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Campus - Enquête

Ces jeunes qui quittent leur village pour étudier en ville

Pour éviter les longs trajets quotidiens, des étudiants, originaires de régions rurales, s'installent dans des foyers à Beyrouth. Un choix assumé librement et volontairement pour les uns, plus difficilement pour les autres.

Alors que Ghina Mansour s’est rapidement adaptée à la vie au foyer, Hiba, sa sœur, n’a pas pu s’y habituer et a choisi de retourner dans son village.

Originaires de Zahlé, Tripoli, Batroun, du Akkar, de Saïda ou de Chebaa... ils se rendent à Beyrouth pour intégrer ses facultés. « Nous vivons dans un pays centralisé. Bien que les régions rurales disposent de quelques universités, les spécialisations qu'elles offrent ne répondent pas aux choix de tous les étudiants », note Adella Lakkis. La jeune fille a été obligée de quitter sa maison familiale à Batroun pour s'installer dans un logement meublé pour étudiantes au Metn, afin d'étudier les relations publiques à la faculté d'information de l'Université libanaise (UL). Même son de cloche de la part de Joanna el-Sayed Ahmad qui, elle, vient de Minieh. « S'il existait un cursus d'orthophonie à la faculté de santé de l'UL à Tripoli, je n'aurais jamais quitté mon village pour rejoindre la section de Fanar », assure-t-elle.
Si la centralisation des universités dans la capitale et ses banlieues est la principale cause du « déplacement » des jeunes, l'aspiration à l'indépendance et à la liberté est aussi une vraie motivation pour certains d'entre eux. Tel est le cas de Sara Makhoul qui, depuis l'adolescence, rêve du moment où elle quitterait son village frontalier du Liban-Sud pour s'installer à Beyrouth... « Poursuivre mes études universitaires n'était qu'un prétexte qui m'a aidée à convaincre mes parents de me laisser partir », confie-t-elle.

Entre nostalgie et accommodation
Que ce soit un choix forcé ou volontaire, le nouveau mode de vie des étudiants est jalonné de contraintes.
« Le déchirement que j'ai ressenti au début de ce parcours était douloureux. J'ai passé des nuits à pleurer. J'avais le mal de ma famille. Mais avec le temps je me suis accoutumée », explique Nancy Nochahrly, qui s'est installée à Beyrouth pour étudier la médecine dentaire à l'USJ.
Le premier défi que doivent relever ces jeunes est de « devenir responsables d'eux-mêmes ». « Je suis la seule gérante de ma vie : je prépare mon repas et je nettoie ma chambre, des tâches auxquelles je n'étais pas habituée », reconnaît Joanna.
Ghina Mansour évoque un autre défi : « On est passé d'un étroit milieu familial à un large espace diversifié. » « Se trouver dans un même appartement avec sept autres filles, inconnues, dont les traditions et mœurs peuvent être différentes des nôtres, nous met au défi de savoir communiquer avec elles, afin de nous habituer à la vie en groupe », poursuit l'étudiante en journalisme installée dans un logement pour étudiantes à Fanar.
Adella va encore plus loin : « C'est vrai qu'on vit ensemble dans un même appartement, mais chacune de nous mange, étudie, dort à une heure différente. Le non-respect de ces différents rythmes, par certaines, est la première cause de tension. À quoi s'ajoutent les accrochages sur le ménage, le lavage de la vaisselle, la disponibilité de l'eau chaude pour le bain... des complications qui peuvent parfois mener certaines à changer d'appartements ou même à retourner dans leur village. » Le témoignage de Hiba Mansour illustre les propos d'Adella. Alors que sa sœur Ghina s'est rapidement adaptée à la vie au foyer, Hiba n'a pas pu s'y habituer. L'étudiante en droit a choisi de regagner la demeure familiale et de faire un trajet quotidien du Liban-Nord jusqu'à Jal el-Dib pour suivre des cours à la faculté de droit de l'UL.

Une intégration difficile ?
Les difficultés que connaissent ces jeunes ne se limitent pas à l'appartement qu'ils louent, mais s'étendent à la « nouvelle société » qui les accueille. Jinane Jomha est originaire du caza de Nabatiyé. La jeune fille a rencontré, au début de sa première année d'études en médecine dentaire, des problèmes d'intégration « à cause des préjugés qui ont régi (mes) interactions avec (mon) nouveau milieu ». Elle explique : « Les jeunes vivant dans des villages lointains (comme moi) croient que leurs homologues beyrouthins sont meilleurs. » Et de poursuivre : « Par conséquent nous ne nous sentons pas à l'aise en interagissant avec eux. Et parfois nous sommes forcés de masquer notre identité afin d'être acceptés. »
« Les jeunes issus de la ville nous perçoivent comme des créatures venant d'une autre ère. Ils nous posent parfois des questions telles que : vous avez accès à l'électricité et au service Internet dans vos villages ? » renchérit Marianne, originaire du Akkar. « Nos accents peuvent être différents et nos villages lointains, mais cela ne veut pas dire que nous sommes étranges », poursuit l'étudiante en pharmacie. Malgré ces complications, Jinane assure qu'avec le temps, l'échange et le dialogue avec les autres étudiants éliminent ces préjugés mutuels et des liens d'amitié sont tissés.

Une liberté sans bornes ?
« La vie est différente dans la capitale, révèle Jinane. Dans mon village, la religion détermine la manière d'agir des citoyens. Alors qu'à Beyrouth, j'ai retrouvé un plus grand degré de liberté de pensée, d'expression et d'action qui proviennent de la diversité qui existe dans cette ville. » Plusieurs étudiants interviewés estiment toutefois que cette liberté doit avoir des limites. « Mes parents m'ont élevée de façon à ce que je distingue ce qu'il faut de ce qu'il ne faut pas faire. Alors, je suis libre, mais ma liberté n'est pas sans bornes », confie Nancy.
Ghina va encore plus loin : « L'indépendance ne veut pas dire abuser de la liberté qu'on a commencé à savourer lorsqu'on a quitté nos villages. Il faut dès le début se mettre des limites pour savoir gérer correctement sa nouvelle vie et ne pas perdre le but initial, celui de réussir à la fac. » David Abdel-Ahad, originaire de Zahlé, partage l'avis de Ghina. « Nos parents nous ont accordé leur confiance, il ne faut pas les décevoir en se distrayant et en ratant nos cours », ajoute l'étudiant en relations publiques.
Parfois, pour certains, le désenchantement est au rendez-vous. Sara qui avait hâte de vivre son indépendance se plaint : « Il s'est avéré que la société est identique partout au Liban. Même au cœur de la ville, je n'ai pas pu vivre librement. Mes colocatrices sont curieuses, si j'arrive tard le soir, je vois leurs regards accusateurs, et le lendemain je perçois leurs chuchotements derrière mon dos. »

Une expérience transformatrice
La patience et l'empathie sont deux qualités qu'Adella a acquises en partageant un appartement avec d'autres étudiantes. « J'ai appris à respecter et à accepter les différences chez les autres », ajoute-t-elle. Jinane également, malgré toutes les difficultés qu'elle a rencontrées, assure que cette expérience a développé sa personnalité et lui a ouvert de nouveaux horizons. « Je me suis habituée à mener une vie indépendante avec mes propres normes et rituels. Après mon diplôme, je resterai en ville, surtout que là les offres d'emploi sont plus nombreuses », confie pour sa part Ghina.
David, qui a « appris à devenir responsable », regagnera Zahlé à la première opportunité de travail qu'il retrouve dans son caza « loin des embouteillages, du bruit et de la pollution de la capitale ».
Un conseil lancé de la part de Marianne aux jeunes qui comptent s'engager dans un parcours similaire : « Ne vous sentez jamais intimidés par un autre étudiant, puisque nous sommes tous égaux. En revanche, soyez sociables et ouverts d'esprit afin de vous adapter rapidement. »

Originaires de Zahlé, Tripoli, Batroun, du Akkar, de Saïda ou de Chebaa... ils se rendent à Beyrouth pour intégrer ses facultés. « Nous vivons dans un pays centralisé. Bien que les régions rurales disposent de quelques universités, les spécialisations qu'elles offrent ne répondent pas aux choix de tous les étudiants », note Adella Lakkis. La jeune fille a été obligée de quitter...

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