« ... Le loup se jeta sur la petite chèvre et la mangea. » Combien de temps les révolutionnaires du « printemps arabe » pourront-ils résister aux assauts d’un double ennemi : Frères musulmans, salafistes et autres islamistes d’une part, reliquats de l’ancien régime d’autre part ?
Lundi, Khairat al-Chater, candidat des Ikhwane, guetté par une interdiction de participer à la course présidentielle pour cause d’emprisonnement sous le régime Moubarak, a donné de la voix. « Nous n’avons pas fait des sacrifices pour que le vice-président de Moubarak revienne », a-t-il fait savoir, menaçant de « descendre dans la rue » pour prévenir tout retour sur le devant de la scène du général Omar Souleimane, honni par les manifestants du Midane el-Tahrir depuis ses piteuses performances des baltaguiyah qui ont marqué les dernières heures au pouvoir du raïs.
Le même jour dans la capitale tunisienne, des centaines de jeunes manifestants prenaient d’assaut l’avenue centrale Habib Bourguiba pour commémorer la « Journée des martyrs » avant d’être violemment dispersés par la police à coups de gaz lacrymogènes et de matraques. Leur argument pour justifier leur mouvement : « C’est nous qui avons libéré le pays. Ils (les ministres du gouvernement en place) n’ont pas le droit d’interdire des marches pacifiques. »
Réflexion d’un médecin trentenaire : « Nous n’acceptons pas le projet obscurantiste d’Ennahda », le parti de Rached Ghannouchi. Après l’interminable ivresse de la libération, avec son point d’orgue représenté par la chute des autocrates, voici venu pour le monde arabe le temps du réveil aux dures réalités de la vie politique et à la confrontation avec une mouvance qui en inquiète plus d’un, les doux rêveurs surtout, convaincus hier qu’il suffit de donner de la trompette pour voir s’effondrer les murs de Jéricho. Pendant que ces idéalistes peaufinaient leurs slogans, leurs aînés barbus créaient des dispensaires, ouvraient des écoles où l’enseignement était axé principalement sur l’aspect religieux, distribuaient vivres et argent aux plus démunis, envoyaient des prédicateurs formés et financés par l’Arabie saoudite et le Qatar et entreprenaient de convertir les jeunes filles aux bienfaits du voile.
On a voulu instaurer la démocratie, disait-on alors dans les chancelleries occidentales, engager le Proche-Orient sur la voie du modernisme en lui permettant d’entrer de plain-pied dans ce XXIe siècle de toutes les révolutions technologiques.Vœux hypocrites, ainsi qu’on devait bien vite le constater sur le terrain, avec une montée en puissance – que l’on voyait venir pourtant – du courant islamiste, un semblant de dialogue qui ne peut mener nulle part et une décourageante paralysie de tout projet de réforme.
La Libye est en proie à ses démons tribaux, tout comme d’ailleurs le Yémen ; l’Irak continue inlassablement sa quête des solutions à un conflit vieux de plusieurs siècles, opposant chiites et sunnites; la Syrie n’en est qu’au tout début d’un long et douloureux cheminement vers l’inconnu. Et le reste est à venir...
Car rien n’empêche d’autres pays de la région de se retrouver un beau matin en pleine tourmente. Les ingrédients existent ; ils ont noms incompétence, gabegie et corruption, déni de réalités criantes pourtant, à côté de données démographiques, économiques, sociales, climatiques – on en passe. En juillet 2002, trois chercheurs du Population Reference Bureau (une ONG) publiaient une étude sur l’eau, et donc sur l’avenir des peuples dans la région MENA (Middle East and North Africa)*. Les dirigeants de cette partie du monde devraient, s’ils en ont vent, se pencher sur les conclusions de ce dossier. On apprend ainsi qu’entre 1970 et 2001, le nombre d’habitants est passé de 173 à 386 millions, dont un tiers a moins de 15 ans (proportion qui atteint 40 pour cent en Jordanie), qu’elle augmente de 2 pour cent annuellement, soit 7 millions d’âmes, que les trois quarts de l’eau se trouvent dans les quatre pays suivants : Iran, Irak, Syrie et Turquie. Le royaume hachémite verra le nombre de ses habitants passer de 4,9 à 11,7 millions dans les 50 prochaines années, ce qui sera aussi le cas pour les autres contrées MENA. On imagine l’impact de ces données sur la vie quotidienne, un aspect d’un dossier gigantesque qui ne semble nullement entraver la marche des nouveaux maîtres du monde arabe vers l’instauration de la charia.
Dans l’apologue de La chèvre de Monsieur Seguin, le narrateur, avant d’entamer son récit, lance : « Tu verras ce que l’on gagne à vouloir être libre. » On osera une remarque : tout de même, il devrait être possible de prétendre bénéficier et de l’un et de l’autre. Et de la liberté et d’une vie digne.
* « Finding the Balance : population and water scarcity in the Middle East and North Africa », par Farzaneh Roudi-Fahimi, Liz Creel et Roger-Mark De Souza.
Lundi, Khairat al-Chater, candidat des Ikhwane, guetté par une interdiction de participer à la...
commentaires (3)
Très Cher Monsieur Merville, et Toi Cher Christian, toutes ces analyses et ces maux et crimes que causent tous ces fanatiques "extrémistes de tous bords", et tous les chambardements de toute la région, viennent, on se doit de le dire, de la déclaration, complot bien programmé " de Nouveau Moyen Orient" démocratique ( ANARCHIQUE ! ) d'un AUTRE DE LOIN PLUS FANATIQUE, ET PAR ORDRE DE DIEU, DANS SON SONGE, comme tous ses autres collègues extrémistes d'ailleurs, le très cher ( à sa mère et son père uniquement ) G.W.B.
SAKR LEBNAN
13 h 19, le 10 avril 2012