Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Analyse

Le projet de réconciliation entre Damas et Ankara ou le retour à la realpolitik

La tentative de putsch contre le président turc Recep Tayyip Erdogan est intervenue dans un contexte où non seulement les discussions entre Turcs et Russes étaient déjà très avancées, mais à la suite du gage de bonne volonté donné par Ankara avant la tenue du sommet de l'Otan à Varsovie.

Poignée de main entre Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan au palais Constantin, près de Saint-Pétersbourg, le 9 août 2016. AFP

Les révélations du quotidien libanais as-Safir sur une prochaine rencontre entre les présidents turc et syrien à Moscou ont pris une tournure polémique. Les doutes exprimés sur la fiabilité des informations et les réserves émises sur le revirement spectaculaire turc, en raison de ses implications sur l'issue de la crise syrienne, ne pèsent pas lourd face à l'observation des faits. Ceux-ci témoignent d'un changement en cours, officialisé par les déclarations turques en juin dernier. Le 2 septembre, le Premier ministre turc Binali Yildrim a affirmé à la télévision : « Nous avons normalisé nos relations avec la Russie et Israël. À présent, si Dieu le veut, la Turquie a pris une initiative sérieuse pour normaliser ses relations avec l'Égypte et la Syrie. »

Sans conteste, ces propos expriment un revirement sans précédent. Ankara est passé d'une posture intransigeante, appelant au départ immédiat du président syrien Bachar el-Assad, à une posture assumée de normalisation progressive avec la Syrie. Ce changement de fond dans la gestion turque de la crise syrienne est principalement lié à l'évolution de la donne interne en Turquie et la révision des options stratégiques depuis la tentative de putsch.

D'un côté, le renforcement de la capacité de nuisance des Kurdes en Turquie et leurs avancées significatives dans le nord de la Syrie ont constitué aux yeux des Turcs un danger imminent, les amenant à intensifier leur lutte contre cette menace dans un contexte d'affaiblissement de l'autorité de l'État. De l'autre, le coup d'État avorté, qui est passé au premier rang des préoccupations du président Erdogan, a entraîné une redéfinition des priorités et de nouveaux calculs politiques qui convergent avec les propositions avancées par Moscou pour un apaisement des tensions géopolitiques régionales. La dynamique interne reste donc un élément décisif pour comprendre la « rupture » et remettre en perspective ce changement.

Les circonstances troubles liées à la tentative de coup d'État du 15 juillet et les fortes tensions entre Turcs et Américains au sujet de l'extradition de Gülen, apaisées depuis la visite de Joe Biden en Turquie, traduisent en réalité une crise plus profonde. Le président Erdogan a accusé directement le gouvernement américain d'avoir soutenu le coup d'État. La presse turque et des analystes proches des cercles de pouvoir ont avancé la thèse d'un soutien actif de Washington aux putschistes, une configuration aux conséquences géopolitiques majeures.

(Lire aussi : Erdogan ne tolérera pas de "couloir de la terreur" dans le nord de la Syrie)

Une plausible implication américaine dans le putsch

Cette thèse repose d'abord sur l'implication du commandant Bekir Ercan Van, commandant de la base aérienne d'Incirlik, base stratégique qui abrite l'arsenal militaire de l'Otan et des armes nucléaires. Sur cette base, qui accueille un contingent de l'US Air Force et sert de support aux opérations de l'Otan, les commanditaires, issus de la 3e division de l'armée turque, avaient des connexions étroites avec les Américains. Par ailleurs, des sources bien informées, ayant eu connaissance du contenu du rapport du Conseil de sécurité russe, ont révélé au quotidien as-Safir le rôle joué par les Russes dans la découverte du coup d'État en préparation. En réalité, depuis l'affaire Ergenekon en 2007, cette organisation impliquant des militants de l'extrême droite turque, dont l'ancien chef des renseignements militaires, le général Ismail Haki bekin, et accusée de vouloir provoquer un coup d'État militaire en Turquie, une restructuration profonde est intervenue au sein de l'armée turque. La décision (après les soupçons d'Erdogan sur une tentative de coup d'État en 2011) de placer les communications internes de l'armée sous le contrôle direct des services de renseignements turcs aurait contraint les auteurs du coup d'État de juillet à ouvrir un canal de transmission externe pour préparer leurs opérations. Les Russes, ayant intercepté des communications et rassemblé suffisamment d'informations, auraient averti le président Erdogan le 15 juillet à 17 heures de la préparation du coup d'État, avant que les Américains n'informent à leur tour les auteurs du putsch. Cette situation expliquerait la suite des développements et le fiasco par lequel s'est soldée la tentative du coup d'État. Mais la question lancinante restait celle de savoir pourquoi Russes et Américains auraient-ils joué un rôle aussi important dans cet événement ? La thèse du soutien américain aux auteurs du coup d'État s'appuie sur l'importance stratégique de la position de la Turquie dans le cadre des préparatifs du sommet de l'Otan à Varsovie en juillet dernier.

La résistance turque à la proposition de l'Otan

La tentative de putsch est donc intervenue dans un contexte, où non seulement les discussions entre Turcs et Russes étaient déjà très avancées et la réactivation du projet Turkstream en bonne voie, mais également à la suite du gage de bonne volonté d'Ankara avant la tenue du sommet de l'Otan à Varsovie. Au cours des semaines qui ont précédé la réunion des vingt-huit chefs d'État et de gouvernement de l'Alliance atlantique à Varsovie, les 8 et 9 juillet dernier, Ankara avait provoqué la surprise générale en s'opposant à une proposition aux implications stratégiques majeures en mer Noire. Ankara avait en effet bloqué une proposition américaine visant à constituer une flotte dans une zone où se trouve la plus importante flotte russe depuis la prise de Sébastopol.

Cette proposition constituait une violation des dispositions de la convention de Montreux de 1936 qui reconnaît à la Turquie un contrôle sur les détroits du Bosphore et des Dardanelles, et régit la navigation en mer Noire. La convention de Montreux limite à 21 jours la présence de navires étrangers dans cette zone. En proposant aux pays riverains, dont la Turquie, la Roumanie et la Bulgarie, de les équiper d'une nouvelle flotte sous la bannière de l'Otan, les États-Unis cherchaient à s'assurer une présence permanente visant à affaiblir le dispositif militaire russe dans cette mer transformée en « un lac russe », selon les propos mêmes du président turc. Le revirement d'Ankara, après un intense bras de fer avec Moscou sur la question de la présence massive de leur flotte en mer Noire et leur démonstration de puissance, a été relaté en détail par le journal turc Hürriyet Daily News. Le quotidien relevait déjà en juin dernier un rééquilibrage inédit dans les relations géopolitiques de la Turquie, sur fond de tensions conjoncturelles avec les États-Unis et de volonté de normalisation avec les Russes. Le sommet de Varsovie a une nouvelle fois montré que la crise syrienne ne constitue qu'un théâtre parmi d'autres de la confrontation globale pour la reconfiguration des rapports de force régionaux. En décidant de déployer quatre bataillons dans les pays Baltes et en Pologne, les Américains poursuivent la stratégie d'endiguement de la Russie. C'est à la lumière de ce contexte global qu'il convient de redonner sa place au débat rationnel quant au revirement radical de la Turquie. Confronté à des défis internes sans précédent, Ankara, membre de l'Otan et partie prenante des discussions de l'Organisation de coopération de Shanghai, semble de plus en plus convaincue de la nécessité de rééquilibrer ses relations stratégiques. La Turquie se situe à la croisée de deux axes concurrents, faisant sienne l'approche de la realpolitik qui montre que les ajustements, les infléchissements ou les revirements diplomatiques sont fonction des intérêts d'un État et inscrits dans une lecture réaliste du rapport de force.


Lire aussi

La stratégie européenne de l'État islamique

La véritable erreur d'Obama en Syrie

Les révélations du quotidien libanais as-Safir sur une prochaine rencontre entre les présidents turc et syrien à Moscou ont pris une tournure polémique. Les doutes exprimés sur la fiabilité des informations et les réserves émises sur le revirement spectaculaire turc, en raison de ses implications sur l'issue de la crise syrienne, ne pèsent pas lourd face à l'observation des faits....

commentaires (6)

bashar ne restera pas je vous l'assure !!

Bery tus

00 h 57, le 06 septembre 2016

Tous les commentaires

Commentaires (6)

  • bashar ne restera pas je vous l'assure !!

    Bery tus

    00 h 57, le 06 septembre 2016

  • DE LA POUDRE AUX YEUX POUR L,APPLICATION DE LA CONNIVENCE... SON TRAIN ROULE VERS SA DERNIERE STATION... LES REFORMES IMPOSEES PAR LE SACRIFICES DU PEUPLE SYRIEN...

    LA LIBRE EXPRESSION

    16 h 05, le 05 septembre 2016

  • Salman Rushdie : «Nous vivons une époque de lâcheté»

    FAKHOURI

    13 h 43, le 05 septembre 2016

  • Je souhaiterai bien lire Samrani , qui nous disait que les turcs ont changé d'avis sur tout sauf sur le héros Bashar . J'espère qu'il a suivi ma suggestion d'approfondir ses investigations , Lina Kennouche semble avoir été plus rapide .

    FRIK-A-FRAK

    12 h 51, le 05 septembre 2016

  • Il n'y a que les imbéciles qui ressuent de changer d'avis...quand les circonstances le réclament...et tamt pis pour les "irréductibles"

    Chammas frederico

    10 h 05, le 05 septembre 2016

  • Qui peut faire confiance à Erdogan ? Je veux bien admettre une certaine vue ou explication du comportement de la Turquie qui recherche un équilibre dans ses relations internationales, mais l'opportuniste Erdogan joue à qui perd gagne En plus, les actions de Poutine pour installer une nouvelle guerre froide ne facilitent pas les choses Pendant ce temps Israel continue sa politique detestable

    FAKHOURI

    08 h 18, le 05 septembre 2016

Retour en haut