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Liban - Boussole

Contre la politique du cartable

«La politique du cartable » est celle du voisin de classe qui érige son cartable en rempart infranchissable contre le camarade qu'il perçoit comme un rival dangereux, au point qu'il ne veut plus en entendre parler, ou le voir. Surtout qu'il ne me copie pas... La politique du cartable est une maladie sociale qui sévit au Liban en particulier. Médiocres enjeux, grandes jalousies parmi les citoyens en sont les ingrédients de fond : « Petit pays, petits moyens », dans une formule amusée du premier roman policier de Percy Kemp.

Jalousie et envie ne sont pas l'apanage des seuls petits pays, il est vrai. Elles forment la trame essentielle de la vie humaine. Elles ont même du bon, dans une vision darwinienne ou freudienne de la pulsion de vie. Mais dans un petit pays comme le Liban, la politique du cartable est une règle pratiquée en modus vivendi sociopolitique. Le voisin professionnel ou politique y est considéré un rival qui constitue un danger de principe. Les moyens étant petits comme le pays, il faut ignorer ce trouble vie jusqu'à le détruire, parce qu'au lieu de le voir en camarade, collègue, concitoyen, son existence est avant tout celle d'une menace pique-assiette.

Dans un petit pays comme le nôtre, dont les horizons sont limités, et où tout le monde connaît tout le monde, la politique du cartable est d'autant plus pratiquée que les opportunités sont réduites. Un seul poste à l'université et des dizaines de candidats émergent. Aux États-Unis, même en France, il est difficile de devenir professeur d'université, mais il y a quand même des dizaines de postes et ils tournent. La politique du cartable y existe, mais l'étendue du pays et une mentalité qui accepte la compétition ouverte comme une richesse la rendent moins dure, moins acerbe, moins personnalisée. Lorsqu'un poste se libère au Liban, en entreprise ou au gouvernement, le concitoyen est perçu comme un danger incarné.

Cette perception va de la présidence de la République jusqu'au concierge de l'immeuble dans un quartier bourgeois. Les braves maronites qui rêvent de devenir présidents en viennent à traiter tous les autres maronites comme des rivaux, à l'instar du concierge qui est terrifié à l'idée que le syndic ne nomme un membre de son village plutôt que lui pour la cage de l'immeuble. À défaut de pouvoir les détruire physiquement, passe-temps qu'on a également connu, on l'ignore pour l'écarter. Je choisis l'exemple des maronites parce qu'ils sont les plus ridicules ces temps-ci, avec un maronite en particulier qui a développé la politique du cartable jusqu'à annoncer publiquement que c'est lui le président ou personne. Mais c'est vrai également des présidents du Conseil et de la Chambre dans leurs petits réduits confessionnels respectifs. Il suffirait de dire « Rifi » à M. Hariri pour le faire entrer en syncope de destruction, sinon d'ignorance. Etc. druze, grec-orthodoxe, protestant...

Le blocage des postes dans tous les secteurs de la vie publique et une économie en contraction rendent hélas le cartable plus volumineux, dressé toujours plus haut devant le voisin. La présidence de la République, pour y revenir, renforce d'autant plus cette politique que le poste est vacant, que la vacance perdure, et que les aspirants présidents la voient comme une chance qui ne se reproduira plus. Ils érigeront le cartable le plus épais pour pallier à sa rareté et leur chance d'y accéder.

Plus modestement, dans la mal nommée société civile, c'est le manque maladif de civilité qui épaissit le cartable. Les « tal3at rihitkun » ignorent les « khulsit midditkum », Beyrouth madinati rivalise avec la voirie définie au Metn, petits partis et groupes se multiplient dans le pays. Mais cette floraison et cette richesse sont une chance, à condition que ces rassemblements ne vident leurs énergies à se saboter les uns les autres. Akl Awit a mis le doigt sur la plaie dans une série de critiques éditoriales, appelant à une coopération contre la politique du cartable entre les très nombreux groupes qui en ont marre de la politique politicienne, et que tout devrait rassembler. Il faut coopérer, il ne fait aucun doute, en même temps qu'agir « bi-man hadar' », aller de l'avant sans s'attarder sur les retardataires, dans une action à géométrie variable qui profite de toutes les initiatives, tout en étant consciente des mentalités profondes propres à notre petit pays d'ego enflés. Politique du cartable à amenuiser par une géométrie variable de l'action.

À ce soir donc pour une dénonciation, sur la place de la Constitution, de la politique du cartable dans son danger à la société civile, et dans son application massive par les rivaux maronites à la présidence. La Constitution, comme l'amour d'une mère chez Victor Hugo pour ses enfants, fait une place à ses citoyens de manière à ce que chacun ait sa part et que tous l'aient en entier.

 

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