Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole - Abdel Hamid EL-AHDAB

II - Grozny : un pacte de Bagdad à nouveau

Pour revenir à Grozny, la tenue de la conférence (baptisée du nom de Conférence mondiale des oulémas musulmans) nécessite quelques remarques, parce que jouer aujourd'hui avec le feu religieux en politique brûle les doigts, ainsi que des pays, et tue et détruit sans profit.
Il est certain que la tenue de la conférence a bénéficié du soutien et de la bénédiction du président russe Vladimir Poutine, et il est clair qu'il s'agissait d'une conférence politico-religieuse annonçant une alliance russo-égyptienne sentant un peu le soufre de la politique du Nouri Saïd d'antan... Grozny a été choisie pour la conférence parce que ce lieu a un sens, cette ville ayant subi de la part des Russes ce que subit aujourd'hui la Syrie en massacres et destructions. Elle avait fini par être anéantie en entier avant qu'on ne la soumette au nouveau sultan russe, Poutine.
Cette conférence politique russo-égyptienne s'est tenue à une période où les sages de l'islam prônaient la recherche de réformes religieuses à l'exemple de celles entreprises par les protestants au sein de la chrétienté. Une réforme, une refondation, une révolution culturelle, une intifada, peu importe le nom. L'important est qu'une recherche est en cours pour faire retrouver à l'islam sa vérité. La conférence de Grozny, elle, est très éloignée des problèmes des musulmans et de leur pensée religieuse. Et ce pour cinq raisons...
1. Elle est une alliance politique russo-égyptienne conclue au nom de la religion.
2. Elle s'est tenue à Grozny où ont eu lieu des massacres similaires à ceux perpétrés aujourd'hui par les Russes en Syrie. Elle ressemble fort au pacte de Bagdad.
3. Le wahhabisme est un mal. C'est un hanbalisme sectaire né et fait pour le désert sec et aride qui a précédé l'apparition du pétrole. L'Amérique a collaboré avec cette anomalie religieuse à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour contrer le communisme. Ce fut ensuite une alliance, un arrimage voulu par l'Amérique qui l'utilisa en Afghanistan pour faire tomber l'Union soviétique. Mais l'embarcation a crevé et les amants se sont séparés le 11 septembre 2001...
4. Le cheikh d'al-Azhar et le grand mufti d'Égypte sont, selon la réglementation sunnite, des fonctionnaires de l'État égyptien qui touchent leurs salaires de cet État et se conforment aux instructions de ses dirigeants. Leur marge en matière de réformes religieuses est limitée et ils doivent obéir aux directives politiques supérieures. Mais où va l'Égypte au cœur de ces tempêtes qui secouent la région ? Serait-ce vers une alliance avec la Russie, à l'exemple de l'Irak qui a noué une alliance avec l'Amérique lors de la conclusion du pacte de Bagdad (avec tout ce qu'il a entraîné comme malheurs et tout ce qu'il a fait chuter comme gouvernants) ?
5. Les religieux sunnites sont affiliés à l'État qui leur verse des salaires au même titre que les fonctionnaires, contrairement aux religieux chiites qui sont indépendants et dont les revenus ne proviennent pas des fonds publics, mais de fonds religieux.
Le grand conflit qui secoue les religieux chiites, l'imam Moussa Sadr, qui appartenait à un courant selon lequel les religieux doivent être indépendants du pouvoir et s'en saisir plutôt eux-mêmes ou le contrôler tout au moins, s'y est probablement heurté. Cela a été le cas le jour où Mossadegh renversa le chah. Le courant de Moussa Sadr avait reçu d'ailleurs un appui des plus larges.
Qu'a apporté en définitive la conférence russo-égyptienne de Grozny si similaire au pacte de Bagdad ? On en retiendra six recommandations...
1. La création d'une chaîne de télévision pour combattre l'extrémisme.
2. Accorder un plus grand intérêt aux réseaux sociaux.
3. La création d'un centre laïque en Tchétchénie.
4. Le retour des écoles de formation des oulémas (mais pour enseigner quel islam ? Celui du Livre ou celui de la nouvelle alliance russo-égyptienne).
5. L'accroissement du niveau de coopération entre les institutions scientifiques.
6. Le création par les gouvernements de conseils visant au soutien des institutions religieuses.
La conférence a recommandé enfin aux gouvernements de promulguer des lois incriminant la propagation de la haine et l'encouragement à la sédition.
Ce nouveau pacte de Bagdad, qui constitue en fait l'alliance russo-égyptienne, est en réalité un pacte politique qui n'est religieux qu'en apparence. La Russie compte en effet 20 millions de musulmans. L'Égypte souffre de ses Frères musulmans qui ont voulu assassiner Nasser en 1956. Ce dernier leur a dressé des potences, mais n'a pas combattu leur islam, leur wahhabisme ou leur arriération, ce qui a fait que leur islam a survécu, est parvenu au pouvoir et a risqué de le monopoliser, mais en a été empêché grâce à la bonté divine. Le vrai pacte de Bagdad avait été conçu contre le communisme et le pacte russo-égyptien a été conclu pour combattre les islamistes et les jihadistes. Le véritable but du pacte de Bagdad était d'étendre l'hégémonie américaine en Orient et de soutenir Nouri Saïd confronté au nassérisme et aux nasséristes. Il est mort parce qu'il était un pacte contre la renaissance, le développement et l'indépendance d'une région.
Aussi le pacte russo-égyptien va-t-il connaître le même sort.
L'islam a besoin d'un mouvement réformateur, d'une révolution qui entame d'abord un travail rectificatif et réparateur, affirmant haut et fort plusieurs points...
1. Que l'islam est un message et non un État.
2. Qu'il est une religion de liberté.
3. Qu'il n'admet pas ce profond fossé entre les riches et les pauvres.
4. Que la liberté en islam a besoin d'une détermination de son sens religieux exact.
5. Qu'il a besoin d'hommes qui brandissent l'étendard de la paix et de l'amour en son nom même.
6. Que la femme doit recouvrer sa noblesse humaine et sa dignité. Pour cela, la jurisprudence est très fournie et doit pouvoir déterminer le sens de l'honneur en islam.
7. Qu'il faut redonner à l'islam son sens moral élevé : « Tu es d'une moralité sublime. » Il a besoin en effet d'une application effective de son système moral plutôt que de manifestations religieuses cachant le mensonge, la fraude, la violence et la ruse.
8. Qu'il faut éliminer l'esclavage en islam : le roi Fayçal ben Abdelaziz a effectué un grand pas en abolissant l'esclavage, mais les autres États et régimes islamiques sont demeurés muets sur ce point. Ils ne l'ont pas aboli, mais ne l'ont pas pratiqué.
Ce travail est à faire, mais pas à Grozny, qui est le nouveau tombeau de l'islam et qui a accueilli une alliance politique qui lui est étrangère. Faisons-le en Tunisie, ou au Maroc, où il existe un islam civilisé, moral, audacieux. En ces moments graves que traversent l'islam et les musulmans, al-Azhar n'a trouvé de remède qu'à Grozny, en Tchéchénie, chez Poutine !
Il faut le répéter : se taire, c'est mou.

Abdel Hamid EL-AHDAB
Avocat

Pour revenir à Grozny, la tenue de la conférence (baptisée du nom de Conférence mondiale des oulémas musulmans) nécessite quelques remarques, parce que jouer aujourd'hui avec le feu religieux en politique brûle les doigts, ainsi que des pays, et tue et détruit sans profit.Il est certain que la tenue de la conférence a bénéficié du soutien et de la bénédiction du président russe...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut