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Moyen Orient et Monde - Reportage

Abou Abdo, tailleur de pierres tombales à Alep : « Je suis là, posé dans la main d’Allah... »

« J’étais à la mosquée, ma femme et mes quatre enfants à la maison. Ils sont morts ».

« Je n’ai plus rien. Que mon atelier. Je vis chez mon frère, pas loin, alors je passe mes journées ici. J’attends », raconte Abou Abdo, le tailleur de pierres tombales qui a perdu son épouse et ses quatre enfants dans le bombardement de sa maison à Alep. Marco Longari/AFP

Les morts s’accumulent à Alep, mais pour « Abou Abdo », tailleur de pierres tombales près du grand cimetière Cheikh Saoud, les temps n’ont jamais été plus durs. Le monceau de gravats qui ouvre la rue Bab al-Adib où est située son échoppe, près de la vieille ville, est tout ce qui reste de sa demeure, rasée par l’aviation en juillet, aux premiers jours des combats dans la métropole du Nord. « J’étais à la mosquée, ma femme et mes quatre enfants à la maison. Ils sont morts », dit sobrement ce petit homme corpulent, à la moustache bien noire malgré ses 57 ans. « Je n’ai plus rien. Que mon atelier. Je vis chez mon frère, pas loin, alors je passe mes journées ici. J’attends. »


Faute de commandes, il a congédié son sculpteur. Il reste assis sur le trottoir, à l’ombre de grands arbres, nourrit ses canaris dans trois petites cages, partage thé ou café avec les voisins. Dans la poche de poitrine de sa
dishdasha sombre, une boîte de médicaments pour la tension. « On ne compte plus les enterrements, mais les gens d’Alep n’ont plus de quoi payer des funérailles », explique-t-il. « C’est nourrir ses enfants ou acheter une pierre. Le choix est vite fait. Je n’en ai pas vendu une depuis le début de la guerre, ici, au premier jour du ramadan. » Derrière lui, alignées contre les murs dans l’atelier tout en longueur, une soixantaine de pierres blanches. Rectangulaires, le sommet découpé en forme de minaret. Certaines sont presque achevées, avec des à-plats verts et des versets du Coran. Ne reste qu’à inscrire les dates de naissance et de décès. Tirées d’une carrière à 40 km de là, il les vendait 3 000 livres syriennes (45 dollars). « De toute façon, il est trop dangereux de se rassembler pour des funérailles. Cela fait des cibles », poursuit-il. « Les morts sont enterrés à la va-vite, quelques heures après le décès. Parfois la nuit, ou à l’aube. Pas de cérémonie, rien. Un trou dans le sol du cimetière. Peut-être les familles mettront les pierres après... Après la guerre. »


Au mur, entre deux grands yeux dessinés, un verset du Coran : « Tout ce qui t’appartient n’est qu’un don d’Allah. » De loin en loin résonnent des détonations d’armes à feu ou des explosions d’artillerie. La ligne de front entre l’armée régulière et l’Armée syrienne libre (ASL) est à environ trois kilomètres. Abou Abdo, qui commence par révéler son identité puis se ravise, demandant que seul son surnom usuel soit divulgué, assure que « quand cela se rapproche trop, je tire le rideau et reste là, à attendre que cela se calme. Puis je rentre chez mon frère ». Un obus est tombé il y a six jours sur les tombes du cimetière, un autre sur l’école voisine, faisant exploser les rares vitrines ouvertes alentour. Les automobilistes accélèrent au rond-point voisin, parfois cible de tireurs embusqués.


Comme tous les habitants d’Alep, Abou Abdo vit sur ses économies. « J’ai 80 000 livres syriennes (environ 1 200 dollars). Je n’achète que le strict nécessaire. On verra bien ensuite. J’avais une belle vie, avant... J’ai tout perdu. Ma femme, tous mes enfants, ma maison. Je suis là, posé dans la main d’Allah... »

Les morts s’accumulent à Alep, mais pour « Abou Abdo », tailleur de pierres tombales près du grand cimetière Cheikh Saoud, les temps n’ont jamais été plus durs. Le monceau de gravats qui ouvre la rue Bab al-Adib où est située son échoppe, près de la vieille ville, est tout ce qui reste de sa demeure, rasée par l’aviation en juillet, aux premiers jours des combats dans la...
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