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Liban - Interview

Pour Alice Chaptini, les barrières communautaires ont été surmontées, à deux ou trois exceptions près

Quinze années se sont écoulées depuis la consécration de la réconciliation de la Montagne par l'ancien patriarche maronite, le cardinal Nasrallah Sfeir, et le leader du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, durant les premiers jours du mois d'août 2001. Comment se mesure le succès de cette démarche ?

Dans quelles proportions les chrétiens ont-ils réellement regagné leurs villages ?
Quelles sont les actions à entreprendre pour dynamiser leur retour et clore ainsi le dossier de l'un des épisodes les plus sombres de la guerre libanaise ?

Autant d'interrogations que L'Orient-Le Jour a soulevées avec la ministre des Déplacés, Alice Chaptini, qui a dressé, à l'occasion du quinzième anniversaire de la réconciliation de la Montagne, un bilan mitigé de ce processus de réconciliation, faisant état des réalisations accomplies et celles qui restent à mener à leur terme.

Mme Chaptini tient d'emblée à inclure dans le terme « déplacés » tous les chrétiens qui ont dû fuir leur domicile respectif à tout moment de la guerre civile de quinze ans (1975-1990). « Ceux du Akkar, du Mont-Liban, et des villes frontalières du Sud et de la Békaa, autant que ceux du Chouf, de Aley, et de Baabda, insiste Mme Chaptini. Cent vingt mille demandes d'aides se trouvent déposées au ministère des Déplacés », indique dans ce cadre la ministre des Déplacés, qui relève que ces dossiers concernent en réalité un nombre trois à quatre fois plus grand de personnes. « Chaque demande est déposée par une unité familiale », explique-t-elle, estimant que celle-ci « est généralement composée d'au moins trois ou quatre membres ».

« Pour satisfaire l'ensemble de ces sollicitations provenant de toutes les régions affectées, savez-vous quel est le montant qui se trouvait dans la Caisse centrale des déplacés lorsque j'ai pris en charge le ministère en février 2014 ? » interroge-t-elle, avant de répondre elle-même : « Vingt-cinq milliards de livres libanaises seulement, sachant qu'il a fallu attendre octobre 2015, soit 20 mois plus tard, pour que le Conseil des ministres avance la modique somme supplémentaire de dix milliards de livres libanaises, et juin 2016 pour obtenir sa décision de verser quinze autres milliards de livres libanaises que nous attendons toujours. »

Faisant un calcul rapide, Mme Chaptini indique qu'« en tout, cinquante milliards de livres libanaises sont disponibles, soit moins que la somme de cinquante-cinq milliards de LL fixée par le Conseil des ministres pour dédommager les seuls déplacés de Brih ».

 

(Lire aussi : La reconstruction de l'église Saint-Élie de Brih, fruit du mariage entre tradition et modernité)

 

L'importance du lieu de culte
Évoquant le cas particulier de Brih, le village du Chouf où la construction de deux grande églises vient de s'achever, Mme Chaptini s'est félicitée de ce retour symbolique de la vie chrétienne dans cette localité, estimant toutefois que « la somme dépensée (1 milliard et 900 millions de livres libanaises) pour cette réalisation est exagérée et la construction d'une grande église ou de deux petites aurait suffi ».
Ce qui aurait permis, souligne-t-elle, d'« utiliser la moitié du montant pour dédommager aussi bien ceux qui avaient perdu leurs habitations que ceux qui les ont squattées ». La ministre des Déplacés estime à ce propos que la décision des autorités politiques et religieuses et du comité des habitants de Brih d'édifier les deux églises est intervenue comme pour « contrebalancer l'existence d'une grande maison communautaire druze qui avait été bâtie dans le village ». « Pour les chrétiens de la région, le lieu de culte est par ailleurs d'une importance capitale parce que, disent-ils, il abrite leurs moments de joie et de peine », relève en outre Mme Chaptini.

Au niveau de la vie administrative de Brih, les considérations confessionnelles prennent une connotation plus positive. « Lors des dernières élections municipales, un accord a été conclu entre les communautés druze et chrétienne du village pour que les 12 sièges du conseil municipal soient attribués de manière paritaire », indique Mme Chaptini, qui déduit par là un retour significatif à l'entente. « Les habitants druzes sont même allés jusqu'à accepter de confier la présidence du conseil municipal à un maronite, bien que les chrétiens n'avaient pu obtenir au final que cinq sièges, en raison de l'insuffisance de leur présence dans la localité et, par là, de leur faible participation au vote », ajoute-t-elle.

 

(Lire aussi : Lettre ouverte au général Michel Aoun)

 

Le cas, isolé, de Kfarselwan
Et Mme Chaptini de relever, par ailleurs, que « c'est dans le village de Kfarselwan que l'absence des chrétiens est la plus notoire, en raison notamment de la persistance des ressentiments contre la communauté druze ». « Les déplacés gardent des blessures si vivaces qu'ils ne veulent entendre parler ni de retour, ni d'entente, ni de pardon », affirme-t-elle, indiquant que réciproquement, « les druzes du village refusent de restituer aux chrétiens leurs propriétés avant que ceux-ci abandonnent les plaintes pénales portées contre eux et à travers lesquelles ils ont écopé de jugements par défaut ».
Toutefois, le cas de Kfarselwan est quasiment isolé. La ministre des Déplacés relève avec satisfaction que « sur les trente-cinq villages de la Montagne, seuls deux ou trois pâtissent à ce jour de rancunes encore nourries ».

 

Empêcher que les zones frontalières restent dépeuplées
Mais si les barrières communautaires ont d'une manière générale été surmontées, il n'en reste pas moins qu'une contrainte majeure d'une autre nature entrave le retour total et définitif des déplacés. Il s'agit du manque notable d'infrastructures de base, nécessaires pour une vie décente dans les villages concernés.

Mme Chaptini déplore dans ce cadre la négligence extrême des autorités.
« Comment une personne pourrait-elle s'attacher à sa terre, alors que la population est condamnée à faire face à l'indifférence de l'État ? », se demande la ministre, appelant le gouvernement à s'atteler à combler la carence à ce niveau, notamment dans les zones frontalières. « L'enjeu est d'empêcher que ces régions restent dépeuplées, enjeu qu'on ne peut réaliser qu'en satisfaisant les besoins vitaux des gens », souligne Mme Chaptini, sollicitant l'établissement d'infrastructures pour « satisfaire les services de base se rapportant à l'eau, l'électricité, la santé, la scolarité, ainsi qu'aux routes, aux transports, à la télécommunication et également au sport ».

Dans ce cadre, la ministre des Déplacés exhorte par ailleurs les entreprises privées à transférer une partie de leurs activités dans ces zones rurales, « ce qui assurerait de nombreuses opportunités de travail aux jeunes, lesquels pourraient alors renoncer d'aller s'installer dans les zones urbaines ».
Et Mme Chaptini de souhaiter en conclusion l'élection rapide d'un président de la République qui s'attellerait, au-delà de la réconciliation druzo-chrétienne, à l'unification du pays à travers le rapprochement entre toutes les communautés.

 

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