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Moyen Orient et Monde - Analyse

Algérie : l’islamisme est-il soluble dans l’autoritarisme ?

Happée par la concurrence entre ses diverses formations, cette mouvance n'incarne pas une véritable opposition en compétition pour le pouvoir.

Abassi Madani, fondateur du FIS, lors d’une manifestation à Alger en 1990. AFP archives.

La photo de Ali Haddad, patron du Forum des chefs d'entreprise (FCE), généralement perçu comme l'homme lige du président algérien Abdelaziz Bouteflika, saluant chaleureusement l'ex-chef du Groupe islamique armé (GIA), Abdelhak Layada, lors d'une cérémonie funèbre en juillet dernier, avait soulevé une vague d'indignation dans la presse algérienne et sur les réseaux sociaux.

Cette poignée de main marque un nouvel épisode dans les tribulations de la politique du régime à l'égard des mouvements et partis à référentiel islamique. Un an plus tôt, le chef de cabinet de la présidence de la République, Ahmad Ouyahia, recevait Madani Mezrag, l'une des figures de proue de la contestation fondamentaliste dont la liste des faits d'armes durant la décennie noire (1991-2000, opposant les différentes organisations islamistes à l'armée algérienne et causant plus de 200 000 victimes et des dizaines de milliers de disparus selon les estimations les plus crédibles) est longue et connue du grand public. Cet ancien chef de l'Armée islamique du salut (AIS) avait été invité à donner son point de vue sur la révision constitutionnelle, rencontre qui précédait de peu l'annonce déconcertante, dans une déclaration publique à la presse au cours de l'été 2015, de son intention de créer un parti politique.

Si la réaction dans les hautes sphères de l'État ne s'est pas fait attendre, confirmant à l'ex-chef du FIS (Front islamique du salut) dissous l'impossibilité d'un retour en politique, l'incongruité de ces déclarations publiques répétées sur la chaîne CNN n'est pas sans lien avec la complaisance dont fait montre le pouvoir, pour s'allier, instrumentaliser ou subordonner les islamistes.

Le référendum du 16 septembre 1999 sur la concorde civile puis la charte pour la paix et la réconciliation nationale du 29 septembre 2005 qui amnistie les crimes de guerre et réintègre à la vie civile ceux qui ont déposé les armes interdit dans son article 26 toute activité politique « sous quelque forme que ce soit pour toute personne responsable de l'instrumentalisation de la religion ayant conduit à la tragédie nationale ». Si, depuis l'indépendance, l'islam a été mobilisé comme ressource politique et facteur identitaire au point d'être considéré comme une composante essentielle de l'idéologie nationale, l'attitude du pouvoir vis-à-vis des islamistes a été tantôt la diabolisation et la gestion répressive des islamistes pour neutraliser leur force de contestation, tantôt l'intégration dans le jeu institutionnel dès lors qu'ils ne posaient pas le problème de la légitimité du pouvoir et n'affichaient aucune volonté de rupture. La charte de réconciliation nationale a également permis de développer un nouveau mode de gestion autoritaire de l'opposition islamiste, par la tolérance à l'égard des partis s'inscrivant dans le jeu de clientèle du pouvoir et la cooptation à titre individuel d'ex-militants du FIS.

 

(Pour mémoire : En Algérie, la lutte des clans pour le partage de la Sonatrach...)

 

Gestion répressive et compromis
Historiquement, le facteur identitaire religieux a été une ressource de mobilisation importante dans la résistance à la colonisation. L'islamisme tire ainsi sa légitimité du rôle joué par l'islam dans l'histoire des luttes de décolonisation ainsi que dans le prestige des combats réformistes du début du vingtième siècle. Après l'accession de l'Algérie à l'indépendance et à mesure que se renforçait le déficit de légitimité du régime à la fin des années 70, le nationalisme culturel se transforme en fondamentalisme contestataire mettant en cause la gestion du pouvoir et l'accaparement de la rente par l'armée à travers un discours empreint d'éthique justicialiste. L'ouverture politique décrétée à la suite de la révolte de 88, et dans la foulée, les réformes de libéralisation économiques allaient à la fois renforcer le discours contestataire religieux et permettre au Front islamique du salut à ancrage populaire (agréé en 89) de se poser comme candidat à la succession au pouvoir.

Si comme le rappelle le sociologue algérien Lahouari Addi, le FIS n'a jamais incarné une force en rupture avec les fondements idéologiques du système politique, et qu'à l'image du pouvoir cette opposition se construisait sur un vide politique. Son efficacité mobilisatrice tenait à un enracinement profond dans les masses populaires, totalement absentes des préoccupations des « libéraux » et de leur discours séculaire. En dépit de l'absence de ressources idéologiques et du défaut d'une vision politique d'ensemble qui le présenterait comme une alternative crédible au pouvoir, le FIS apparaissait d'abord comme l'expression d'une volonté populaire de briser le monopole des élites sur le pouvoir et d'accès d'une frange significative, marginalisée, à la représentation politique et à une redistribution plus équitable de la rente.

Dans un contexte où la libéralisation a été perçue comme la fin de l'intervention de l'État dans le champ économique, et donc synonyme de paupérisation généralisée, « le vote des masses populaires pour le FIS était parfaitement rationnel », note M. Addi. L'arrêt du processus électoral en 1991, qui avait vu la victoire écrasante du parti islamiste aux premières élections législatives libres, débouche sur la dissolution du parti en 1992 et une décennie de guerre civile dévastatrice. Cette séquence historique n'en demeure pas moins éclairante quant à l'attitude du pouvoir face à l'opposition la plus organisée et la plus massive : la légalisation et l'inclusion des partis politiques à référentiel islamique n'est acceptée qu'à partir du moment où ces derniers n'incarnent pas une menace stratégique pour l'équilibre et la reproduction du système. Dès lors que la dynamique contestataire de cette opposition devient menaçante, la neutralisation s'effectue sur le mode radical de la répression généralisée. Or, pour restaurer la paix civile et éloigner le spectre d'une nouvelle guerre, les modalités de gestion de ces opposants politiques ont évolué avec l'accession au pouvoir d'Abdelaziz Bouteflika qui a privilégié la stratégie du compromis.

 

(Lire aussi : L’autre 8 mai 1945 : aux origines oubliées de la violence coloniale en Algérie)

 

Compétition contrôlée
Si le FIS est apparu comme un acteur central de la contestation du pouvoir et a cherché à s'en emparer, porté par la légitimité populaire, d'autres partis islamistes comme Hamas ou le Mouvement de la réforme nationale (Islah) né d'une scission avec le mouvement Ennahda, ont été très tôt légalisés, prenant place dans un espace politique relativement fermé et contrôlé par l'État. Bien que l'article 52 de la Constitution de mars 2016, reprenant les dispositions de l'article 42 de la Constitution précédente, interdit explicitement la mobilisation du référent religieux dans la compétition pour le pouvoir, la participation électorale de ces partis est autorisée depuis 1995. Sans leur dénier leur capacité mobilisatrice, ils sont happés par la concurrence entre partis et n'incarnent pas une véritable opposition en compétition pour le pouvoir.

Les crises de leadership récurrentes à l'intérieur du mouvement Islah, affaiblissant le parti, tout comme la scission intervenue au sein du Mouvement de la société pour la paix (MSP) et la création par ses dissidents du Front du changement national 2011 (FCN) sous l'égide d'Abdelmadjid Menasra, sont l'illustration d'une forte fragmentation de la mouvance islamiste, qui neutralise leur potentiel de mobilisation contestataire. En revanche, des mouvements comme Wafa ou Rachad n'ont pas été agréés par l'État alors même qu'ils mettent en avant le principe de la non-violence dans la transformation de l'ordre politique. Cette interdiction serait sans doute levée si ces mouvements renonçaient à se présenter comme une force de rupture. La différence tient donc au fait que ces deux organisations « recyclent » d'anciens cadres politiques du FIS n'ayant pas renoncé à la transformation radicale du système politique.

Des ex-militants du FIS dissous ont, quant à eux, pu être réintégrés à la vie politique à titre individuel, en se présentant sous une nouvelle étiquette politique dans l'esprit hérité du projet de réconciliation nationale. Madani Mezrag, lui-même, consulté dans le cadre de la révision constitutionnelle, apparaît comme une interlocuteur fréquentable, dès lors qu'il n'affiche pas ses velléités de retour sur la scène politique. Le FIS, dont le caractère populaire a historiquement permis une mobilisation politique de masse et s'est imposé comme une véritable force d'opposition face à l'État-FLN, n'a plus les ressources politiques et symboliques pour prétendre à un retour sur la scène politique. Pulvérisé par le pouvoir, désavoué par les couches populaires y compris ses ex-militants, dont certains sont devenus bénéficiaires de la rente et des largesses économiques du système pour rentrer dans les rangs, le FIS a laissé placé à un vide, qui selon le chercheur Amel Boubakeur a été occupé par la Daawa Salafiya : « Devant l'instrumentalisation par l'État des formations islamistes officielles cooptées ou neutralisées en fonction de la conjoncture politique du pays, ce salafisme non oppositionnel et populaire représente pour beaucoup une alternative à la crise de représentativité du champ politique algérien actuel. »

*Politologue de formation, Tayeb el-Mestari est l'auteur, notamment, d'« Analyse sociopolitique des intellectuels francophones algériens, problème d'approche théorique ». Sa réflexion porte sur la problématique des intellectuels et leur relation au pouvoir en Algérie.

 

 

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