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Culture - Portrait

Sombre ou ludique, Pascal Dusapin ? Dans tous les cas, jamais innocent...

Il vient de fêter ses soixante ans, ce musicien hors norme, parfait reflet d'une tourmente intérieure. Il n'a pas un profil qui inspire confiance, tout comme sa musique qu'on gagne à approcher, presque à pas lents, et à écouter en lui donnant tout son sens.

Pascal Dusapin, chevalier d’une mélancolie tissée de toute la féroce actualité.

Né en 1955 à Nancy, Pascal Dusapin a les bourrasques et les contorsions des arbres, le mugissement des vents et la ténacité du evergreen, non seulement dans son nom, mais aussi et surtout dans ses notes et ses mélodies abruptes, d'une corrosive et fracassante modernité.

Pourquoi n'est-il pratiquement jamais présent dans la programmation des innombrables concerts qui se donnent à profusion à Beyrouth ? Pourquoi les pianistes à tendance expression pointue ne lui réservent-ils pas quelques pages ? Tout comme les violoncellistes, les flûtistes ou même les chanteurs(ses) ? Le public ne serait-il pas encore prêt ?

Sa réputation n'est pas encore arrivée aux rives du pays du Cèdre ? La tentative en vaut le détour. Et la surprise pourrait être de taille lorsqu'on sort du ronron (si enchanteur) des princes du clavier, des cordes et des archets...
Pour ce « fonceur » et ce « décodeur » de la musique, lui qui a étudié l'architecture et voulu être écrivain, lui qui a dit aussi que « créer, c'est faire acte de résistance » (ça nous connaît, nous, braves Libanais...), voilà une occasion en or pour illustrer ces mots en le programmant. En écoutant ses opus, même avant-gardistes, au moment où la musique, même dite classique ou contemporaine, a toutes les tendances, tous les effritements, toutes les quêtes, toutes les sonorités, probables et improbables...

Si pas du point de vue symphonique, car l'aventure semble plus ardue et périlleuse, alors du moins du point de vue instrumental. Facilement abordable... Un peu de Ligeti ou du Dusapin, c'est comme découvrir, émerveillés, Stockhausen en 1969 à la grotte de Jeïta entre échos et gouttes d'eau qui se confondent aux silences d'une partition qui refuse de livrer son tempo, ses clefs, ses coins d'ombre ou sa lumière...

Pourtant son nom et ses œuvres rayonnent non seulement dans l'Hexagone, mais partout en Europe. Notamment l'Allemagne et la Belgique, où son tonitruant opéra Penthésilée, mis en scène par Pierre Audi, d'après le dérangeant et si romantique texte de Heinrich von Kleist, est plus qu'un triomphe au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles. Une sidérante révélation. Et une reconnaissance, sinon du grand public, du moins des cercles élitistes les plus chicaneurs sur les valeurs et les portées d'une roucoulade, d'un feulement, d'un cri, d'un couac ou d'une vocalise, sublime ou ratée...

Un regard d'aigle, des lunettes vissées sur le nez, des cheveux noirs raides dans le cou, une allure de moine austère et ascétique, Pascal Dusapin, parfait reflet d'une tourmente intérieure, n'a pas un profil qui inspire confiance. Normal. Tout comme sa musique qu'on gagne à approcher, presque à pas lents, à écouter en lui donnant tout son sens, à déguster tel un fruit exotique qu'on vient de découvrir. Un monde d'accès non rébarbatif, mais pas facile d'emblée. Comme une forêt dont les sous-bois sont un trésor de lumière et d'irisations.
Quarante ans d'inspiration et de labeur pour une œuvre dense, prolifique, polymorphe. Pour tous les instruments et tous les styles. À égale virtuosité et audace sonore. Cela va du solo de piano à celui de violoncelle, en passant par la flûte, le trombone, l'alto, la clarinette, la contrebasse...

Les compositions pour voix de femmes, barytons et ténors ont aussi leur place, tout comme les opus de musique de chambre, sans parler, aujourd'hui, du franc succès d'un art lyrique qui a à son actif plus de sept opéras. Controversés, vilipendés, paradoxalement toujours au haut des affiches et qui ne passent jamais inaperçus. Toujours dans un cortège de sifflets, d'irritations, mais aussi d'applaudissements intempestifs. On évoque des titres phares : Roméo et Juliette, Médéamaterial sur un texte de Heiner Müller, Passion et Faustus, Last Night, sur un texte de Christophe Marlowe qu'ont réceptionné Strasbourg, Munich et Berlin...

Univers post-tonal et post-atonal
On revient sur les années de formation aux conservatoires de Paris, Strasbourg et Rome (avec ce séjour longue durée d'un pensionnaire adulé à la villa Médicis), mais référence est faite surtout aux grands maîtres, source d'une inspiration inédite. Dusapin s'est abreuvé aux connaissances d'Olivier Messiaen, Iannis Xenaxis (dont il a été, dit-on, l'unique élève) et Franco Donatoni.

Brisant le carcan de toute prosodie conventionnelle, le compositeur, d'une culture qui frise l'érudition, doublé d'un photographe chevronné – « C'est un contrepoint salutaire », dit-il –, a juré l'alliance d'un univers post-tonal et post-atonal avec des lignes mélodiques hachées, brisées, syncopées, rompant les digues d'amarres insolites. Entre rêves et cauchemars. Toute la stridence et toute la frénésie contemporaines. Pour des sonorités qui composent des harmonies nouvelles. Il y a du Zad Moultaka dans cette écriture et narration (ou l'inverse...) qui font feu de tout bois.

Malgré tout le boucan d'une carrière houleuse, les prix ont accompagné tous les combats et batailles. Grand prix de la ville de Paris, commandeur des Arts et des Lettres, prix symphonique de la Sacem, Victoire de la musique en tant que compositeur en 2002 : autant de galons qui assoient un parcours haut en couleur. Un parcours qui table sur le dépouillement, évite la monotonie, tend vers une densité minérale, se veut un condensé d'énergie. Si Bach, Mozart, Beethoven, Mahler et bien d'autres ont eu du fil à retordre avec empereurs, collègues, critiques et auditeurs, le temps a donné justice à des œuvres dont on ne peut plus se passer...

En sera-t-il de même pour Pascal Dusapin, chevalier d'une mélancolie tissée de toute la féroce actualité ? Aujourd'hui, pourtant, les éloges pleuvent, sans pour autant que la meute cesse son acharnement. La musique, libérée de toutes les contraintes et bousculant les normes, sans états d'âme, comme un insensible marteau piqueur, en prise avec les remous intérieurs et les orages qui s'abattent sans crier gare.

Né en 1955 à Nancy, Pascal Dusapin a les bourrasques et les contorsions des arbres, le mugissement des vents et la ténacité du evergreen, non seulement dans son nom, mais aussi et surtout dans ses notes et ses mélodies abruptes, d'une corrosive et fracassante modernité.
Pourquoi n'est-il pratiquement jamais présent dans la programmation des innombrables concerts qui se donnent à...

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