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Liban - Interview

Amine Gemayel : Les objectifs du 14 Mars ne peuvent pas être sacrifiés à cause d’un malentendu électoral

« Nous n’avons de leçons à recevoir de personne sur la manière de servir notre pays. » Le président Amine Gemayel lance cette phrase pour mettre un terme aux critiques adressées ces derniers temps à son parti par certains membres du bloc du Futur au sujet de la loi électorale. Loin de lui toute idée de polémique. Il a en tête deux priorités : rééquilibrer la représentation chrétienne au Parlement et préserver l’unité nationale. Il affirme n’éprouver aucune amertume. Aussi bien dans sa famille que dans sa longue carrière politique, il a essuyé des coups et pansé des blessures dont certaines ne se fermeront sans doute jamais.

L'ancien président libanais Amine Gemayel.

Êtes-vous satisfait de l’adoption en commission du projet grec-orthodoxe ?
Il ne s’agit pas d’être content ou non. La véritable victoire sera lorsque nous arriverons à associer deux éléments : une véritable représentation chrétienne au Parlement après plusieurs années de frustration, et la consolidation du consensus national. Nous avons longuement milité pour rectifier les erreurs du passé et pour réaffirmer le rôle des chrétiens au Liban et à partir de là, dans la région. Notre objectif n’est pas une loi spécifique. Notre souci est d’aboutir à une parité réelle et de mettre un terme à la frustration des diverses communautés, tout en redonnant au Liban son rôle.

 

Le général Michel Aoun vous a contacté par téléphone. Qui a félicité l’autre ?
Nous ne sommes pas encore au bout de nos efforts pour en arriver au stade des félicitations. Le vote des commissions est une étape.

Les Kataëb semblaient hésitants lundi, comme s’il était encore possible de choisir un autre projet...
Nous sommes tous ouverts au dialogue. Plus nous élargissons le champ du consensus, mieux c’est pour la stabilité du pays. Il ne faut pas oublier que des factions importantes du pays se sentent lésées par cette loi.

Visiblement, des composantes du 14 Mars sont fâchées de vous.
Au lieu des critiques acerbes dont nous sommes la cible, il vaudrait mieux présenter des propositions valables. La critique est aisée, mais l’art est difficile.

Votre allié Mouïn Meraabi vous a accusé de trahison.
Nous n’avons de leçons à recevoir de personne sur la manière de servir notre pays. Mais chacun est libre de faire l’interprétation qu’il veut. De son côté, le parti Kataëb a été le plus dynamique en faisant des propositions alternatives au projet grec-orthodoxe. Nous n’avons pas chômé un seul instant dans notre souci d’imaginer de nouvelles propositions pour une sortie de crise. D’ailleurs, le projet présenté par Samy a été paradoxalement accepté par le représentant du Hezbollah et par celui du Futur.

Dans ce cas qui l’a rejeté ?
La commission n’a pas été au bout de l’étude de ce projet, qui reste très valable et qui peut servir de base de discussion dans une dernière tentative pour sortir de l’impasse.

Ce qui s’est passé et l’appui du Hezbollah au projet grec-orthodoxe ne vous pousse-t-il pas à vous poser des questions sur votre alliance avec le courant du Futur ?
Notre alliance avec le courant du Futur n’a jamais été exclusivement électorale. Elle est au service de certains principes et de certains objectifs nationaux, dont la restauration de la souveraineté libanaise, la réalisation de la justice internationale à défaut de la justice nationale, et la relance des institutions publiques.

Cette alliance n’est donc pas ébranlée aujourd’hui ?
Elle dépasse les intérêts électoraux. Ce n’est pas parce qu’il y a un malentendu autour de la loi électorale que les objectifs seront sacrifiés. Nous maintenons le cap sur ce plan.

Pourtant, il est clair que le courant du Futur voulait confisquer des sièges chrétiens...
Il n’est pas question pour nous de faire des comptes de boutiquier à propos de la loi électorale.

Que reste-t-il aujourd’hui du 14 Mars ?
Je vous l’ai dit, notre alliance ne se limite pas aux enjeux électoraux. Le 14 Mars existe toujours. Ce qui nous unit est plus important que le malentendu électoral.

Pourtant, ces derniers temps, on avait l’impression que le parti Kataëb se distinguait un peu des autres composantes du 14 Mars et faisait cavalier seul.
Le parti Kataëb est l’aîné des composantes du 14 Mars. Il a déjà 77 ans. Il a ses traditions et ses sacrifices. Il ne faut pas l’oublier.

Comment se fait-il que vous vous soyez souvenus des droits des chrétiens lorsque le général Aoun en a fait son cheval de bataille ?
Le projet orthodoxe a été présenté en réalité par la Ligue maronite dans les années 70. Le CPL n’était pas encore né. C’était un projet en discussion. Indépendamment de toute autre considération, nous avons pensé qu’en dehors d’une alternative valable, ce projet est une façon de restaurer une meilleure représentativité chrétienne, qui est une condition sine qua non pour une véritable union nationale.

Le mode de scrutin proportionnel n’est-il pas le meilleur dans ce sens ?
Dans la situation actuelle du pays, c’est un mode mixte qui est le plus adapté. Notre projet est celui présenté par Samy. Il n’a pas obtenu la majorité voulue. Nous nous sommes rabattus sur le projet orthodoxe. Mais le débat reste ouvert.

Le système proportionnel est pourtant favorable aux chrétiens...
C’est pourquoi nous avons présenté un projet mixte.

Avec une proportionnelle minimale. Pour faire plaisir au courant du Futur ?
Nous ne pouvons pas changer le système d’un coup. Notre programme est de faire évoluer progressivement tout le système politique libanais pour qu’il soit adapté aux réalités nouvelles. Il est clair que ce système est dans l’impasse et il est indispensable, après cette tempête, de réfléchir sur les moyens de l’améliorer.

Êtes-vous en train de proposer un amendement de l’accord de Taëf ?
C’est clair.

Certains voient dans ce qui s’est passé une manœuvre politique pour amener le Courant du Futur à la négociation en position de faiblesse.
Je crois que la bonne interprétation est de considérer que nous sommes devant un dilemme national, qui dépasse les manœuvres politiciennes. Il y a un problème réel. Je n’écarte toutefois pas la possibilité pour certains d’être mus par des intérêts personnels. Mais pour nous, il s’agit d’une opportunité pour déclencher un processus d’évolution du système.

Mais le problème des chrétiens existe depuis des années...
Oui, mais avant il y avait la tutelle syrienne. C’est la première fois qu’il y a un débat purement libanais au Parlement. Livrés à eux-mêmes, les Libanais doivent résoudre leurs problèmes en famille.

Comment évaluez-vous le rôle de Nabih Berry dans cette période ?
Il est partagé entre ses deux appartenances et ses deux casquettes : celle de président du mouvement Amal et allié du Hezbollah et celle de président de la Chambre. On verra comment il va réussir à les combiner.
Au sein de la sous-commission, il y avait une coordination étroite entre Samy et Ali Bazzi.
Samy a été encouragé par les sunnites et par les chiites. Son projet est d’ailleurs à mi-chemin entre celui de Ahmad Fatfat et celui de Ali Bazzi.

Comment expliquez-vous le fait que le courant du Futur soit si opposé à la proportionnelle ?
Je peux dire qu’il y a eu une coopération très franche entre le courant du Futur et nous. Nous avions préparé ensemble et avec les Forces libanaises le projet des 50 circonscriptions. Et nous sommes restés en contact permanent avec ce courant. D’ailleurs, Ahmad Fatfat a fini par présenter un projet qui adopte la proportionnelle.

Un peu tard...
Il l’a fait. C’est l’essentiel.

Les critiques qui vous sont adressées suscitent-elles en vous de l’amertume ?
En politique, et aussi loin que je me souvienne, les relations entre les alliés n’ont jamais été au beau fixe. Il y a souvent des intérêts contradictoires qui n’affectent pas les principes de base.

Mais, au fond, que vous a donné votre alliance avec le Futur : des extrémistes musulmans, cheikh Assir au Kesrouan...
Et qu’a donné l’alliance du CPL avec le Hezbollah ? Le dossier des armes, la confrontation aujourd’hui avec les pays du Golfe à cause de Bahreïn, l’implication en Syrie, et l’hostilité d’une grande partie de la population syrienne ainsi que celle des alliés de la révolution en Syrie, l’hostilité de la Bulgarie et de l’Union européenne si son implication dans l’attentat de Burgas est prouvée. Notre choix est un choix national.
Mais il représente quand même une communauté importante.
C’est vrai avec Amal, il représente une grande partie des chiites. C’est pourquoi nous avons avec lui une approche constructive et nous appuyons le dialogue de Baabda.

Y a-t-il un dialogue spécial entre les Kataëb et le Hezbollah ?
Nos députés sont en contact permanent au Parlement. Mais il n’y a rien sous la table.

Pourquoi ?
Rien ne l’empêche. Mais la situation n’est pas mûre pour aller plus loin.

Se dirige-t-on vers une coalition quadripartite chrétienne ?
Les efforts du patriarche maronite vont dans ce sens. Il veut dégager des points d’entente, notamment au sujet de la vente des terrains appartenant à des chrétiens, le dossier des naturalisations, la représentation chrétienne dans les institutions publiques, les élections... Mais à ce stade, nous ne pouvons pas parler d’alliance électorale chrétienne.

Croyez-vous à un report des élections ?
Ce serait regrettable.

Considérez-vous les Forces libanaises comme un allié ?
Sûrement.

On parle toutefois de rivalité entre vous...
C’est normal. Il y a même des rivalités au sein des Kataëb et même au sein des ordres religieux. La rivalité est légitime. L’essentiel est qu’elle soit contenue.

Pourquoi Saad Hariri a-t-il appelé Samir Geagea et pas vous ?
Il m’a appelé. Nous avons eu une conversation sereine et constructive. À la presse, il a dit ce qu’il avait sur le cœur. Mais avec moi, il a été constructif et nous avons convenu de rester en contact pour dégager des solutions qui préservent le consensus national. Ce qui est aussi notre position.

Que pensez-vous de l’implication des parties libanaises dans le dossier syrien ?
Je suis contre. Dès le début, notre position était la neutralité positive. Autant nous sommes avec les mouvements qui réclament la démocratie, autant nous sommes convaincus qu’il ne faut pas impliquer le Liban dans cette sale guerre ni importer au Liban les contradictions syriennes.

Avez-vous le sentiment d’avoir fait le mauvais choix en Syrie, puisqu’on cherche désormais un compromis ?
Depuis le début, j’étais en faveur d’une solution négociée qui préserve les institutions syriennes. Car elles sont indispensables pour rétablir la stabilité dans ce pays, cette stabilité étant elle-même essentielle pour le Liban. Une Syrie livrée à l’anarchie a un impact négatif sur le Liban. Il est dans l’intérêt du Liban que la Syrie soit stable et qu’il y ait un changement vers la démocratie et vers le système libéral qui constituent un point de départ pour les meilleures relations entre les deux pays.

Avez-vous peur pour les chrétiens de Syrie ?
Je suis très inquiet pour eux. Surtout à cause de la logique fanatique prônée par certaines factions. Cette logique est dangereuse pour les chrétiens mais aussi pour les musulmans qui ne partagent pas leur point de vue. Nous prônons le respect des droits de l’homme et l’acceptation de l’autre.

Avez-vous évoqué les élections avec le président français François Hollande ?
Oui, ainsi que d’autres sujets qui préoccupent les Libanais, comme la neutralité à l’égard de la Syrie. Il s’agissait d’une visite très constructive. C’était l’occasion pour lui d’entendre de vive voix notre analyse de la situation avec des propositions concrètes. J’ai été impressionné par sa maîtrise du dossier libanais et son attachement à la paix et à la stabilité au Liban.

 

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commentaires (5)

Bien que je préconise le Dialogue, je me demande s'il est possible après l'immixtion à partir du pays contre le Peuple du pays voisin...

SAKR LEBNAN

12 h 01, le 21 février 2013

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Commentaires (5)

  • Bien que je préconise le Dialogue, je me demande s'il est possible après l'immixtion à partir du pays contre le Peuple du pays voisin...

    SAKR LEBNAN

    12 h 01, le 21 février 2013

  • Qu'attend-on pour commencer " LE DIALOGUE " ??? La pourriture totale ?

    SAKR LEBNAN

    10 h 34, le 21 février 2013

  • Finalement l'esprit de la résistance primera toujours sur tout autre considération, dommage que Gémayel l'ait compris un peu tard. Mais maintenant que les intêrets sont sauvegardés par cette loi qu'il faudra ajuster pour éviter un effet pernicieux, les libanais ont pavé le chemin qui les fera avancer dans l'intéret national, loin de toute considération pécunière. Quelque chose me dit que Scarlett va attaquer l'autre gros morceau pour une interview de qualité, pour quand svp ??

    Jaber Kamel

    06 h 10, le 21 février 2013

  • Enfin un bon retour aux sources du président Amine Gemayel dans le giron chrétien. Bravo Antoine Sabbagha

    Sabbagha Antoine

    04 h 12, le 21 février 2013

  • Nickel chrome...Bye bye Taëf...le Liban est de retour...bon,je m'enthousiasme un peu tôt peut-être...

    GEDEON Christian

    19 h 51, le 20 février 2013

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