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Moyen Orient et Monde - Tribune

Le Brésil des Jeux olympiques, une nation divisée et polarisée

Les Jeux de Rio commenceront aujourd’hui pour prendre fin le 21 août courant. Phil Noble/Reuters

Dans la Grèce antique, les Jeux olympiques étaient synonymes de paix. Les guerres étaient momentanément interrompues pour laisser place aux compétitions. Bien que le contexte soit totalement différent, le Brésil de 2016 semble se trouver, de la même façon, dans une espèce de trêve olympique, dans le cadre de la pire crise politique, économique et sociale qu'ait connu ce pays depuis le début de la transition politique, en 1985.

Pour l'ex-président Luiz Inácio Lula da Silva, le grand promoteur de l'organisation de cet événement à Rio de Janeiro, les Jeux olympiques devaient permettre de cristalliser auprès de l'opinion publique internationale l'ascension de son pays sur la scène mondiale. Même si le Brésil, considéré comme le pays de la cordialidade – pour reprendre le mot de l'historien Sergio Buarque de Holanda – recevra les athlètes et les touristes avec les bras grands ouverts, l'image qu'il offrira au monde sera celle d'une nation divisée et polarisée, avec deux présidents briguant le pouvoir.

À l'inverse du processus de destitution de Fernando Collor de Mello, en 1992, qui créa les conditions d'une stabilisation économique et de l'amélioration sociale qui suivit, l'impeachment de Dilma Rousseff ne s'est pas traduit par une résorption de la crise brésilienne. Au contraire, nous assistons à une bataille politique et de communication entre le gouvernement intérimaire et la présidente suspendue. Sur le plan de l'économie, principale préoccupation des Brésiliens, l'administration de Michel Temer a envoyé des signaux plus qu'ambigus : d'un côté, il a annoncé des coupes dans les budgets de la Santé et de l'Éducation, et mis en doute l'efficacité des programmes sociaux.

 

(Lire aussi : Derrière l'affaire russe, les premières compétitions)

 

De l'autre, le gouvernement a sorti son chéquier pour consolider sa majorité parlementaire, qui devra se prononcer sur la mise à l'écart de Dilma Rousseff à la fin août, ainsi que pour plaire aux fonctionnaires, qui ont reçu d'importantes augmentations de salaire malgré l'« austérité » vantée par Michel Temer et son ministre des Finances, Henrique Meirelles. Grâce à la bonne image de ce ministre dans les milieux financiers (il fut président de la Banque centrale sous Lula), ainsi qu'à la méfiance de ces derniers vis-à-vis de Dilma Rousseff, les marchés ont fait preuve d'une attitude bienveillante face à ces mesures, mais il est peu probable que cela dure longtemps.

Or, contrairement à 2003, lorsque M. Lula avait non seulement la légitimité des urnes, mais aussi la force politique pour imposer à son parti et aux partis de sa coalition l'adoption de mesures impopulaires, une partie non négligeable de l'opinion publique considère aujourd'hui M. Temer comme un président par intérim illégitime. En outre, ce dernier doit faire face à la même majorité parlementaire qui a refusé de mettre en œuvre les mesures d'austérité proposées par Dilma Rousseff au cours de l'année 2015, et qui reste engluée dans le torrent d'affaires de corruption mis en lumière par le scandale « Lava Jato », malgré la mise à l'écart du sulfureux Eduardo Cunha, ancien président de la Chambre des députés, initiateur de la procédure de destitution de Dilma Rousseff et allié de Michel Temer.

De façon plus structurelle, la triple crise brésilienne a révélé une bonne partie des failles du pays. En premier lieu, la grande promiscuité existante entre l'argent et la politique, engendrée par un système électoral dysfonctionnel qui n'impose aucune limite de dépenses pour les campagnes électorales et favorise la fragmentation des partis au Parlement. Pourtant, en nommant dans son équipe (exclusivement composée d'hommes, blancs de surcroît) des ministres impliqués dans ces scandales de corruption, M. Temer montre qu'il veut faire prévaloir le statu quo. Deuxièmement, le manque de pluralisme dans les médias a été mis en exergue par le traitement partial et partiel des événements, visant in fine à fragiliser Dilma Rousseff.

 

(Lire aussi : Le pape appelle les sportifs à mener « la bonne bataille »)

 

En mettant à profit leur force de frappe, les médias ont assumé pleinement leur rôle de quatrième pouvoir et de soutien à l'ancienne opposition. Là encore, les actions du gouvernement intérimaire ne vont pas dans le sens de l'apaisement : Michel Temer a tenté de révoquer le patron de la chaîne de TV publique (EBC), avant d'être rappelé à l'ordre par la Cour suprême. À défaut de la contrôler, il souhaiterait désormais dissoudre cette dernière. Finalement, si la justice a joué un rôle crucial dans la révélation des affaires de corruption qui accablent l'élite politique, médiatique et économique du pays, il n'en reste pas moins que certains membres du pouvoir judiciaire n'ont pas hésité à se placer au-dessus des lois pour parvenir à leurs fins.

La justice est devenue, en partie, un instrument de provocation politique. Plus de quatre mois après la comparution forcée de l'ancien président Lula à l'aéroport de São Paulo, qui eut un retentissement médiatique international, aucun document n'est venu étayer matériellement un enrichissement illicite, ou un détournement de fonds de l'ancien président. Alors que les preuves se font attendre, l'acharnement médiatique et juridique contre l'ancien président reste de mise.

Même s'il est probable que les mobilisations diminuent pendant les Jeux, nous ne pouvons pas oublier que dans les enquêtes d'opinion, le gouvernement intérimaire est très impopulaire (14 % de satisfaits). Par ailleurs, plus de 60 % des Brésiliens soutiennent des élections anticipées. Et si les élections avaient lieu aujourd'hui, M. Lula gagnerait au premier tour. Au pays de la cordialidade, après les émotions et la trêve des Jeux olympiques, les prochains mois donneront lieu, sans aucun doute, à de profondes luttes politiques.

*Directeur exécutif de l'Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes (Opalc).
Twitter : @Gaspard_Estrada

 

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