Même pour les croyants non chrétiens, même pour les agnostiques, les athées ou les païens, la foi de l’autre, sa ferveur, son bonheur, ses convictions et son émotion gardent quelque chose d’extrêmement fascinant. Dans un Liban où l’expression ostentatoire de son appartenance religieuse et communautaire, de son appartenance sectaire plutôt, est devenue un sport national, il est des pauses, des respirations, aussi artificielles soient-elles, pendant lesquelles les uns regardent les autres vivre une espèce de plénitude spirituelle. Vivre un rêve. En blanc.
Voir le pape.
Sans jamais (prétendre) atteindre le charisme ou l’investissement de chef d’État de Jean-Paul II, Benoît XVI n’en est pas moins un brillant théoricien, un cerveau cartésien d’une intelligence féroce et toute germanique, déterminé à plonger malgré tout, ou en raison de ce tout, dans un orientalisme byzantin, charmant et brouillon, dans de l’Antioche et des youyous, dans un Liban message peut-être, mais Babel sûrement. Qu’il le veuille ou non, Exhortation apostolique ou pas, rien que par son timing, rien que par les pieds de nez d’une histoire qui tire de plus en plus la langue, entre crise syrienne et treize minutes de L’Innocence des musulmans sur Youtube, cette visite papale est beaucoup plus politique que pastorale.
Naturellement, Benoît XVI le sent ; il le sait bien. Il ne l’a pas cherché, mais il s’en accommodera parfaitement, d’autant plus qu’il a compris que la majorité des chrétiens libanais va l’y aider. Cette majorité qui au mieux approuve, au pire se moque plus ou moins royalement, de l’opposition du Vatican au droit des femmes à l’avortement, aux droits des homosexuel(le)s à s’aimer, au devoir des peuples du tiers et du quart-monde à se protéger, préservatifs à la main, des hécatombes sexuellement propagées. Cette majorité qui est persuadée, à tort ou à raison, ce n’est pas le sujet, d’avoir des problèmes autrement moins futiles, autrement plus complexes, que ceux de ces Occidentaux qui s’ennuient... Dans ce Liban huntingtonien en diable, on ne se préoccupe, on ne doit se préoccuper que du destin des chrétiens d’Orient, que de la coexistence, idéalement de la convivialité islamo-chrétienne, que de la montée des fondamentalismes islamistes en tout genre.
Rarement Exhortation apostolique aura été, donc, aussi immédiate, aussi collée à l’époque, aussi politique. Rarement phrases papales auront été aussi concrètes, charnelles presque tellement plongées dans des angoisses et des doutes universels. Rarement composantes du patchwork libanais auront semblé être sur une exacte même longueur d’onde, aussi préfabriquée, aussi factice soit-elle. Même la milice du Hezbollah s’y est mise, coiffant ses jeunes scouts aux couleurs vaticanes et envoyant ses femmes tchadorées accueillir le souverain pontife : qu’il soit totalement sincère et assumé ou furieusement hypocrite et opportuniste, ce geste est dans tous les cas à mettre au crédit de la communauté chiite, qui vient de marquer un gros point dans cette guerre d’image et de symboles à laquelle elle se livre depuis des années avec sa sœur sunnite. Il faut juste expliquer au Hezb que le Liban est autant la patrie de la résistance que l’Iran est l’empire du chah...
Sunnite, chiite, chrétien, juif, bouddhiste, peu importe ; chaque collectif a ses brebis galeuses, cette minorité extrémiste, fondamentaliste, qui s’amuse, dans le sang et les fureurs, à souiller toute une communauté, à falsifier l’histoire. À peine le pape avait-il atterri sur le tarmac de l’aéroport Rafic Hariri que quelques salafistes de Tripoli s’employaient, véritables animaux, à déchirer les portraits de Benoît XVI, incendier des fast-foods US, à détruire une ville déjà martyr, le tout sous prétexte de condamner un brûlot anti-islam inouï de crétinisme. Pire encore : le mufti de la République, un fonctionnaire de l’État, la plus haute autorité religieuse sunnite au Liban, brillait par une absence retentissante sur le tapis rouge de l’aéroport.
Benoît XVI n’en a strictement rien à cirer, mais son arrivée au Liban a donné une nouvelle preuve, encore une, de l’incapacité chronique et patente des leaders sunnites à maîtriser leur minorité. Fouad Siniora est certes devenu le seul homme d’État que le Liban ait connu depuis des décennies, mais comme la totalité du courant du Futur ; comme, bien sûr, Nagib Mikati et l’ensemble des leaders tripolitains, ils s’avèrent tous atrocement inutiles dès lors qu’il s’agit de gérer leurs propres affaires. De nettoyer leurs propres écuries. Encore plus incapables que les chefs maronites – c’est dire... À leur décharge, un seul homme réussissait ce travail d’Hercule, et c’est pour cela, entre autres, que le régime Assad et ses complices le leur ont tué : Rafic Hariri.
Lequel Rafic Hariri n’a jamais caché, bien au contraire : il l’exhibait et s’en vantait, son admiration, son adoration, tout wahhabisé qu’il était, à cet homme que Benoît XVI a bien connu : Jean-Paul II.
commentaires (6)
Ce mufti est juste ...mufti,en fait.Y a t il besoin de dire plus?
GEDEON Christian
08 h 03, le 15 septembre 2012