Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole - Yasmine AKLE

Camille Claudel, génie statuaire à la féminité ravagée

« Nul n'a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, inventé,
que pour sortir en fait de l'enfer. »

À Nogent-sur-Seine, petite commune de l'Aube, en France, un musée tarde à ouvrir ses portes, projet pour mille raisons reporté. Pourtant les 30 dernières années, la sculpture a assisté à l'éruption miraculeuse d'une femme, longtemps enfouie sous la lave d'une passion dévastatrice, moulue dans l'étiquette des définitions psychiatriques, puis accaparée par les féministes, les passionnés de Rodin et de Paul Claudel, deux hommes qui façonnèrent son destin comme une statue qu'on clouait à l'oubli, dans leurs ombres pourtant aimantes... Un certain Jacques Cassar, chercheur opiniâtre, sonda dans l'obscurité et trouva ses traces dans les décombres d'une triste vie. 1980-1982. Résurrection 40 ans presque après sa vraie mort en 1943, 70 ans après sa première mort, dans l'anonymat, ensevelie dans un internement sans fin, à l'insistance sans répit de sa mère et son frère, exil coïncidant avec la mort du père, et auquel toute issue de secours fut interdite.
Camille Claudel, née le 8 décembre 1864, dont le nom s'effaça de l'histoire de 1913 à 1982, sombra dans un délire infernal, aux temps des barbaries de la psychiatrie, délire lui-même disparu lentement dans le silence d'une longue nuit. Mais les mains farouches du sculpteur cédèrent déjà longtemps avant la place à une écriture revendicatrice puis étouffée, le talent précoce fulgurant à une victimologie déplorable, l'éclat des beaux yeux verts à une violente accusation, puis le vide, la silhouette fière, indomptable, sensuelle à une vieille femme, fêlée, coupable, lourde d'ennui. Pétrifiée, de la Valse à Clotho, la flamme Camille s'éteignit.
Un siècle après, des livres, des fragments de lettres, des films, des expositions et des œuvres rassemblées déferlent comme une vague qui réveilla soudain l'intérêt des amateurs de cet art pour une artiste vive douée, et la curiosité fantasmatique des autres pour une histoire d'amour passionnel, entre le grand « maître » glorifié et l'artiste « sacrifiée ».
Ce musée vise réunir pour la première fois son œuvre complet... Pourtant il n'est pas encore né... comme sa naissance à elle, longue et dure, d'abord arrachée à un ventre expiatoire, une mère rigide, blessée à la haine acharnée, qui « ravale ainsi l'écume de sa haine/Et, ne comprenant pas les desseins éternels/Elle-même prépare au fond de la Géhenne/Les bûchers consacrés aux crimes maternels... ». Un retour des œuvres à leur source natale, interdit, comme ce retour à la mère, impossible, renié, une porte à l'amour à jamais fermée, cette mère déçue par une fille à vocation de métier d'homme, une fille talentueuse, rebelle dès son plus jeune âge, émancipée, non assujettie au conformisme ambiant d'une société misogyne de la fin du XIXe siècle, qui déniait l'entrée des femmes aux académies des beaux-arts, fille « entretenue » par un homme hors mariage, comme décrivait sa mère la relation de Camille avec Rodin, cette fille artiste refusée aux grands salons des expositions, à cause de la nudité et le trop de réalité de ses sculptures, malgré leur « incontestable valeur », ses œuvres qui provoquaient « jusqu'à la violence l'esprit d'habitude, fâchent les gens dans leur goût, dans leur vanité, par le surgissement de l'imprévu » comme les décrivaient les critiques de l'époque et le nu de Rodin ne choquait pas et passait...
Ce musée s'acharne – comme elle, qui voulait s'affirmer à l'ombre d'un grand génie de l'âge de sa mère –, tandis qu'à Paris, près des Invalides, aux tombes des gloires françaises, dans un jardin, viril, s'érige un Balzac fier, somnole un Hugo rêveur, des bourgeois de Calais attendent d'être sauvés, des destinées gisent sur la porte de l'enfer et un penseur attire des millions de touristes, entre plein d'œuvres gigantesques, et au fond du petit musée, on oublie parfois la valse suspendue, entre amour et mort, la vague et les causeuses, et au milieu de la salle, l'implorante aux mains tendues, en vain vers son « sauveur »...
Sauveur fut-il l'amour de Rodin, ou destructeur ? Où est la persécution ? Où est le délire ? Qui est son bourreau, qui a engendré son œuvre, qui a tué son génie ? Sa mère haineuse ? Son frère « incestueux » détourné vers son délire religieux ? Son époque qu'elle a dépassée ? Mille interprétations furent données.
Enfermée dans sa tour de Raiponce, qui aurait pu la sauver ? N'est-on pas notre plus redoutable bourreau ? « Il y a toujours quelque chose d'absent qui me tourmente » disait-elle en 1886 à Rodin. Cette susceptibilité, héritage d'une structure familiale destructrice, confrontée à des difficultés communes pour une femme artiste mal placée, a du mal les assimiler et les porter contre elle, comme une fêlure originale, criminelle, trouvant l'issue finale dans un délire « protecteur ».
La psychanalyse trouva libre cours aux théories de l'image maternelle et la création artistique, la passion, puis le ravage et le délire paranoïaque... et puis on s'est tourné vers ses œuvres et les mythes grecs symbolisés...
Mais encore une fois, c'est l'appel humain, derrière l'œuvre, implorant, déchiré... Cette sensibilité farouche, étouffée sous mille préjugés, née sous un autre siècle, aurait-elle eu une autre destinée ?
Camille Claudel, artiste maudite ? Fille de personne, femme de personne, l'ombre de personne, moderne avant la modernité, « mère » de sculptures vivantes, hors temps, hors modèle quelconque, « révolte de la nature », « de la race des héros » qui s'est affirmée malgré tout et avec dignité dans une œuvre rare en grande partie (auto) détruite, témoin d'une vie qui refusa de s'adapter aux conventions de son époque, « abandonnée » dans son néant qui fut fatal à l'exemple de sa Gorgone.
« Sais-tu bien que nous voilà en présence de quelque chose d'unique, une révolte de la nature : la femme de génie ? » Octave Mirbeau.
« Je lui ai montré où trouver l'or, mais l'or qu'elle trouve est bien à elle », a dit Auguste Rodin.

Yasmine AKLE

« Nul n'a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, inventé,que pour sortir en fait de l'enfer. »
À Nogent-sur-Seine, petite commune de l'Aube, en France, un musée tarde à ouvrir ses portes, projet pour mille raisons reporté. Pourtant les 30 dernières années, la sculpture a assisté à l'éruption miraculeuse d'une femme, longtemps enfouie sous la lave d'une passion...

commentaires (2)

Quel plaisir de lire votre article..ce matin...Merci de nous parler de cette magnifique femme...libre ...amoureuse..passionnee...et geniale

Houri Ziad

10 h 09, le 31 août 2016

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • Quel plaisir de lire votre article..ce matin...Merci de nous parler de cette magnifique femme...libre ...amoureuse..passionnee...et geniale

    Houri Ziad

    10 h 09, le 31 août 2016

  • BEAU... PEUT-ETRE ! ROMANTIQUE... JE NE LE SAIS PAS ! VENDABLE... A COUP SUR !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 55, le 31 août 2016

Retour en haut