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Économie - Focus

Arak : le temps de la reconquête

Alors que les producteurs ont longtemps dû composer avec une baisse de la demande, celle-ci redécolle, au Liban et à l'étranger. Mais des obstacles structurels demeurent.

La production annuelle d’arak est estimée à environ 2 millions de bouteilles de 0,70 litre par an. Photo AFP

Avec la saison des vendanges qui débute, les producteurs s'affairent à récolter les raisins qui donneront cette boisson alcoolisée anisée que l'on trouve sur toutes les tables des restaurants libanais. Car, au Liban, impossible de concevoir un mezzé sans une bouteille d'arak. « L'arak est une boisson culturelle libanaise, comme il en existe dans chaque pays du bassin méditerranéen, avec par exemple l'ouzo en Grèce ou le pastis en France, et se consomme quasi exclusivement lors des repas », rappelle Ramzi Ghosn, producteur de l'arak Massaya.

Qu'il soit mis en bouteille par des producteurs commerciaux ou fait maison par des particuliers – « l'arak baladi » –, l'arak libanais est passé premier en termes de production depuis le déclenchement de la guerre en Syrie. Selon une étude publiée mi-août par Blominvest Bank, s'il n'existe pas de chiffres officiels faisant état du volume de production du fait de l'existence d'une grande quantité d'arak baladi sur le marché, Charles Ghostine, directeur général de Château Ksara, l'estime à environ 2 millions de bouteilles de 0,70 litre par an.

Boisson ethnique
Et la consommation est en hausse : « La demande locale d'arak augmente avec l'accroissement de nouveaux restaurants libanais modernes qui ont une influence positive sur la perception de l'arak par les nouvelles générations », note l'étude, sans néanmoins la quantifier. Entre 20 et 25 % de la production nationale est destinée à l'export, en hausse de 16,7 % en volume en 2015, à 433 tonnes, pour une valeur de 3,72 millions de dollars, selon l'étude de Blominvest Bank. Quelque 23,95 % de ces exportations sont à destination des États-Unis, suivis par les Émirats arabes unis à 19,47 % et par l'Irak avec 12,39 %. « L'arak est considéré comme une boisson "ethnique" et est surtout exporté vers les pays où la diaspora est particulièrement présente, notamment pour des restaurants libanais, même si l'on remarque qu'il commence à intéresser aussi les médias étrangers », souligne Émile Issa el-Khoury, associé du Domaine des Tourelles.

Cette hausse de la demande locale et étrangère tombe à pic pour un marché aux conditions difficiles. « Ces quinze dernières années, la demande était en baisse, car les nouvelles générations percevaient l'arak comme un produit traditionnel qui n'avait plus la cote », déplore Émile Issa el-Khoury. « L'arak est resté cantonné à l'accompagnement des repas libanais. Ce n'est pas un apéritif, et il ne se consomme que très peu dans les bars, d'autant qu'il ne peut se boire en cocktail car il se mélange mal », confirme Rania Chammas, responsable de la communication de Château Ksara. L'arak a donc été peu à peu remplacé par les alcools occidentaux. « De plus en plus de restaurants libanais servent du whisky plutôt que de l'arak pour accompagner les repas. Avec des prix d'importation défiant toute concurrence dus à la baisse des tarifs douaniers et des multinationales déboursant de grosses sommes pour vendre leurs marques, les alcools occidentaux dominent les ventes de boissons alcoolisées au Liban », déplore Lara Mariam Nakad, directrice du marketing au Château Nakad. « De plus, les consommateurs et le gouvernement préfèrent se tourner vers l'industrie vinicole locale, plus glamour et en pleine croissance, entraînant l'arak à sombrer plus profondément dans l'oubli », note l'étude de Blominvest.

« Aucun contrôle »
Mais surtout, l'industrie est, selon les professionnels du secteur, minée par le manque de régulation et de contrôle sur la production. « Environ 80 % de l'arak sur le marché est produit à partir de betterave ou d'essence d'anis, donnant à cette boisson mauvaise réputation et entraînant une baisse de la consommation d'environ 30 % depuis les années 2000 », lance Rania Chammas. « Ce manque de contrôle entraîne une concurrence déloyale entre l'arak de faible qualité qui inonde le marché, et l'arak de qualité supérieure. Cela est surtout vrai dans les restaurants, puisque la plupart servent de l'arak fait maison », note l'étude de Blominvest Bank. Une concurrence qui se joue surtout au niveau des prix : « Le coût de production d'un arak à partir de raisin et de graines d'anis est de plus de 6 dollars, contre un ou deux dollars pour l'arak issu de mélasse ou de betterave », détaille Jalal Nakad, propriétaire du Château Nakad.

« Il n'existe pas de législation claire et il n'y a aucun contrôle sur la qualité de l'arak produit au Liban », explique Ramzi Ghosn. « Les consommateurs pensent que l'arak artisanal est forcément de bonne qualité, mais cela signifie simplement qu'il est fait maison. Or, étant donné qu'il n'y a aucun contrôle, il peut s'avérer dangereux s'il contient des résidus de méthanol résultant d'un processus de distillation incorrect, pouvant, au pire des cas, causer la cécité », dénonce Saïd Touma, propriétaire de la société Rachid T. Touma & frères. « Les producteurs ont besoin de plus de soutien de la part du gouvernement, avec des contrôles sur la qualité, mais également avec des campagnes de promotion de l'arak au Liban comme à l'étranger », plaide-t-il, à l'instar de ses concurrents interrogés.


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commentaires (2)

THE -KING- OF DRINKS...

LA LIBRE EXPRESSION

22 h 43, le 30 août 2016

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Commentaires (2)

  • THE -KING- OF DRINKS...

    LA LIBRE EXPRESSION

    22 h 43, le 30 août 2016

  • Les restaurants libanais en France pourraient être les ambassadeurs de cette "essence spirituelle" incomparable. Hélas, l'arack est souvent servi comme un "apéro" ordinaire, parfois même servi... dans un grand verre, déjà noyé dans l'eau ! Ce qu'aucun barman n'oserait faire avec un vulgaire "pastis".Pour en dire toute la magie à la fois forte et subtile tout au long d'un mezzé ou d'un repas oriental, une véritable sensualité retrouvée - dans un contexte gastronomique actuel d'assiettes de dinette décorative aussi jolies que maigres et chères, n'hésitez pas en m'en parler! Ahlan wa Sahlan, je dois bien çà à mon Cher Liban.

    Neuschwander Joël

    14 h 50, le 29 août 2016

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