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Liban - Hommage

Michel de Bustros, l’homme qui savait parler aux terroirs

Le monde du vin est en deuil. Michel de Bustros s'est éteint avec le début des vendanges. Âgé de 87 ans, le fondateur de Château Kefraya, situé dans la vallée de la Békaa-Ouest, laisse derrière lui une trace indélébile de son travail et de l'œuvre imposante que représente son domaine.

Michel de Bustros surplombant son domaine de Kefraya.

Le soleil se lève sous un autre jour sur le domaine du Château Kefraya : le père du terroir est parti. Homme de sagesse et de rigueur, véritable érudit, Michel de Bustros a réussi à faire transparaître toutes ses connaissances à travers ses vignes, dessinées avec une précision et une exactitude de maître. « Mais, papa, ils vont te prendre pour un fou à déplacer les vignes de quelques centimètres pendant des heures ! » lui disait sa fille Sabine. Croyant en l'univers, il « avait le pouvoir de communiquer avec le monde réel et l'indiscernable ».
C'est d'ailleurs un point sur lequel Sabine de Bustros a insisté lors des obsèques de son père. La Prière de la sérénité de Marc Aurèle : « Mon Dieu, donnez-moi la sérénité d'accepter les choses que je ne puis changer, le courage de changer ce que je peux, et la sagesse d'en connaître la différence », reprise dès le prologue du premier livre de Michel de Bustros, Tourmente d'une guerre dite civile. Une prière qui revient comme le leitmotiv de toute sa vie, de ses pensées et de ses actions.

Un projet ambitieux
Après avoir commencé par faire de la polyculture – blé et arbres fruitiers –, Michel de Bustros a planté ses premières vignes sur des terres ingrates, car rocheuses. Sa minutie, sa rigueur et son sens de l'analyse lui permettent de développer son projet et de passer de neuf à trois cents hectares en près de cinquante ans. Il a compris très tôt que s'il pouvait vendre ses raisins, il pouvait aussi bien créer son propre vin. Les « Coteaux de Kefraya » furent le premier vin, développé en suivant les règles instaurées par Michel de Bustros : le respect de l'environnement avec une vigne non irriguée et un refus d'assemblage avec d'autres vignes.

Le château Kefraya, construit en 1956 en tant que résidence familiale, surplombe aujourd'hui les plants de vignes et s'ajoute au paysage d'une réussite et d'une prospérité aussi bien matérielles que spirituelles. « Kefraya était son cinquième enfant, c'était sa folie, sa passion », affirme Sabine de Bustros.
« Michel de Bustros a suivi le parcours des grands, ce qui se voit à travers ses vignes », affirme Fabrice Guiberteau, directeur technique du château et œnologue. Michel de Bustros partageait son temps entre Kefraya et Beyrouth ; très souvent présent au domaine, il était intéressé par tout ce qui s'y passait. De la plantation à la vendange et la dégustation, il était omniprésent, en véritable amoureux du vin, ajoute-t-il. La guerre du Liban ne modifie en rien sa trajectoire. Contre vents et marées, il continue à aller à Kefraya, et malgré les circonstances, à y appliquer ses préceptes.

« Perfectionniste est le minimum des termes que l'on puisse utiliser pour décrire la personnalité de Michel de Bustros », raconte Fabrice Guiberteau. « Le potentiel qualitatif primait avant tout. Par exemple, il a refusé que le millésime 1991 voie le jour car il n'était pas au niveau du point de vue de la qualité », explique-t-il. Sabine de Bustros ajoute que « tout était fait dans la dentelle, de la mise en bouteille à l'étiquette ». Du raisin à la route qui menait au domaine, tout devait être parfait. Toujours au plus haut, Semper ultra, sa devise favorite est devenue le label de ses caves.

 

(Pour mémoire : Quand vin rime avec street art)

 

Homme de culture
Michel de Bustros était un grand érudit, curieux de tout et amateur de musique et d'art. Avant de se consacrer à ses vignes, il avait obtenu une licence de droit. Il est retourné ensuite sur les bancs d'université pour étudier les lettres, l'histoire et les sciences politiques. « C'était un dictionnaire à tellement de niveaux ! souligne sa fille. Toujours en quête d'excellence, il partageait sa culture avec générosité et m'a transmis sa confiance dans la vie, sa persévérance et son humilité. » Il a su combiner son amour de l'art et de la musique à sa passion pour le vin.

La représentation de la femme est très présente dans la production de vin à Kefraya, que ce soit au regard de la finesse et de l'élégance du vin ou de la création des étiquettes de vin par des artistes libanaises. Plusieurs bouteilles de Kefraya ont pris le nom d'un opéra dont l'héroïne est une femme. Aida, Madame Butterfly, Carmen et Dinorah se sont ainsi succédé pour combler l'autre passion de Michel de Bustros : la musique classique. Quant à la signification des bouteilles au nom de Comte de M et Comtesse de M, « c'est mystérieux, c'est la réponse qu'il aimait donner ». Dans son exigence, Michel de Bustros aimait donner libre cours à l'imagination.

La reconnaissance du vin de Kefraya dès la fin des années 90 s'est faite au prix de nombreux sacrifices. Lors de la guerre civile en 1975, Michel de Bustros a fait preuve de ténacité pour conserver ses vignes. Les vignes ont survécu aux chars durant la guerre et dominent autour du château de Kefraya grâce à un travail sur le long terme et de longue haleine. Ce pari fou que représente la création du domaine de Kefraya a mené Michel de Bustros toujours au plus haut, Semper ultra, comme le voulait sa devise favorite.
C'est un artisan, un créateur, un homme universel d'exception qui s'en est allé, laissant les vignes de Bacchus orphelines. Mais il laisse derrière lui le plus bel héritage au monde : celui d'un transmetteur de culture, d'une culture qui a porté haut dans le monde les couleurs rouges des vignes libanaises. L'adage cher à Henri Jayer, un autre grand du vin, ne veut-il pas en effet que « là où il y a de la vigne, il y a de la civilisation »... ?

 

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