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Liban - Identité

Dans l’arabe cassé des Libanais de la diaspora, des parcours et des histoires

Certains ont été écartés de la langue de leurs ancêtres dans un souci d'intégration, d'autres pour des raisons liées à un lieu ou à une époque...

C'est le pays de leurs racines, leurs origines. Ils y ont peut-être vécu un certain temps, pendant leur enfance, et s'y rendent chaque été, pour retrouver leur famille et leurs amis d'antan. Deux ou trois semaines de vacances par an, juste le temps de renforcer des liens déjà existants et s'imprégner de souvenirs nouveaux ; ceux d'un mariage longtemps anticipé ou d'une simple promenade en famille sur la côte à Tyr.

Puis arrive le jour du retour, avec les valises bien remplies, vers leur autre patrie, celle de leur quotidien ou même de leur naissance. Que ce soit en France, au Brésil ou aux États-Unis, les membres de la diaspora libanaise se trouvent ainsi à la lisière de deux pays, plusieurs traditions et deux langues maternelles. Ce sont ces dernières, le plus souvent, qui trahissent leur double appartenance, héritages de parents d'origines différentes ou de leur vie partagée entre leur pays d'origine et celui d'adoption.

Or cette identité composée n'est pas toujours manifestement revendiquée. Après toute une vie hors du Liban, à l'exception des quelques semaines de visite par an, les Libanais de la diaspora n'ont peut-être pas le bon accent, ni le prénom qu'il faudrait. Leurs connaissances en arabe classique sont par ailleurs minimes, sinon inexistantes, faute d'avoir jamais dû l'utiliser.

C'est le cas de Julien, étudiant en relations internationales à Paris, dont la mère est turque et le père libanais. « Dès le début, mes deux parents ne me parlaient qu'en français, parce qu'ils pensaient que si j'apprenais les deux langues, je ne les maîtriserais que moyennement », explique-t-il à L'Orient-Le Jour. « Ils voyaient ça comme un moyen d'intégration ; et c'est pour cette raison aussi qu'ils m'ont donné deux prénoms, Julien et Tarik », ajoute-t-il. La difficulté de trouver une école à proximité où l'arabe était enseigné, ainsi que les conseils dissuasifs d'une conseillère pédagogique ont encore davantage découragé les parents de Julien.

L'influence que peut avoir l'environnement scolaire n'est d'ailleurs pas à négliger. Shérin, étudiante gréco-libanaise, est née à Athènes en 1990, quelques mois après le départ de son père du Liban. Elle a parlé l'arabe dialectal avec son père jusqu'à l'âge de cinq ans, puis s'est arrêtée à cause de l'apprentissage parallèle du grec, de l'anglais et du français. Son école, raconte-t-elle, n'offrait que deux ans de cours d'arabe tout le long de sa scolarité, malgré le nombre considérable d'élèves provenant de pays arabophones et les demandes fréquentes des parents. Par ailleurs, ses camarades de classe au primaire se moquaient souvent de ses origines libanaises, la faisant se sentir coupable. « Ils m'appelaient "la petite Albanaise", bien que l'Albanie n'ait rien à voir avec le Liban, et disaient que l'arabe est une langue moche. J'avais aussi plusieurs camarades libanais qui n'admettaient même pas leurs origines et voulaient être considérés comme des Français », souligne-t-elle. Arrivée à l'adolescence, Shérin ne parlait ainsi l'arabe qu'avec sa grand-mère, ou quand il s'agissait d'insulter ses deux frères. Un arabe dialectal et limité à un vocabulaire de base. Elle-même attribue la faute à son père qui n'a pas assez insisté lors de son enfance. « Je lui ai déjà reproché plusieurs fois de ne pas avoir fait assez d'efforts, et depuis, lui aussi a regretté. J'ai l'impression qu'à l'époque mon père avait juste envie de s'enfuir et s'intégrer en Europe pour nous rendre la vie plus facile », précise-t-elle.

Si Julien et Shérin ont été écartés de la langue de leurs ancêtres dans un souci d'intégration et de facilité, l'histoire de Simone, elle, est entièrement différente. Âgée de 67 ans et née en Égypte d'un père libanais et d'une mère égyptienne, Simone a toujours vécu dans une famille majoritairement francophone.
« On ne parlait presque pas l'arabe à la maison. À l'époque, le français était beaucoup plus parlé, étant peut-être considéré comme un signe de distinction sociale par rapport à l'arabe », souligne-t-elle. « Au Liban, je suivais bien sûr des cours d'arabe à l'école, mais je ne peux pas dire que les coups de règle sur les doigts m'avaient beaucoup aidée », ajoute-t-elle, tout en avouant une certaine forme de paresse. À l'âge de 12 ou 13 ans, Simone a quitté le Liban pour la Belgique, et n'a plus pris de cours d'arabe. Il faudra attendre son mariage avec un Libanais, plusieurs années plus tard, pour qu'elle dépoussière ses acquis, à force d'avoir vécu et voyagé dans de nombreux pays arabophones, parmi lesquels l'Égypte, les Émirats arabes unis et le Maroc. D'où le fait que son arabe est aujourd'hui plutôt mélangé, un patchwork composé de multiples dialectes, comme elle s'amuse à le remarquer. Quant à l'arabe littéraire, Simone a longtemps accepté sa défaite. Ce qui l'empêche de comprendre la paperasse administrative ou les articles des journaux locaux. « Je me sens quand même un peu dépossédée de quelque chose, car il s'agit de ma propre langue... Par ailleurs, mon arabe cassé me classe automatiquement parmi "ceux de dehors", sans que ce soit fait avec méchanceté », admet-elle.

 

(Lire aussi : Dans la Békaa, ces villages qui parlent le portugais)

 

Une identité morcelée
Simone n'est pas la seule à faire face à ce sentiment d'exclusion. « Dans la perception des gens, quand tu es née ailleurs et ne maîtrises pas bien ta langue, tu es considérée comme quelqu'un d'extérieur », témoigne Julie, étudiante en droit et sciences politiques à Paris, qui à l'âge de 16 ans a découvert que son arabe était cassé. « Je me suis alors tout de suite remise en cause... C'est comme si la maîtrise parfaite de la langue était la dernière pièce qui me manquait pour être complètement arabe », ajoute-t-elle.

« La dernière pièce »... Deux mots qui insinuent la division de l'identité en compartiments légitimes. Comme si le « droit d'être libanais » (ou d'être français par exemple) était, dans l'inconscient collectif, réservé à ceux qui possèdent toutes les pièces, qu'il s'agisse des relations familiales, de la langue, des habitudes culinaires, du mode de vie... Quiconque revendique une identité plus complexe peut ainsi se ressentir marginalisé, peut-être même repoussé vers le morcellement de son identité en « moitiés » souvent juxtaposées.

Face à cette conception étroite de l'identité, Simone ne se sent pas affectée. « Appartenir à un pays ne se résume pas à la langue. Il y a plein d'autres éléments. Ce qui compte, c'est ma propre manière d'être intéressée, en suivant par exemple l'actualité au Liban, en venant une ou deux fois par an ; c'est aussi les attaches familiales, puis les odeurs... On ne peut pas le décrire en phrases, ce n'est pas cartésien », souligne-t-elle. Or l'assurance avec laquelle Simone défie le regard extérieur, forgée à l'issue d'expériences multiples, n'est peut-être pas entièrement partagée par les plus jeunes, tels que Julien, qui se sent tiraillé entre la perception de son identité et celle qu'on lui renvoie. « Aux yeux de la société française, je ne suis pas tout à fait français, et aux yeux de la société libanaise, je ne suis pas considéré come libanais », déplore Julien. C'est justement son envie d'être « considéré en tant que Libanais et pas comme un simple expatrié » dans son propre pays qui l'a poussé à apprendre le dialecte libanais, tout seul, grâce à ses visites au Liban chaque an. De son côté, Shérin prend, depuis l'année dernière, des cours d'arabe à l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) de Paris. « C'est ma langue et je veux pouvoir la comprendre », dit-elle tout simplement.

 

Pour mémoire

Le pacte linguistique au service du pacte national libanais

C'est le pays de leurs racines, leurs origines. Ils y ont peut-être vécu un certain temps, pendant leur enfance, et s'y rendent chaque été, pour retrouver leur famille et leurs amis d'antan. Deux ou trois semaines de vacances par an, juste le temps de renforcer des liens déjà existants et s'imprégner de souvenirs nouveaux ; ceux d'un mariage longtemps anticipé ou d'une simple promenade en...

commentaires (2)

LA VRAIE DIASPORA... L,ANCIENNE... TOUT CE QU,ILS SAVENT C,EST KOBBE, TABBOULE... DEMANDEZ-LE MOI CAR JE LES AI RENCONTRE UN PEU PARTOUT SURTOUT AU BRESIL ET EN AFRIQUE DU SUD ET BIEN AILLEURS AUSSI...

LA LIBRE EXPRESSION

11 h 48, le 28 septembre 2016

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Commentaires (2)

  • LA VRAIE DIASPORA... L,ANCIENNE... TOUT CE QU,ILS SAVENT C,EST KOBBE, TABBOULE... DEMANDEZ-LE MOI CAR JE LES AI RENCONTRE UN PEU PARTOUT SURTOUT AU BRESIL ET EN AFRIQUE DU SUD ET BIEN AILLEURS AUSSI...

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 48, le 28 septembre 2016

  • " Julien et Shérin ont été écartés de la langue de leurs ancêtres". Pas seulement eux, mais tous les libanais! A ma connaissance, le syriaque, la "langue des ancêtres" n'est enseigné dans aucune école, au Liban.

    Yves Prevost

    07 h 39, le 28 septembre 2016

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