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Liban - Histoire

Le Phoenicia, un Phénix au cœur de la ville-monde

Exubérance, panache et violence ont jalonné les cinquante années d’existence du Phoenicia, un des fleurons de la capitale libanaise et premier établissement hôtelier au Moyen-Orient à porter le label d’intercontinental. Fondé en 1961, il était devenu le rendez-vous de l’élite beyrouthine et une destination pour les célébrités internationales. Et qu’importe si la guerre civile va le réduire en un champ de ruines : comme un Phénix renaissant de ses cendres, il reprendra son envol vers une nouvelle aventure, celle du IIIe millénaire. Il méritait un ouvrage. C’est (largement) fait.

Parangon du Liban glamourissime, Camille Chamoun offrira à l’hôtel Phoenicia un bal en l’honneur du roi de Grèce.

Signé Tania Hadjithomas Mehanna aux éditions Tamyras, Le Phoenicia, un hôtel dans l’histoire (bilingue français, anglais) déroule sur 430 pages l’hier et l’aujourd’hui de ce luxueux établissement : une occasion idéale pour raconter aux jeunes ou rappeler aux plus âgés les événements remarquables qui ont accompagné l’hôtel, dans une parfaite concomitance de deux volets presque siamois: la grande histoire (du Liban) et les petites histoires (du Phoenicia).
Puisant dans les archives des journaux, s’appuyant sur plusieurs témoignages, particulièrement ceux de Nana Gebara, ancienne journaliste à L’Orient, et dans un tourbillon d’affiches, d’images, de cartes postales empruntées à des collectionneurs, mais aussi de ces bruits et de ces odeurs chevillés au corps de tout Libanais amoureux de son pays, l’auteure recrée une ambiance presque cinématographique, dessinant en filigrane le portrait de Beyrouth. Cette ville à la fois maman et putain dont les quartiers, les cinémas, les théâtres, les boîtes de nuit, l’infrastructure touristique et même l’aéroport (de Khaldé, qui accueillera plus d’un million de passagers en 1959) continuent au XXIe siècle de faire saliver aussi bien les nostalgiques de tout poil que cette jeunesse qu’on dit, déjà, totalement désabusée.


En 1955, le premier guide paru sur le Liban, le Guide bleu, aux éditions Hachette, relève déjà que Beyrouth est un vaste chantier: «On continue d’abattre les vieilles masures qui l’encombrent, à démolir certaines parties des anciens souks, d’un pittoresque malpropre et malsain, sur l’emplacement desquels se dressent ou se bâtissent de grands buildings. » Tania Hadjithomas Mehanna résume : «Tourisme, villégiature ou business, le Liban est dans son âge d’or.» Où l’on apprend, entre autres, que grâce au sérieux et à l’enthousiasme de la commission nationale de tourisme créée en 1962 et de la PanAmerican qui intègre le Liban dans son circuit, l’année 1966 constituera un record avec des recettes «de l’ordre de 100 millions de dollars». De quoi faire saliver, 46 ans plus tard, n’importe quels ministres du Tourisme et des Finances...


En attendant, le Phoenicia, dont la construction avait commencé en 1954, est inauguré en grande pompe le 31 mars 1962. Commandité par l’homme d’affaires, député et ministre Nagib Salha et ses associés, cet hôtel, surnommé «La Grande Dame» tant la bâtisse suinte littéralement de noblesse et d’élégance, a été conçu par l’architecte américain Edward Durell Stone, à qui l’on doit notamment le musée Huntington Hartford, le gratte-ciel de la General Motors et le Kennedy Center for Performing Arts à Washington. Les bureaux libanais Rodolphe Élias et Ferdinand Dagher ont activement collaboré à cette entreprise homérienne.

Terra incognita
Il n’y a pas, dans l’imaginaire des uns et des autres, que Le Grand Hôtel des Bains de Venise, par exemple, que Thomas Mann et Luchino Visconti, entre tant d’autres, vénéraient. Le Phoenicia aussi appartient à cette catégorie de palaces qui ont toujours eu les faveurs des grands voyageurs et des épicuriens. Pour quelques heures, un jour, une semaine, un mois ou à l’année, nombreux sont ces nomades du luxe qui en ont fait leur domicile provisoire: Marlon Brando, Ann-Margaret, Claudia Cardinale, Jean Bruce (le père de OSS 117), Gilbert Bécaud, Georges Hamilton, Sean Flynn, Brigitte Bardot et Gunter Sachs, Omar Charif et Faten Hamama, Joan Crawford, Mohammad Ali Clay, Eugène Ionesco, Jean Claude Van Damme, Sacha Distel, Shirley Bassey (tombée amoureuse d’un beau brun ténébreux, elle achètera un terrain à Maameltein!), etc. Fous de curiosité pour ce Liban véritable pays-message avant l’heure, quelque chose d’indicible les fascinait dans cette terra incognita, véritable pont entre deux rives que l’on croyait injoignables: l’Orient et l’Occident. Le rouge et le noir ne s’épousent-ils pas?


Istanbul, à l’époque, pouvait aller se rhabiller et c’était entre autres grâce au Phoenicia : véritable creuset ardent où tout était dédié aux six sens et à la fête collective, cet hôtel deviendra vite le sanctuaire du Festival international du cinéma et des grands bals, celui des Petits Lits blancs, d’April in Beirut, des orthodoxes, du Conseil central des maronites, de la Croix-Rouge, surtout, ce bal au cours duquel Rachid Karamé décrochera lors du tirage de la tombola un billet d’avion aller-retour Beyrouth-Paris, et l’ambassadeur de France, le baron de Boisséson, une Vespa que sa femme enfourchera tout de suite sur la piste ! À son tour, le président Camille Chamoun, parangon du Liban triomphant et glamourissime, offrira un bal en l’honneur du roi de Grèce.

Point de vue,
images du monde
C’était comme cela ; altesses royales et chefs d’État ont goûté à la dolce vita made in Phoenicia: la begum, Albert et Paola de Belgique y ont séjourné et dîné au Paon rouge; l’épouse du président indonésien Hartini Sukarno s’était arrêtée en mai 1962 avant d’aller effectuer son pèlerinage à La Mecque, et on raconte que «sous une pluie battante, elle a tenu à se promener à Souk el-Tawilé ». Sur son chemin vers Jérusalem, la Première dame du Mexique Eva Samano de Lopez Mateos et sa fille ont séjourné à l’hôtel. En 1962, Lyndon Johnson, vice-président des USA, a siroté un dry martini au bar –
olives libanaises incluses... En 1964, Richard Nixon en escale à Beyrouth s’est reposé à l’hôtel avant de rencontrer le président Fouad Chéhab. Le roi Olav de Norvège, en route pour Téhéran, s’arrêtera lui aussi au Phoenicia. En mars 65, c’est le président tunisien Habib Bourguiba qui a assisté au spectacle de Roméo Lahoud au théâtre de l’hôtel, avant de donner un dîner grandiose au ball room en l’honneur du président Charles Hélou. En février 66, Juan Carlos d’Espagne et la princesse Sophie de Grèce qui résidaient à l’hôtel, ont visité les ruines de Baalbeck et dîné à la table du chef de l’État. Même la reine Homeira d’Afghanistan a choisi le Phoenicia pour une visite privée de cinq jours. En 1969, le président de Chypre Makarios III a été servi par les directeurs : les employés de l’établissement étaient... en grève! Ensuite, au début des années soixante-dix, se sont succédé les princes saoudiens, Kurt Waldheim, alors secrétaire général des Nations unies, le duc et le duchesse de la Rochefoucauld qui ont assisté au Paon rouge à une grande soirée donnée par Danielle Cattan, etc., pendant que les grands couturiers, alléchés par l’élégance des Libanaises, se précipitent dans les lobbys dorés du Phoenicia pour organiser des défilés qu’on dit inoubliables : Santo Versace, Jean Patou, Paco Rabanne, Lanvin, Pierre Cardin, Carven, Balmain campaient dans l’hôtel...

Dorléac et von Sydow
Cinéphile (c’est génétique...), Tania Hadjithomas Mehanna raconte aussi que le Phoenicia a servi de décor à de nombreux films. Les scènes de Where the Spies Are, avec David Niven et la délicieuse Françoise Dorléac, la sœur trop tôt disparue de Catherine Deneuve, seront tournées à Hamra, au souk des bijoutiers, à Maarad, à la place des Martyrs, mais aussi aux abords de l’hôtel. L’une des scènes de Les Espions meurent à Beyrouth a été filmée au théâtre du Phoenicia. La piscine de l’hôtel a également servi de cadre à une des scènes de Échappement libre avec Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg, ainsi qu’à Embassy de Gordon Hessler, produit par Mel Ferrer et mettant en scène Marie-José Nat, Richard Roundtree et le hiératique Max von Sydow. Dans Embassy, on pouvait reconnaître, outre l’hôtel, la gendarmerie de Baabda, le palais Pharaon, Byblos et Beiteddine...

Fusion
Mais au Liban plus qu’ailleurs, le destin, l’histoire, la géographie et les malédictions sont les plus forts. Tout cela, toutes ces richesses, cette sérénité, cette normalité, c’était hier, avant la grande régression de 1973, avant que les lustres ne s’éteignent et que les flonflons ne se taisent ; avant que la guerre civile en 1975 ne transforme le luxueux bâtiment en une ruine fumante qui servira de cadre au Faussaire de Volker Schlondorff en 1980.
Reconstruit en 2000, doté de deux annexes, le Phoenicia a repris depuis son rôle de leader hôtelier en accueillant congrès, sommets, chefs d’État, stars, businessmen et les familles princières de la région... Près de cinquante ans après, son histoire reste étroitement, presque organiquement liée à celle d’une ville-monde: Beyrouth. Fusionnelle. Et, les Libanais le souhaitent férocement, éternelle.

Signé Tania Hadjithomas Mehanna aux éditions Tamyras, Le Phoenicia, un hôtel dans l’histoire (bilingue français, anglais) déroule sur 430 pages l’hier et l’aujourd’hui de ce luxueux établissement : une occasion idéale pour raconter aux jeunes ou rappeler aux plus âgés les événements remarquables qui ont accompagné l’hôtel, dans une parfaite concomitance de deux volets...

commentaires (2)

homérique...

GEDEON Christian

06 h 50, le 29 juin 2012

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • homérique...

    GEDEON Christian

    06 h 50, le 29 juin 2012

  • ".....Cette ville (Beyrouth) a la fois maman et putain...". Vous ne trouvez pas que c'est choquant?

    Michele Aoun

    02 h 14, le 29 juin 2012

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