Une première visite dans la grotte : le président Camille Chamoun, avec à sa gauche Saëb Salam, ministre à l’époque, et Sami Karkabi (sur le devant du bateau) dans une barque menée par deux membres du SCL. Photo fournie par Sami Karkabi
En août 1956, Sami Karkabi, déjà spéléologue chevronné et cofondateur du Spéléo-Club du Liban (SCL), participe à une expédition dans le gouffre Berger, dans le Vercors, non loin de Grenoble avec des spéléologues français – une expédition pas comme les autres puisque c'était la première fois qu'on franchissait le cap des mille mètres de profondeur. C'est au fond du gouffre, donc, à 1 120 mètres de profondeur exactement, qu'il reçoit ce télégramme : « Rentrez urgence – Inauguration Jeïta – Camille Chamoun – 23 août. »
L'aménagement de ce qui est aujourd'hui connu comme la grotte inférieure (la grotte supérieure ne sera découverte qu'en 1958, lors d'une expédition du SCL) avait été entamé plus d'un an plus tôt sous la direction de Sami Karkabi, chargé de la gestion de la grotte par le commissariat au Tourisme (devenu, depuis, ministère du Tourisme). Il restera à ce poste de 1956 à 1974 (à sa démission). Le jour de l'inauguration, le site était prêt à recevoir les visiteurs, il ne restait plus qu'à améliorer la route qui y menait, percée peu auparavant, à partir du village de Jeïta.
« À cette époque, l'aménagement du site était très simple, se souvient M. Karkabi. Un petit barrage menait à des rampes où étaient attachées six barques, pouvant transporter huit personnes chacune. Les barques étaient en duralumin à fond plat et posées sur des poutrelles fines en bois. Elles avaient été transportées à l'intérieur de la grotte par le canal qui servait à acheminer l'eau jusqu'à Dbayé, portées par non moins de quatorze hommes chacune. Cet aménagement permettait d'accueillir un grand nombre de personnes tout en respectant l'environnement de la grotte : quand j'ai démissionné de mon poste, en 1974, nous avions accueilli cette année-là plus de 470 000 personnes. »
(Pour mémoire : Deux blessés par la chute d'un rocher à l'entrée de la grotte de Jeïta)
« Très heureux de ce qu'il découvrait »
Le 23 août 1956, la grotte était donc fin prête pour accueillir les officiels et, après eux, le public. Avec, à l'entrée, une plaque marquant son inauguration par le président Camille Chamoun. « Cette plaque a disparu, depuis, pour des raisons que j'ignore », souligne Sami Karkabi.
« J'étais à moto, c'est ainsi que je me déplaçais à l'époque, poursuit-il. Le président Chamoun et les officiels sont arrivés dans une impressionnante file de voitures, en costume officiel, sur la route en chantier. Tous les membres du SCL étaient là. »
Le président de la République descendait pour la première fois dans la grotte, ainsi que les autres officiels présents, comme Saëb Salam, alors ministre du Pétrole, et Michel Touma, commissaire au Tourisme. « Le président semblait très heureux de ce qu'il découvrait, poursuit le spéléologue. Il a félicité tout le monde, notamment le célèbre photographe Manoug, qui avait pris tant de clichés de la grotte. Pour ma part, je l'ai accompagné tout au long de la visite pour lui fournir tous les détails. Il ne m'a pas posé de questions, mais manifestait de l'intérêt pour la grotte. Je lui ai notamment expliqué le potentiel touristique du site, je lui ai raconté l'expédition originale de Maxwell et Bliss en lui montrant la bouteille laissée par Maxwell en 1873, à 800 mètres de profondeur dans la caverne. »
Suite à cette inauguration, l'engouement du public ne s'est pas fait attendre, et ne s'est plus jamais démenti. « Les premiers visiteurs affluaient par milliers, malgré la route inachevée, l'absence de parkings, explique Sami Karkabi. C'était le désordre, et il fallait gérer tout cela. Nous avons dû doubler les heures de visite pour satisfaire le public, de plus en plus nombreux. C'est cet engouement qui a fait de Jeïta le premier site touristique du Liban. » De 1956 à 1974, insiste-t-il, « aucun incident n'a eu lieu dans la grotte, il n'y avait pas la dégradation de l'écosystème observée depuis ».
Deux ans après l'inauguration de la grotte aménagée, la découverte, par le SCL, de la magnifique grotte supérieure devait soulever davantage d'enthousiasme pour ce site mythique.
Pour mémoire
La noyade d'un touriste égyptien dans la grotte de Jeïta soulève des questions
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Souvenir de 1970, je me trouvais à l'entrée de la grotte avec quatre Français faisant la queue comme tout le monde sous la surveillance de trois gendarmes. Arrive un groupe de Syriens, ignorant délibérément la queue, ils nous dépassent. Je me plains au gendarme, il ne réagit pas... Arrivés à la barque, une syrienne me dépasse en me donnant un coup de coude. Exaspéré, les yeux hors de leur orbite, je lui dis : "Ca suffit, la grotte est la nôtre, le pays est le nôtre, ou vous cessez vos acrobaties où je vous pousse dans l'eau." Elle avait compris comment on doit se comporter dans le pays des autres. Le gendarme m'a félicité.
Un Libanais
17 h 33, le 23 août 2016