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Liban - Droits de l’homme

Disparitions forcées : les familles poursuivront « la bataille imposée »

Des appels ont été lancés au gouvernement pour qu'il assume ses responsabilités et tienne ses promesses en mettant en place un mécanisme permettant d'aboutir à la vérité.

Une femme inscrivant un message à l’intention de son mari disparu durant la guerre, sur une affiche créée à l’occasion de la Journée internationale des victimes de disparition forcée.

« Dieu est grand ! » Dans l'auditorium François Bassil au campus de l'innovation et du sport de l'Université Saint-Joseph, Marie Ghaoui peine à retenir ses larmes. Silencieuse, le regard hagard, elle serre contre son cœur un portrait en noir et blanc de son fils Georges, disparu le 30 décembre 1983. « Cela fait trente-trois ans que je vis dans la souffrance et l'attente, s'insurge-t-elle. Mon fils a été enlevé par trois hommes et remis au mouvement Amal. J'ai tout fait pour le libérer. En vain. Je donnerais ma vie pour le serrer encore une fois dans mes bras. S'ils l'ont tué, je voudrais qu'on me rende ses restes pour que je puisse l'enterrer dans la dignité ! »

Elle sort un mouchoir bleu de son sac et essuie les larmes involontaires qui lui coulent sur les joues. Patiente, elle attend, tout comme plusieurs autres familles de disparus, le coup d'envoi de la cérémonie organisée par le comité international de la Croix-Rouge (CICR) à l'occasion de la Journée internationale des victimes de disparition forcée, célébrée le 30 août. Une journée qui vise à « mettre l'accent sur le sort des personnes disparues dans le monde en raison des conflits armés, des catastrophes naturelles et d'autres événements tragiques », comme le souligne dans son allocution Marco Succi, chef adjoint de la délégation du CICR à Beyrouth.

 

(Lire aussi : Pour préserver l'espoir : ne laissons pas les histoires des disparus s'interrompre ici...)

 

« Au Liban, des milliers de personnes ont disparu durant la guerre, poursuit-il. Il n'existe pas de chiffres officiels sur leur nombre ou une liste unifiée de leurs noms, mais leurs familles sont toujours là, à la recherche de réponses. »
Marco Succi rappelle qu'en 2011 le CICR a procédé à une évaluation de la situation de plus de 300 familles de disparus sur l'ensemble du territoire pour identifier leurs besoins. « Vingt ans après la fin de la guerre civile et plusieurs décennies après la disparition de l'un de leurs membres, les familles n'avaient qu'une seule revendication. Elles veulent connaître le sort de leurs proches », insiste-t-il, soulignant que la majorité des membres de ces familles vieillissent et que plusieurs autres ne sont plus de ce monde. « Le CICR a ainsi décidé d'agir », affirme-t-il.

Marco Succi explique dans ce cadre qu'en 2012, le CICR a commencé à collecter des informations sur certaines personnes disparues. À ce jour, plus de 2 350 interviews ont été menées avec les familles sur l'ensemble du territoire. « Au moins 1 600 autres familles doivent encore être contactées », précise-t-il, ajoutant que pour identifier les personnes disparues, il est important d'avoir l'ADN de leurs familles. Ainsi, en 2012, rappelle-t-il, le CICR a présenté aux autorités libanaises une proposition pour collecter les échantillons biologiques de référence, c'est-à-dire la salive de membres des familles, qui va permettre d'extraire l'ADN.

Le projet qui devrait être effectué en collaboration avec les Forces de sécurité intérieure n'est toujours pas approuvé en Conseil des ministres. En attendant, et pour ne pas perdre de temps, le CICR a annoncé en juillet dernier qu'il entamera la collecte de ces échantillons.
« À eux seuls, les efforts que nous déployons ne permettront pas de donner des réponses aux familles. Seules les autorités libanaises peuvent le faire », insiste encore Marco Succi.

 

(Pour mémoire : Disparitions forcées : Le CICR entame la collecte de l'ADN des familles des victimes)

 

De la nécessité de tenir les promesses
« Nous ne nous lasserons pas de réclamer notre droit », martèle de son côté Wadad Halaouani, se prononçant au nom du comité des familles des détenus en Syrie, du comité des familles des personnes disparues ou kidnappées au Liban et de Solide (soutien aux Libanais en détention et en exil).
S'adressant au gouvernement, elle l'a invité à tenir ses promesses et à prendre les mesures nécessaires pour faire la lumière sur le sort des milliers de personnes victimes de disparition forcée, signalant dans ce cadre que « les autorités avaient reconnu, malgré elles, le droit des familles à la vérité ». « Or cette reconnaissance se traduit sur le terrain par la mise en place d'un mécanisme permettant d'aboutir à la vérité », ajoute-t-elle. Et de réaffirmer : « Pour la énième fois, nous rappelons que la solution à ce dossier consiste d'une part à collecter les échantillons biologiques de référence – ce que le CICR fait actuellement en attendant que le gouvernement prenne la relève –, et d'autre part à approuver la proposition de loi relative à la formation d'une commission d'enquête nationale indépendante pour les victimes de disparition forcée. Cela sous-entend qu'une session parlementaire extraordinaire se tienne à cet effet. »

Précisons que cette proposition de loi est toujours à l'étude à la Chambre. Il s'agit d'une synthèse de deux propositions de loi, l'une présentée par Hikmat Dib, député du bloc parlementaire du Changement et de la Réforme, et l'autre par Ziad Kadri, député du bloc parlementaire du Futur, et Ghassan Moukheiber, député du bloc du Changement et de la Réforme.
Et Wadad Halaouani de conclure en affirmant que les familles ne baisseront pas les bras et qu'elles poursuivront « cette bataille qui leur a été imposée ».

 

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