L’arme principale qu’utilise le dignitaire islamiste pour mener son mouvement est la simplicité confondante de son message de révolte face au statut particulier acquis au Liban par le Hezbollah, son arsenal militaire, ses îlots de souveraineté exclusive, son influence grandissante sur l’État et la culture de l’illégalité qu’il contribue largement depuis des années à répandre dans le pays. De ce point de vue, la phraséologie d’Ahmad el-Assir fait mouche et pas seulement au sein de la communauté sunnite. Il y a quelques jours, un député chrétien, Joseph Maalouf (FL), a tenu à son sujet des propos qui laissent transparaître une dose de sympathie.
Il faut dire qu’après des débuts quelque peu confus, le cheikh sunnite de Saïda a vite su ajuster, non sans finesse, son discours à l’égard des chrétiens, allant jusqu’à chanter, lors de son passage très médiatisé à Beyrouth, l’hiver dernier, des louanges à l’égard de la présence chrétienne au Liban.
Dernièrement, il a intégré à son discours anti-Hezbollah des éléments se rapportant directement à la relation conflictuelle entre ce dernier et les chrétiens, comme l’affaire des terrains de Lassa. Voir un chef intégriste de Saïda prendre plusieurs fois de suite la défense des intérêts fonciers de l’Église maronite est une chose assez rare pour qu’elle passe inaperçue.
C’est qu’Ahmad el-Assir doit se souvenir des terribles dégâts matériels, psychologiques et politiques causés par les hordes qui envahirent Achrafieh le 5 février 2006, sur fond de protestation contre les caricatures danoises du Prophète. En bon tacticien qu’il est, il a visiblement cherché à dissocier son image de ce désastre et y a, dans une mesure qui reste à déterminer, réussi.
Ces jours-ci, son souci apparent de ménager le président de la République et son ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel, dont il dit que c’est « un homme qui voit avec les deux yeux, et pas un seul », participe également de cette volonté d’amadouer les chrétiens.
Plus subtilement encore, le dignitaire intégriste tente de s’approprier la symbolique de la révolution du Cèdre. Ses multiples références à la « jeunesse du 14 mars 2005 » sonnent comme un appel à tous les désabusés de ce mouvement pour qu’ils s’unissent – en quelque sorte sous sa bannière – officiellement contre l’adversaire honni, le Hezbollah, mais officieusement peut-être, contre les actuels dépositaires de la révolution du Cèdre, en particulier le courant du Futur.
À regarder les choses de plus près, la formation haririenne ne semble-t-elle pas être la véritable cible d’Ahmad el-Assir ? On pouvait douter de cela il y a encore quelques semaines. Mais après les déclarations exagérément virulentes tenues par le cheikh vendredi dernier en riposte à l’attitude du chef du bloc du Futur, Fouad Siniora, qui s’était opposé au procédé qu’il utilise, le blocage des routes, le doute n’est plus permis.
Accuser le Futur d’adopter face au Hezbollah une « politique d’aplatissement » et de « brader le sang de Rafic Hariri » relève de la même logique que celle qui conduisait Hafez el-Assad à accuser Yasser Arafat de « brader la Palestine », ou qui pousse la République islamique persane de vitupérer contre les Arabes parce qu’ils sont mous face à Israël et le Hezbollah de distribuer les insignes de félonie à tous les Libanais qui ne partagent pas sa conception du conflit avec l’État hébreu.
Le règne de la surenchère, hélas, est constant dans la vie politique libanaise et arabe, et Ahmad el-Assir n’en est qu’un avatar. Non pas que l’on doive considérer que nul autre que le courant du Futur et les autres acteurs du 14 Mars est apte à défendre les principes de la révolution du Cèdre. Ce qui est certain, c’est qu’il y a quelque chose dans l’action du cheikh qui le rend, lui, inapte à tenir ce rôle. Et cela va bien au-delà de son background islamiste.
Ahmad el-Assir affirme que son mouvement est « pacifique ». Peut-on considérer comme une action « pacifique » le blocage d’une artère principale reliant une ville à son environnement immédiat ? La question mérite d’être posée.
Mais au-delà du pacifisme, il y a bien plus grave. La révolution du Cèdre portait en elle un principe fondateur sans lequel elle ne signifie rien, c’est celui du rétablissement, ou plutôt de l’établissement au Liban d’une culture de la légalité. En se faisant coupeur de routes, Ahmad el-Assir s’identifie aux méthodes de ceux qu’il prétend combattre. Et cela n’a plus rien à voir avec l’esprit du 14 mars 2005.
Les démocraties ont mis beaucoup de temps à vaincre les totalitarismes. Mais si elles ont fini par les vaincre, c’est parce qu’elles ne les ont pas imités, parce qu’elles sont restées des démocraties.
commentaires (6)
Bien que Mr. Assir n'est pas mon plat du jour, bien que je pense qu'il jour le jeu du Hezbollah, bien que ..., je pense qu'une telle action est non seulement légitime, puisque que pacifique et dans les normes de la loi, mais tout le peuple Libanais dans son ensemble se doit de bloquer toutes les routes jusqu'à ce que le Hezbollah dépose les armes. Apres cela nous pourrons alors discutailler pour se mettre d'accord sur une loi électorale juste et applicable, puis aux élections et par la suite aux amendements de la constitution afin de bâtir un Etat et enfin peut être une Nation! Bass waynnnnnnn el 7elm!!! Tant que nous avons des Assir et des Hassan Nasrallah, ntor ya gd... ta yetla3 el 7ashish....!!!
Pierre Hadjigeorgiou
08 h 43, le 04 juillet 2012