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Lifestyle - Photo-roman

Mais qui a eu donc cette idée folle...

Photo Gilles Khoury

« Oui, c'est qui qui a eu cette idée folle un jour d'inventer l'école ? » demandait-il sans trêve à une maman enfouie dans ces emballages plastiques qui rétablissaient, même si elle ne l'admettra jamais, toutes ses rancunes d'écolière. Pour le petit Nicolas, comme la plupart des enfants de la planète Terre, il est impossible de choisir, inutile d'insister. La rentrée scolaire n'a pas de saison et vient le faucher quand ça lui chante. Mais si tant est qu'il faille obligatoirement réintégrer ces bancs où s'affale la contrainte, il trouvait que le ciel était encore trop bleu pour ça, l'air trop sucré, les champs trop verts. Les arbres pas assez grimpés, les ballons pas assez cognés, l'indolence pas assez spoliée. À la veille de la rentrée, dans la papeterie du coin, il avait compris que les parents sont de piètres stratèges. Qu'ils se braquent sur quelques arnaques du genre « Choisis le cartable que tu veux hayété ! » et autres accumulations d'effets d'aubaine tel « Tu vas adorer l'école avec ta trousse Hello Kitty ! » pour amadouer des enfants crédules et leur faire oublier le supplice du lendemain. Rien à faire pour Nicolas. Demain il passera en 11e et aucun cartable à roulettes, nulle pastille Star Wars ou gomme multicolore ne réussira à rayer l'appréhension de ce moment qui façonne des boules au ventre.

Nuit sans sommeil
Il est 6h du matin et Nicolas est en costume à écusson piquant comme les collèges jésuites les avaient inaugurés à l'époque de son papa. Des baskets délacées et une liquette prête à jaillir du bermuda à défaut d'avoir été portée depuis juin dernier. La nuit sans sommeil lui a affolé l'épi coupé de frais et lui a charbonné les cernes, pour chagriner davantage un regard que sa maman tente de nuancer, de consoler, surtout : « Tu vas retrouver tes copains, apprendre plein de nouvelles choses. Ça va être génial ! » Que nenni. Dehors, l'aube brouillardeuse a les tristesses qui siéent bien à cet instant quasi morbide, où les coqs fanfaronnent la fin d'un été encore suant. L'obscurité est ensemencée de néons grésillants. Tristes lunes ronflantes qui éclairent des écoliers attendant l'autocar, cramponnés au bras d'un parent en pyjama ou d'une jeune fille en uniforme. Ils sont tous très jeunes, comme Nicolas, naufragés dans un monde où les vieux ne sont pas prêts d'éradiquer ce pénible rituel de septembre.

(R)avaler ses larmes
L'allée qui mène vers le sinistre bâtiment du primaire est droite et aiguisée comme une lame qui tranche les attaches dans la peine. Voici donc venu le moment de la séparation avec les parents. Sa maman lui dit : « Nicolas, tu es en 11e à présent, je ne peux plus t'accompagner en classe, tu iras comme un grand. Je suis fière de toi. » Son petit cœur en sucre candide lui tambourine alors le plexus, prêt à lui arracher le thorax et électriser ses canaux lacrymaux. Mais Nicolas fait comme si de rien n'était. Il tire l'épée contre ses mélancolies taquines et (r)avale son torrent de larmes, car il détesterait qu'on le surprenne affichant morosité dolente et spleen pleureur. Surtout qu'il a déjà repéré la bande de gouailleurs à baskets-crampons qui ne cessaient de parodier sa voix fluette et ses lunettes à double foyer, l'an passé.

Sœur Souad
Le couloir des 11es a l'odeur orpheline d'une eau de Javel de deuxième catégorie mêlée à la peinture encore fraîche des portes qui s'ouvrent sur des classes où les copains sont ravis de se retrouver dans la même section. Dans le bureau de sœur Souad, les parents se font du coude pour avoir les faveurs de cette « préfète » qui brandit le bic rouge de son haut voltage en répétant inlassablement : « Non madame, je ne mettrai pas votre fils en 11e 2. Tous les profs du collège sont aussi bons ! » Clopinant sous un cartable qui fait trois fois son poids, Nicolas se précipite alors vers le panneau des listes de classe. Près de son nom, il est marqué 11e 4. Nicolas s'installe à la fenêtre, d'où il repère ses parents cachés derrière un poteau. Pour s'empêcher de pleurer, il ouvre son cartable qui fleure bon la maison et le parfum de sa maman. Il y a des tartines enroulées dans du papier alu, une pléthore de chocolats et une poire du verger de la maison de montagne. Derniers morceaux de ses vacances qui, comme lui, grandissent et passent de plus en plus vite.

 

Chaque samedi, « L'Orient-Le Jour » vous raconte une histoire dont le point de départ sera une photo. C'est un peu cela, un photo-roman : à partir de l'image, shootée par un photographe, on imaginera un minipan de roman, un conte... de fées ou de sorcières, c'est selon...

 

 

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