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Moyen Orient et Monde - Analyse

Au Moyen-Orient, la lutte contre l’EI peut attendre

Derrière la lutte entre les grandes capitales régionales, le renforcement des groupes paraétatiques, l'intervention – ou non – des puissances extérieures, la guerre contre le(s) terrorisme(s), les conflits ethniques ou communautaires, c'est bien la genèse du Moyen-Orient postmoderne qui se joue.

Photo prise à 5 km de la frontière syro-turque à Karkamis dans la région de Gaziantep. Bulent Kilic/AFP

Bien malin celui qui pourrait (pré)dire à quoi ressemblera le Moyen-Orient dans dix ans. La région a connu tellement d'évolutions au cours de ces cinq dernières années qu'aucune dynamique lisible n'a réussi pour l'instant à s'imposer. La situation est si volatile que chaque décision, chaque changement peut avoir des conséquences majeures dans cette phase de morphogenèse d'un nouveau Moyen-Orient.

L'évolution de la situation dans le Nord syrien en donne un parfait exemple. En seulement quelques semaines, les lignes ont très clairement bougé : à Alep, les rebelles ont remis en question la capacité du régime syrien et de ses alliés à mettre la main sur toute « la Syrie utile » ; à Hassaké, les forces loyalistes ont quasiment été chassées de la ville par les Kurdes du PYD (parti de l'Union démocratique), soutenus par les Américains, après que les avions du régime ont bombardé pour la première fois depuis le début du conflit les positions des Kurdes ; à Jarablous, les Turcs, appuyés par la coalition internationale, ont réalisé un coup de force en aidant les rebelles à reprendre la ville des mains de l'État islamique (EI). En seulement quelques semaines, le rapport de force global entre le régime, les rebelles et les Kurdes a évolué de façon significative sur fond de tractations diplomatiques et de rapprochement entre Ankara, Moscou et Téhéran. En jeu : l'avenir de Bachar el-Assad, l'intégrité territoriale de la Syrie et la formation d'un Kurdistan autonome à la frontière turco-syrienne. La lutte contre l'EI peut bien attendre...

La Syrie est le théâtre principal de ce grand jeu auquel tout le monde veut participer, mais que personne n'est plus en mesure de dicter. Entre la guerre en Syrie, celle en Irak, celle au Yémen, celle en Libye, le conflit israélo-palestinien et la menace terroriste 2.0, la région n'avait pas connu pareilles instabilités depuis la chute de l'Empire ottoman et la formation du Moyen-Orient moderne. Près d'un siècle plus tard, l'enjeu est encore le même : derrière la lutte entre les grandes capitales régionales, le renforcement des groupes paraétatiques, l'intervention ou la non-intervention des puissances extérieures, la guerre contre le(s) terrorisme(s), les conflits ethniques ou communautaires, c'est bien la genèse du Moyen-Orient postmoderne qui se joue.


(Lire aussi : L'avenir de la région se joue dans le nord de la Syrie, le décryptage de Scarlett Haddad)

 

« Game of Thrones »
Cette nouvelle question d'Orient est encore plus complexe que la précédente dans le sens où elle implique un grand nombre d'acteurs, étatiques et non étatiques, ayant tous une capacité à faire entendre leurs revendications.
Les acteurs étatiques, tels la Turquie, l'Iran, l'Arabie saoudite, la Russie, se livrent une lutte d'influence pour l'hégémonie régionale, depuis le retrait relatif des États-Unis, qui était la seule superpuissance de la région. Dans ce Game of Thrones version réelle, les États ne se confrontent pas pour l'instant de façon directe, mais par le biais d'intermédiaires qui ont, eux aussi, leur propre agenda. Aucune puissance n'étant en mesure de s'imposer à toutes les autres, les États multiplient les stratégies d'alliances avec d'autres États ou avec des groupes paraétatiques, sans pour autant qu'il soit possible de distinguer nettement chacun des deux camps. Cela donne lieu à des situations un peu absurdes, mais qui reflètent probablement la nouvelle géopolitique de la région, où les alliances reposent davantage sur des nécessités tactiques que sur des convergences stratégiques.

Les exemples sont légion : les Iraniens et le Hezbollah, qui désignent Israël comme l'ennemi numéro un, coopèrent de façon étroite en Syrie avec la Russie, laquelle entretient de bonnes relations avec l'État hébreu ; les États-Unis appuient en Syrie une formation, le PYD, considérée comme un groupe terroriste par l'un des membres les plus importants de l'Otan, la Turquie ; Moscou et Ankara, Téhéran et Ankara, Moscou et Riyad, Riyad et Ankara entretiennent tous, à des degrés divers, des relations de coopération tout en étant en profond désaccord sur une partie des questions les plus stratégiques (Syrie, hydrocarbures, Égypte, conflit israélo-palestinien, etc.).


(Repère : Guerre en Syrie : Qui combat qui ? Qui soutient qui ? Qui contrôle quoi ?)

 

Acteurs régionaux
À ce jeu de trônes viennent se mêler les groupes paraétatiques ayant, ou non, des liens de dépendance directs avec une puissance régionale. À l'instar des groupes jihadistes comme l'EI ou el-Qaëda, les milices chiites, dont la grande majorité dépend directement de Téhéran, et les différentes formations kurdes, qui sont elles-mêmes rivales, deviennent des acteurs régionaux et interviennent, au gré de leurs intérêts, sur plusieurs théâtres d'opération à la fois. Se confondent alors à l'échelle locale, régionale et internationale les luttes pour l'indépendance, la guerre contre le terrorisme, les ingérences étrangères et les guerres par procuration, simplifiées et présentées sous un seul de ces aspects dans le récit de chacun des acteurs, en fonction de ses intérêts.

Cette phase de profonde mutation régionale est loin d'être terminée. Elle est alimentée de toute part par une instrumentalisation des hystéries collectives, qu'elles soient communautaires, autoritaires, sécuritaires ou nationalistes, qui tentent de retarder l'apparition du « nouveau monde », pour reprendre une formule d'Antonio Gramsci. Pour leur propre survie, les « anciens régimes » exploitent les problématiques géopolitiques pour continuer à cannibaliser l'État, tout en prétextant qu'ils sont en train de le défendre. Parce qu'ils revendiquent un monopole absolu du pouvoir, ces anciens régimes, fondés sur des appartenances familiales, claniques, tribales, institutionnelles et/ou des convergences d'intérêts, empêchent la constitution d'un État de droit, seul garant possible du vivre-ensemble dans les différentes sociétés de la région.

Bien davantage que les « coups géopolitiques », que la reconquête des territoires perdus, que les longues négociations diplomatiques, que le maintien ou non des régimes, que la définition de nouvelles frontières, c'est la refondation de ce vivre-ensemble qui, seule, pourra permettre au Moyen-Orient de sortir de cette phase de transition. En espérant que ces dernières années, qui ont vu la disparition de villes, de communautés et de traditions historiques, n'auront pas suffi à briser définitivement ce lien si particulier, et si souvent malmené, qui fait la richesse des sociétés moyen-orientales.

 

Pour mémoire
Au Moyen-Orient, à chacun son terroriste

Au Moyen-Orient, un « Game of Thrones » bien réel

Bien malin celui qui pourrait (pré)dire à quoi ressemblera le Moyen-Orient dans dix ans. La région a connu tellement d'évolutions au cours de ces cinq dernières années qu'aucune dynamique lisible n'a réussi pour l'instant à s'imposer. La situation est si volatile que chaque décision, chaque changement peut avoir des conséquences majeures dans cette phase de morphogenèse d'un nouveau...

commentaires (2)

la turquie occupe une partie de la Syrie, attaque daesh, ENFIN, mais aussi les kurdes tout cela avec la bénédiction des américains et des européens je croyais , que suivant les lois internationales , il est interdit à un pays d'envoyer son armée sur le territoire d'un autre pays, sans son accord ? mais c'est vrai maintenant c'est la turquie, l'arabie saoudite et les américains qui dirigent le moyen-orient en pendant ce temps israel en profite mais cela est une autre histoire

Talaat Dominique

13 h 45, le 28 août 2016

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Commentaires (2)

  • la turquie occupe une partie de la Syrie, attaque daesh, ENFIN, mais aussi les kurdes tout cela avec la bénédiction des américains et des européens je croyais , que suivant les lois internationales , il est interdit à un pays d'envoyer son armée sur le territoire d'un autre pays, sans son accord ? mais c'est vrai maintenant c'est la turquie, l'arabie saoudite et les américains qui dirigent le moyen-orient en pendant ce temps israel en profite mais cela est une autre histoire

    Talaat Dominique

    13 h 45, le 28 août 2016

  • Jusqu'à présent, les dirigeants turcs évitent d'expliquer l'effondrement éclair de daesh à Jarablos, face à l'avancée de leurs troupes armées, accompagnées par les bact l'asl. En première réaction aux analyses publiées par les médias sur les objectifs de leur offensive au nord-ouest de la Syrie, baptisée "Bouclier de l'Euphrate", le Premier ministre turc Yildirim a choisi de démentir les allégations de médias occidentaux selon lesquelles Ankara se concentrait sur les Kurdes, au troisième jour de son intervention en Syrie, parlant d'un "mensonge éhonté". "Soit ils ne savent rien sur le monde, soit leur travail est de rapporter un mensonge éhonté", a lancé M. Yildirim, interrogé à propos d'un article de Der Spiegel titré "Opération turque en Syrie: l'ei est un prétexte, les Kurdes sont la cible". La Turquie a envoyé vendredi quatre nouveaux chars dans à Jarablos, a constaté un photographe de l'AFP à la frontière turco-syrienne. "Nous poursuivrons les opérations jusqu'à ce que la sécurité de nos frontières soit assurée à 100% (...) et que nous chassions les bact de Daech hors de la région",a-t-il affirmé. Ankara considère le PYD, les YPG, comme des "terroristes", mais dit agir à la fois contre les kurdes et contre les bact de l'ei. daesh s'est retiré de Jarablos sans combats Or, la Turquie a longtemps été soupçonnée de liens étroits avec ces bact. Il s'est avéré qu'à Jarablos, bact se sont tout simplement retirés vers al bab ou en turquie.

    FRIK-A-FRAK

    12 h 43, le 27 août 2016

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