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Économie - Emploi

La hausse des licenciements au Liban, signe d’un marché de l'emploi dysfonctionnel

Régulièrement dénoncée mais mal mesurée, cette tendance ne résulte pas seulement de la conjoncture, mais aussi de maux chroniques au Liban.

Le ministère du Travail s’inquiète de la hausse des licenciements à Beyrouth, notamment dans le secteur tertiaire. Photo P.H.B.

Si l'emploi figure, de toute évidence, parmi les principales victimes de la conjoncture morose que subit le Liban depuis quatre ans, l'absence chronique de statistiques fiables rend impossible la mesure de l'ampleur du chômage. Le dernier taux de chômage estimé par l'Administration centrale de la statistique (9 %) est celui de son enquête sur le budget des ménages de 2011-2012. Le rapport Miles publié en 2013 par la Banque mondiale (BM) fait, lui, état d'un taux de 11 % pour 2010, mais la BM a régulièrement indiqué que le chômage avait significativement augmenté depuis, sans donner de taux. De son côté, le ministère du Travail estime que le taux de chômage se situe actuellement aux environ de 25 %.

Chiffres sous-évalués
Une hausse significative notamment alimentée par celle des licenciements. Début septembre, le ministre du Travail, Sejaan Azzi, a fait état de 2 181 employés licenciés dans Beyrouth administratif sur les 7 premiers mois de 2016. « Il s'agit du nombre de plaintes recensées par les inspecteurs du ministère. Sur tout le territoire, ce chiffre devrait être autour de 13 000 et concerne principalement le tourisme et les services », déclare M. Azzi à L'Orient-Le Jour. Cependant, si le ministère affirme que ces chiffres témoignent d'une hausse des procédures, il n'a pas été en mesure de la quantifier.

De son côté, le président de l'Union nationale des syndicats des travailleurs (Fenasol), Castro Abdallah, estime que les données du ministère sont sous-évaluées. Il affirme avoir traité depuis le début de l'année « 30 à 40 requêtes par jour en moyenne » – entre nouvelles demandes ou suivi de dossiers en cours – émanant d'employés visés par des procédures de licenciement. « Ce chiffre – qui représente une moyenne base dans la mesure où nous ne pouvons comptabiliser que les cas qui nous sont signalés –, a doublé par rapport à l'année dernière », poursuit M. Abdallah.

La hausse du nombre de licenciements s'explique d'abord par l'impact de la situation politico-sécuritaire au niveau local et régional sur la situation économique. Des facteurs qui ont poussé la BM à baisser de 0,7 point son estimation de la croissance du PIB libanais en 2016, à 1,8 %. « Toutes les digues sont sur le point de craquer et on peut craindre une explosion des licenciements si la situation reste en l'état », déplore le président de l'Association des commerçants de Beyrouth, Nicolas Chammas.

« Faisant face à une crise des liquidités, les entreprises ferment certains départements ou les font fusionner pour diminuer leur masse salariale. Si ça ne suffit pas, elle peuvent aussi licencier une partie de leur personnel et confient les tâches qu'ils exercent aux employés qu'ils décident de garder », confie un entrepreneur sous couvert d'anonymat. « Un représentant de commerce peut ainsi se retrouver obligé d'assurer aussi les livraisons, avec ce que cela implique comme changement en terme de conditions de travail ou de flexibilité horaire. Il ne sera pas forcément mieux rémunéré mais aura plus de chances de garder un emploi », détaille-t-il.

(Lire aussi : Comment l'économie libanaise pousse les jeunes à émigrer)



Autre facteur non négligeable depuis la crise syrienne, la présence de plus d'un million de réfugiés syriens qui offrent une alternative à moindre coût. « Certains entrepreneurs licencient leurs employés libanais pour embaucher des Syriens à des salaires moins élevés », rappelle M. Abdallah. Une situation dénoncée depuis des mois par le ministère, qui a notamment décidé, le 29 août, de durcir les sanctions contre les entreprises employant de manière illégale des travailleurs étrangers.

À ces causes conjoncturelles s'ajoutent celles liées à la stratégie économique des entreprises. « Certaines entreprises se positionnent sur des créneaux déjà saturés, simplement parce qu'ils sont réputés rentables », explique l'entrepreneur précité. « Il y a par exemple une vingtaine de distributeurs de marques de biscuits pour bébé au Liban pour trois marques qui se vendent bien », s'agace-t-il, pointant du doigt « une absence de régulation qui finit par pénaliser les entrepreneurs comme leurs employés. » Un constat partagé par le patronat et les syndicats, qui ne s'accordent toutefois pas sur la façon d'y remédier. Le Fenasol se dit ainsi favorable à la création d'une autorité pour réguler la concurrence, une idée rejetée par M. Chammas, qui se dit « attaché au système libéral. »

 

(Lire aussi : Les économies arabes ravagées par la guerre et la crise des réfugiés)

 

« Compter sur eux-mêmes »
Enfin, si les syndicats et le ministère du Travail ne nient pas le doit aux entreprises de licencier, ils dénoncent les procédés parfois utilisés. « Le ministre s'inquiète particulièrement de la hausse des licenciements collectifs qui composent la grande majorité des procédures répertoriées et devraient être notifiés au ministère, selon la loi », précise M. Chammas. « De nombreux travailleurs ne connaissent pas leurs droits en la matière et les entreprises en profitent », accuse M. Abdallah. « Une grande partie des procès dans ce domaine concernent des licenciements abusifs », rebondit Me Michel Kadige, un avocat spécialisé dans ce domaine. Le ministère du Travail avance de son côté que « 40 % des procédures finissent devant le Conseil arbitral du travail » – juridiction compétente pour statuer sur les litiges entre employeurs et salariés.

Les procédures de licenciement son régies par le code du travail qui fixe les motifs recevables, la durée du préavis ainsi que le montant des indemnités. « Dans les faits, les délais de procédures sont extrêmement longs, et même si en théorie, le recours devant le Conseil arbitral du travail est gratuit (à l'exception des frais de justice qui sont supportés par la partie perdante, selon l'article 80), beaucoup d'employés préfèrent jeter l'éponge et tenter de retrouver un autre emploi », poursuit Me Kadige. « Le véritable problème, c'est qu'ils ne peuvent alors compter que sur eux-mêmes et leur entourage pour obtenir gain de cause contre leur ancien employeur », ajoute-t-il encore, rappelant par ailleurs que le Liban ne possède pas de système d'allocation-chômage.

Même son de cloche du côté de M. Abdallah qui estime que les efforts du ministère du Travail pour soutenir les employés « ne sont pas suffisants ». Le ministère considère de son côté qu'il « n'a pas les moyens humains nécessaires – avec une douzaine d'inspecteurs du travail pour tout le territoire – pour se battre sur tous les fronts ». Un aveu de faiblesse cristallisé par l'inefficacité de l'Office national pour l'emploi, administration autonome rattachée au ministère du Travail créée en 1977, et qui a pour mission notamment d'organiser des ateliers de formations et de proposer des offres d'emploi. Un organisme dont l'inefficacité est aussi bien déplorée par les syndicats que par les services du ministère.


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