Les fruits non défendus de Philippe Germanos

De l'informatique à l'agriculture... Il a suffi d'une envie et de circonstances presque atténuantes pour que Philippe Germanos troque la ville pour la montagne et ses derbies pour des bottes de pluie. Sept lieues plus tard, le voilà à Aqoura, les pieds dans la boue, heureux producteur au cœur de la nature. Celle de son village familial.

Tous ses souvenirs sont là... Éparpillés dans cette maison aujourd'hui transformée en maison d'hôtes et baptisée du prénom de sa mère Guita. Cinq chambres, neuf lits dans lesquels Philippe Germanos, ses parents, ses sœurs, cousins et amis ont partagé des moments de légèreté, réunis autour du patriarche, son père, Khalil. Parmi les souvenirs heureux, la couleur, le parfum et le goût acidulé et tendre, comme celui de l'enfance, des pommes qui font la fierté des habitants du village. « Nous avions une production agricole délaissée, plutôt mal gérée », confie le jeune homme de 34 ans, le regard noyé dans une barbe désordonnée. « Des cerises, des prunes, mais surtout des pommes. Aqoura est réputée pour ses pommes. »

Aqoura, justement, près des montagnes de Majdel et de Mneitré... Ce coin de terres qu'ont choisi son arrière-grand-père et les frères de ce dernier, après avoir fait fortune aux Caraïbes et décidé, enfants prodiges, de rentrer au pays, au début du siècle dernier. « Ils auraient pu s'installer dans la ville », précise fièrement Guita Germanos, aujourd'hui sacrée matriarche et l'âme très active des lieux. « Mais ils ont préféré ces montagnes pour y déposer leur or. »

En 2007, au décès de son père, Philippe, alors informaticien heureux chez Murex, seul garçon parmi trois filles, entend sonner le glas. Sans doute l'appel de la terre, un besoin d'immortaliser l'héritage paternel, mais surtout de rajeunir le concept. « Je n'avais aucune connaissance ou expérience agricole », dit-il. « Mon père, qui était médecin, ne m'avait jamais encouragé. Nos parents nous ont fait aimer Aqoura. Pour nous, ce lieu était synonyme de vacances, d'été, de réunions familiales autour de la cuisine de ma mère. Avec, en prime, une semaine de cueillette en septembre. C'était amusant... »

Du jour au lendemain, les vacances se sont brusquement terminées. Philippe, encore chez Murex, commence par observer, apprivoiser l'activité, le legs. Envisager les changements à faire avec une énergie presque naïve. Aidé par le cousin de sa mère, Georges Daccache, lui-même passionné d'agriculture, il apprend tout et, surtout, à faire face aux difficultés qui le guettaient. « Petit à petit, j'ai réalisé combien le projet était dur, avec de nombreux problèmes extérieurs et intérieurs à régler. Mon père avait créé un modèle simple : il avait chargé un homme de l'organisation, de la cueillette et de la vente en gros. C'était simple mais insuffisant. »

Après une année sabbatique durant laquelle cet informel gentleman farmer en devenir décroche un MBA à l'Insead, il retrouve le Liban et ses terres impatientes de découvrir ses nouveaux plans. Il renouvelle les arbres, les terres qui étaient très fatiguées, le système d'irrigation, change l'équipe, modernise et développe les méthodes de travail, en envisageant à la fois un grand projet d'agriculture et d'écotourisme. « 2012 à 2015 ont été des années très difficiles », avoue Philippe Germanos. « Le marché des pommes traverse une grande crise économique, j'étais seul et je ne pouvais plus revenir en arrière. » En même temps, de nombreuses questions s'imposent à lui concernant ce changement de vie qui, de rat des villes, l'a transformé en rat des champs presque à plein temps. Mais il continue... Il propose des produits dérivés, d'autres fruits, et surtout, il crée Guita's bed and bloom. « Il m'a piégée », avoue-t-elle avec le sourire pourtant ravi d'une mère.

Les cinq sens
« Cette maison, qui a vécu les beaux moments de l'enfance et de l'adolescence de mes enfants, qui résonne encore de la voix puissante de mon époux Khalil, de ses joutes verbales avec les ouvriers agricoles, est devenue très silencieuse après les mariages et les départs de nos filles. Notre maison est en fait entourée de vergers de pommiers, de pruniers et de cerisiers. J'ai toujours aimé recevoir et je me suis toujours fait une joie de créer des occasions de rencontre autour d'une bonne table. L'idée de transformer ce lieu, de l'ouvrir aux étrangers, de recréer les plats traditionnels de Aqoura, de ressusciter une culture oubliée, de conserver et d'enrichir notre patrimoine, m'enthousiasme. Notre Maakroun bilabné avec de l'ail, de la menthe et du kawarma tend à disparaître au profit des pizzas et autres burgers. Rares sont ceux qui font encore la tbaibissé », souligne-t-elle. C'est ainsi qu'a pris forme, au début de l'été, la maison d'hôte Guita, lorsqu'un groupe de Lebanon Mountain Track cherchait un endroit pour se loger en sillonnant la région.

En plus de bien manger, l'hôte propose une vraie relation avec la nature : cueillette de pommes et d'autres fruits saisonniers, découverte des ateliers de préparation de mouné, visite des producteurs de laits, natation dans la rivière, trekking... Que du bonheur. « Sans ma mère, je n'aurais pas foncé aussi vite. Cette maison et ce projet sont à son image : souriante, très chaleureuse et sociable », martèle Philippe Germanos. Et sa maman de résumer, en quelques mots, cette passion partagée : « Une cuisine de terroir, de belles chambres aux couleurs de nos vergers, un espace de verdure et de paix, un havre de repos à l'ombre des pins, voilà ce que nous proposons ! »

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