ces années de guerre et de souffrance, et de rester confiant en l'avenir. Le Liban, me disent-ils, est « toujours debout sur ses pieds ». Dès lors, c'est moi qui doute. Est-ce que les Libanais ont encore confiance en leur pays ? J'observe aujourd'hui qu'il y a les Libanais qui ont abandonné le Liban et ceux qui sont restés. Ceux qui sont restés n'ont pas vraiment eux le choix et ne rêvent que d'une chose : quitter le Liban. Ceux à l'extérieur n'ont plus confiance et ne reviennent que pour embrasser leur papa, leur maman et manger du kebbé après avoir bronzé à la plage. Puis ils repartent illico.
L'année dernière, j'ai parlé à un cousin qui a émigré en Australie avec sa famille. La quarantaine. Il m'a avoué ne plus avoir confiance. Il m'a dit : « Regarde, nous n'avons même plus confiance en nos politiques pour traiter le problème des déchets. Tu trouves ça normal ? Pour des ordures ? Imagine pour le reste. » Malheureusement, mon compatriote n'a pas confiance, et cela est souvent justifié. Le commerçant sait que la justice est lente et n'aboutit que rarement. Il est donc normal qu'il cherche à sécuriser au maximum ses intérêts.
Il existe des solutions, de nombreuses solutions à cette crise de confiance. J'en citerai au moins une : le rétablissement de l'État, malade aujourd'hui des nombreux blocages institutionnels. Ayons confiance en l'État libanais et accordons-lui une chance pour reconstruire notre avenir. Accordons à l'État ses droits qui nous protègent tous. Cessons de discuter avec le policier qui cherche à réguler la circulation, cessons de douter en notre Liban et son État. Allons voter aux échéances pour une société civile et non confessionnelle,
Faisons un petit « z(g)este » pour rétablir le pacte entre nous, un petit z(g)este de confiance, juste un petit z(g)este, et notre avenir sera meilleur.

Pressé comme un citron depuis toutes ces années, le Libanais n'accorde sa confiance qu'au compte-gouttes. Méfiant là où la méfiance paraît étonnante, suspicieux là où le doute n'est pas utile, il plisse des sourcils et serre les lèvres à chaque fois que son jugement est mis à l'épreuve. Il réitère inlassablement les mêmes mots, se comporte avec la régularité d'un métronome...

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