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Santé - Maladies infectieuses

Résistance antimicrobienne : le point de non-retour ?

La résistance aux antibiotiques continue de susciter une vive inquiétude non seulement dans le milieu médical, mais aussi au niveau des chefs d'État et de gouvernement. L'abus de ces médicaments chez l'homme et dans le monde animal, leur utilisation sans indication médicale, l'irrespect du dosage et de la durée du traitement... autant de causes derrière ce phénomène.

Au Liban, la vente libre des antibiotiques, sans prescription médicale, favorise le phénomène de résistance à ces médicaments. Photo Bigstock

Sommes-nous à l'aube de l'ère postantibiotique ? Une fois de plus cette question est remise sur le tapis, mais cette fois-ci au niveau des chefs d'État et de gouvernement ainsi que des responsables de santé de nombreux pays réunis la semaine dernière aux États-Unis, en marge de l'Assemblée nationale des Nations unies.

C'est la première fois qu'un sujet de santé est prévu à l'ordre du jour de cette assemblée. Et pour cause : le problème est de taille. Selon les Nations unies, les infections résistantes aux antibiotiques tuent annuellement plus de 230 000 nouveau-nés. Selon une étude britannique publiée récemment, les bactéries résistantes aux antibiotiques pourraient tuer jusqu'à 10 millions de personnes par an d'ici à 2050, soit autant que le cancer.
La résistance aux antibiotiques est « un tsunami au ralenti », a ainsi déclaré Margaret Chan, directrice générale de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), citant des scientifiques. « Le problème est grave et ne cesse d'empirer », a-t-elle insisté.

En avril 2015, l'OMS avait déploré le manque de mesures prises par les services de santé dans les pays pour lutter contre le mauvais usage des antibiotiques. Dans un rapport qu'elle avait publié sur la réponse des pays au problème de la résistance antimicrobienne, l'agence onusienne avait exprimé son inquiétude face à des « bactéries qui deviennent de moins en moins traitables avec les antibiotiques disponibles ».
« À mon avis, le monde s'est réveillé un peu tard, parce qu'une fois qu'un mécanisme de résistance commence à se développer dans une espèce bactérienne, il est impossible de le stopper ou de l'éradiquer », constate le Dr Jacques Mokhbat, spécialiste en maladies infectieuses. « En fait, la résistance aux antibiotiques est un mécanisme génétique inhérent à la structure de la bactérie et à sa descendance jusqu'à la fin des temps, poursuit-il. Ce mécanisme, qui permet aux bactéries de survivre en luttant contre les agents chimiques qui les menacent, est transmissible génétiquement entre les germes grâce à de petits morceaux génétiques qu'on appelle les plasmides. Le problème, c'est qu'ils sont transmis à des germes habituels banaux qu'on retrouve dans une infection urinaire ou digestive, ou qui sont responsables d'infections importantes chez l'homme, comme la typhoïde qui est causée par la salmonelle. »

Les premiers cas de résistance antimicrobienne ont été observés au niveau des staphylocoques. « Nous avons toutefois atteint un stade où les germes sont de plus en plus résistants à pratiquement toutes les classes d'antibiotiques, relève le Dr Mokhbat. Ainsi, les germes qui étaient classiquement très sensibles à la pénicilline, comme le pneumocoque et le gonocoque, sont maintenant résistants à cet antibiotique, voire à d'autres médicaments auxquels on a recours pour remplacer la pénicilline. »
Les spécialistes ont, en fait, constaté que « les mécanismes de résistance les plus problématiques sont ceux développés aux molécules qui classiquement ne sont pas toxiques, principalement aux bêtalactams, au nombre desquels figurent les céphalosporines, des antibiotiques apparentés à la pénicilline ». « Au cours des deux dernières décennies, les carbapénèmes, une classe d'antibiotiques également apparentés à la pénicilline, ont vu le jour et avaient la spécificité de pouvoir surmonter le mécanisme de résistance des bactéries, note le Dr Mokhbat. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. »

 

(Pour mémoire : L’usage des antibiotiques au Liban reste anarchique)

 

Principe de sélection
Le phénomène de résistance est dû à un principe de sélection. « La surutilisation des antibiotiques surtout pour de mauvaises indications, comme pour une infection virale ou en cas d'absence d'infection, a entraîné une pression sélective, explique le Dr Mokhbat. Ainsi, en détruisant les bactéries sensibles, on a permis aux bactéries résistantes de mieux apparaître. On évoque même la possibilité que certains mécanismes de résistance soient induits par l'utilisation des antibiotiques. »

Le recours à des doses faibles d'antibiotiques favorise aussi ce phénomène de résistance. Souvent, « les médecins prescrivent des doses faibles par peur de la toxicité des médicaments ». Quant aux patients, ils peuvent choisir de diminuer les doses « pour des raisons économiques ». « Les compagnies pharmaceutiques jouent aussi un rôle puisqu'elles n'insistent pas sur les divers dosages des médicaments pour éviter la toxicité et par conséquent la mauvaise réputation de leur médicament, observe le Dr Mokhbat. Au fil des ans, les germes deviennent progressivement moins sensibles aux antibiotiques, même en l'absence d'un mécanisme de résistance franc. Donc, la quantité nécessaire de médicaments pour arrêter un germe augmente forcément. »
La durée du traitement (trop court ou trop long) figure aussi au nombre des causes jouant un rôle dans la résistance aux antibiotiques. Idem pour le recours aux antibiotiques pour prévenir les infections. « Or les infections ne peuvent pas nécessairement être toujours prévenues, insiste le Dr Mokhbat. En donnant des antibiotiques, on ne fait que sélectionner des germes résistants. »

À cela s'ajoutent « l'utilisation abusive des antibiotiques en cas d'infections virales, qui constituent plus de 90 % des infections observées en milieu extrahospitalier, le recours à ces médicaments de façon empirique pour lutter contre une fièvre et leur vente sans prescription médicale, ce qui les rend accessibles et faciles à prescrire par tout un chacun ». « Il faut absolument suivre les indications médicales des antibiotiques et n'en prendre que sur une prescription médicale, martèle le Dr Mokhbat. Le pharmacien doit de son côté avoir une autodiscipline et refuser d'en vendre sans ordonnance. »
« Le drame, c'est que le plus grand marché des antibiotiques se trouve dans le monde animal, fait remarquer le Dr Mokhbat. Plus de 70 % des antibiotiques dans le monde sont utilisés chez les volailles, mais aussi chez les bovins, les ovins et même chez les poissons. Les éleveurs essaient de cette manière d'éviter des épidémies dans un monde surpeuplé. Or l'antibiotique va se retrouver dans la chair de l'animal. À chaque fois qu'on en consomme, on prend une petite dose d'antibiotiques. »

Par ailleurs, « les plasmides contiennent des gènes de résistance aux antibiotiques, mais aussi aux métaux lourds et aux antiseptiques ». « Donc, la surobsession par le recours aux produits de nettoyage, aux antiseptiques, aux pesticides, etc. va nécessairement entraîner une sélection de germes résistants aux antibiotiques », constate le Dr Mokhbat.

 

(Lire aussi : Pour agir contre la résistance aux antimicrobiens, c’est maintenant ou jamais)

 

Rançon de la modernisation de la médecine
Pour le spécialiste, « on a atteint le point de non-retour, d'autant que les compagnies pharmaceutiques n'arrivent plus à développer de nouvelles classes d'antibiotiques ». « Premièrement, parce qu'il devient de plus en plus difficile de trouver un mécanisme d'attaque différent puisqu'en développant plusieurs classes d'antibiotiques, on a pratiquement ciblé tous les mécanismes de fonctionnement des bactéries, avance le Dr Mokhbat. Deuxièmement, parce que les compagnies pharmaceutiques ne sont pas intéressées par la fabrication des antibiotiques, notamment en raison du manque de contrôle commercial du brevet de fabrication. Ce médicament est facile à fabriquer. Donc, s'il réussit, il est facile à copier par les compagnies pirates. Les laboratoires pharmaceutiques, ne rentrant pas dans leurs frais, préfèrent ainsi se lancer dans la fabrication de molécules plus complexes comme les agents biologiques (anticancéreux et autres). »

« La résistance aux antibiotiques est la rançon à payer pour la modernisation de la médecine, observe le Dr Mokhbat. Grâce à cette classe de médicaments, de nombreuses avancées médicales ont été possibles et des patients fragiles, comme les insuffisants rénaux, les diabétiques, les gros cardiaques, les transplantés, les cancéreux, les prématurés..., ont pu être maintenus en vie. Malheureusement, si on entre dans l'ère postantibiotique, on va perdre tous les acquis de la médecine moderne, ce qui est excessivement grave. »
Et le Dr Mokhbat de conclure : « Il faut espérer trouver des mécanismes d'action qui soient différents et efficaces. Notre espoir réside dans la recherche médicale scientifique, mais aussi dans la discipline des patients et l'application par les corps médical et pharmaceutique des directives médicales scientifiques. Rien d'autre. »

 

 

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