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Liban - Le vieux Beyrouth

À la rue Gouraud, Fadlo Ghalieh préserve la tradition en confectionnant des chemises sur mesure

Dans certains anciens quartiers de Beyrouth au cachet typiquement libanais, de vieilles traditions commerciales, à caractère quasi artisanal, résistent contre vents et marées à une étouffante modernisation rampante. À Gemmayzé, dans un modeste magasin de quartier, il est ainsi encore possible, grâce à Fadlo Ghalieh, de se faire confectionner des chemises sur mesure. Avec les initiales brodées au nom du client...

Fadlo Ghalieh devant sa machine à coudre.

Face à la poussée irrésistible du béton et à l'émergence des hautes tours modernes dans plusieurs quartiers de la capitale, le vieux Beyrouth suscite chez nombre de Libanais un profond sentiment de nostalgie avec ses (rares) demeures ancestrales encore debout, au cachet typiquement libanais, et ses anciennes boutiques tenues par de modestes commerçants qui restent attachés à leur activité quasi artisanale. Un plongeon dans ce vieux Beyrouth et ses vieilles traditions commerciales permet d'entretenir une agréable nostalgie.
Rue Gouraud, à Gemmayzé, Fadlo Ghalieh maintient ainsi une activité en voie de disparition. Il confectionne des chemises pour hommes sur mesure. Ce métier était très courant à Beyrouth mais, comme beaucoup d'autres, il se fait de plus en plus rare. Aujourd'hui, il ne reste plus qu'une quinzaine de couturiers spécialisés dans la confection de chemises pour hommes à Achrafieh et Gemmayzé. Fadlo est désormais le seul de la rue Gouraud.

 

(Lire aussi : À Gemmayzé, la fin d'une époque)

 

« Je n'aimais pas l'école et j'ai décidé d'apprendre un métier, souligne-t-il. C'était en 1958. J'ai commencé par apprendre la confection de costumes en tweed pour hommes à Souk Sursock et ensuite j'ai appris la fabrication de chemises, à Souk el-Tawileh. Je me rappelle, pour la confection des chemises, que j'ai commencé par apprendre à coudre les boutons. On m'a attaché l'auxiliaire et le majeur ensemble durant trois jours à l'atelier pour que mon mouvement devienne agile. Souk Sursock était un marché grouillant de monde où tout se vendait à petit prix. Souk el-Tawileh était de loin plus chic. »

Fadlo Ghalieh a préféré la confection des chemises. « Pour les costumes, il faut trois essayages, alors que pour les chemises on n'en fait qu'exceptionnellement, précise-t-il. On prend les mesures et on coupe le tissu. L'essayage pour une chemise se fait uniquement quand quelqu'un présente un véritable défaut dans le corps. Le plus difficile pour moi a été de confectionner des chemises pour un homme dont tout le côté droit était paralysé des suites d'un anévrisme. J'ai pris les mesures, j'ai coupé le tissu et j'ai fait un premier essayage... C'était catastrophique. Je n'ai pas dormi de la nuit pour trouver un moyen afin que sa chemise tombe bien. J'ai trouvé la solution. Et le lendemain, je suis venu à l'atelier et j'ai coupé le tissu. La chemise allait à merveille au client. Je lui en ai confectionné dix. »

 

(Lire aussi : À Gemmayzé, une épicerie fait de la résistance)

 

Un quartier résidentiel et familial
Fadlo Ghalieh travaille dans le même atelier de Gemmayzé depuis 1967. Cette année-là, il avait décidé de s'établir à son propre compte et l'immeuble était flambant neuf.
« Gemmayzé était un quartier résidentiel et familial à quelques pas du centre-ville et tout le monde travaillait bien, jusqu'en 1975, indique-t-il. L'atelier est très proche de l'ancienne ligne de démarcation. À chaque round de la guerre, le travail prenait un coup dur. Et puis avec le temps, les hommes qui savent porter une chemise, une vraie, sont devenus rares. »

Fadlo Ghalieh note que pour juger une bonne chemise, il faut regarder comment elle tombe sur le col et la poitrine. Il ajoute que « les chemises vendues sur le marché ne respectent pas les particularités des corps de chacun. Il y a ceux qui sont trop gros, ou ceux qui ont un petit cou et un gros ventre... »
Et, aussi, il y a cette élégance à porter une chemise sur mesure, avec les petites initiales du nom du client brodées sur la poitrine.
« Le travail n'est plus comme avant, mais il y a des clients qui viennent chez moi de père en fils, relève Fadlo.

D'autres découvrent l'atelier seuls, comme ce client suisse qui était en voyage d'affaires au Liban, il y a seize ans. Il passait devant mon atelier et m'a vu à l'œuvre. Il partait le jour même. J'ai pris ses mesures et je lui ai livré ses chemises avant son départ pour l'aéroport. Depuis, tous les trois mois, il commande quatre chemises que parfois je fais envoyer en Suisse, s'il n'est pas en mission au Liban. J'ai même confectionné des chemises pour son fils. »

Fadlo Ghalieh propose dans son atelier une panoplie de tissus en coton, aux couleurs unies ou à rayures. La haute saison s'étend d'octobre à janvier. « Les gens portent beaucoup plus de costumes en hiver », explique-t-il.
Le couturier a confectionné des chemises à de nombreuses personnalités libanaises, dont l'ancien président Charles Hélou. « J'ai travaillé pour lui durant une dizaine d'années. Je lui livrais les chemises à sa résidence de Zouk et on parlait politique », note-t-il.
« Aujourd'hui, il ne reste plus beaucoup de couturiers de chemises à Beyrouth. Contrairement aux Syriens et aux Égyptiens, les jeunes Libanais ne veulent pas travailler de leurs mains, apprendre un travail d'artisanat. Ce métier disparaîtra avec nous », affirme-t-il avec un brin d'amertume.

 

 

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Le Français ignore la géographie, le Libanais aussi ? L'ancien Président de la République Charles Hélou n'a jamais habité à Zouk, il habitait plutôt à Sarba dans une villa dans la pinède de Kaslik.

Un Libanais

12 h 15, le 10 août 2016

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Commentaires (2)

  • Le Français ignore la géographie, le Libanais aussi ? L'ancien Président de la République Charles Hélou n'a jamais habité à Zouk, il habitait plutôt à Sarba dans une villa dans la pinède de Kaslik.

    Un Libanais

    12 h 15, le 10 août 2016

  • Le jour où Fadlo Ghalieh fermera boutique, dans très longtemps on espère, il ouvrira à sa place un bar de troisième catégorie avec de la musique à tue tête pour faire fuir ce qui reste comme beyrouthins authentiques et des voituriers qui s’arrogent le droit de régler le stationnement... On devra à ce moment jeter à la poubelle les pancartes « Quartier à Caractère Traditionnel ».

    Emile Antonios

    06 h 56, le 10 août 2016

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