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Liban - Patrimoine

Quelle protection pour le patrimoine en temps de conflits armés ?

À l’initiative de l’ambassade de France et en collaboration avec l’Unesco et l’Institut français du Proche-Orient (IFPO), un séminaire régional portant sur la protection du patrimoine en temps de conflits armés mais aussi en période de paix a réuni à Beyrouth une trentaine de professionnels et experts venus de France, d’Égypte, d’Irak, de Jordanie, de Palestine et du Yémen.

Une vue aérienne de Babylone, en Irak.

Le coup d’envoi du séminaire régional sur la protection du patrimoine qui s’est déroulé à l’Institut français du Liban a été donné par le ministre de la Culture Gaby Layoun, le Premier conseiller à l’ambassade de France, Didier Chabert, et le directeur du bureau régional de l’Unesco, Hamed al-Hammami, qui a souligné la nécessité de sauvegarder le patrimoine moyen-oriental, « l’un des plus importants au monde ». La rencontre s’est articulée autour de trois axes : « La situation du patrimoine en temps de crise » ; « les méthodes de protection, à savoir l’inventaire et les moyens juridiques » et le thème « patrimoine et population : pour une plus grande synergie ».
Vu la situation politique au Proche-Orient, l’une des questions majeures développées par les experts au cours du séminaire est la gestion du patrimoine matériel en période de guerre ou de crise. Christophe Jacobs, président du Comité français du Bouclier bleu, préconise en ce cas de marquer les sites et les monuments à protéger du symbole du Bouclier bleu. Un emblème qui ambitionne de devenir un jour la Croix-Rouge des biens culturels. Il donne à titre d’exemple la Libye où le comité local du Bouclier bleu avait adressé aux autorités militaires et diplomatiques des pays ayant pris part aux opérations militaires la liste des biens culturels susceptibles d’être endommagés. L’évaluation menée plus tard sur place a permis de constater que « les bombardements avaient épargné le patrimoine et que les dommages étaient relatifs », a-t-il fait observer.
Ce à quoi la conservatrice du musée de Bagdad, Kaab Khawla Maarij Khalil, riposte en déclarant que les conventions de La Haye et autres protocoles ne sont pas toujours respectés, mais plutôt bafoués, piétinés, en temps de guerre. Ainsi, lors de l’invasion en 2003, les forces de la coalition se sont « acharnées à vider l’Irak de son héritage et à causer des dommages importants à de nombreuses villes antiques, dont Babylone et Kirkouk, qui ont été la cible directe de bombardements massifs », a-t-elle dénoncé, relevant que « le musée a été systématiquement pillé sous les regards indifférents des soldats américains » et que « quatre mille objets et sculptures y ont été volés ». C’est toutefois grâce à la coopération internationale et des partenariats régionaux que certains de ces biens culturels ont pu être restitués par la Syrie, la Jordanie et le Koweït, a ajouté Kaab Khawla Maarij Khalil.
Les actes de pillage et de vandalisme existent aussi au pays de la légendaire reine de Saba, et ce bien avant la révolte contre le régime de Ali Abdallah Saleh, en 2011. Abdel Aziz al-Gendari, conservateur du musée national de Sanaa, et Raga Ba Taweel, directrice du musée d’Aden, ont donné un aperçu de l’état de dégradation des monuments ; des fouilles clandestines qui alimentent un prospère trafic d’antiquités et des constructions illégales dans les zones des sites historiques. D’autre part, l’absence de campagne de fouilles préventives, principalement lors des travaux d’infrastructure entrepris ces dernières décennies, a entraîné une perte de données scientifiques du passé. « Le manque de volonté des autorités locales » menace le patrimoine, a dit la directrice du musée de Sanaa, indiquant que la loi yéménite sur les antiquités apporte les dispositions nécessaires à la mise en œuvre des travaux archéologiques mais comporte des lacunes, notamment en ce qui concerne la protection du patrimoine et l’étude préventive des sites.
« On ne peut pas faire la guerre à la guerre uniquement avec des conventions, des protocoles ou des emblèmes », a déclaré l’ancien directeur général des Antiquités libanaises (DGA), Fréderic Husseini. Quand une attaque surprise, sanglante et dévastatrice fait souffler un vent de panique sur le pays comme en juillet 2006 et que les ONG et tous les ministères se focalisent sur la sécurité de la population, « la DGA se retrouve orpheline », dit-il. Il raconte qu’ils étaient seulement huit personnes pour emballer et mettre à l’abri 1200 pièces du musée, et un autre millier d’objets dans des chambres fortes, pour copier archives et inventaires sur des disques durs avant de les déposer en lieu sûr. Le tout en 48 heures. Entre-temps, les gardiens des sites archéologiques avaient déserté, exposant les lieux à tout venant. Cette expérience vécue a poussé, en 2009, la DGA à participer à un séminaire organisé à Beyrouth par l’Unesco pour étudier la possibilité d’adhésion du Liban au deuxième protocole de la Convention de La Haye (1999). Ce séminaire, indique M. Husseini, avait dégagé plusieurs recommandations, notamment l’adaptation des législations nationales; la mise en place des plans d’urgence en matière d’inventaires, de documentation et de cartographie; la création d’un comité de coordination interministériel doté de pouvoirs décisionnels et pouvant faire appel aux différentes organisations locales et internationales ainsi qu’à la Finul pendant son mandat ; la diffusion la plus large possible des règles de protection des biens culturels en cas de conflit armé, en particulier auprès de l’armée et des forces de sécurité. Mais aucune recommandation n’a été suivie d’action, révèle Husseini.
Cependant, « le grand danger, qui guette le patrimoine, reste sans conteste le manque des effectifs de la DGA », insiste Frédéric Husseini. Un gros problème soulevé par deux ex-responsables à la DGA, Hareth Boustany et Chaker Ghadban, qui au cours de leur intervention ont mis en exergue le manque des ressources humaines et des moyens financiers de cette fonction publique. « La DGA qui brasse une tâche écrasante et multiforme ne compte, affirme Ghadban, que cinq archéologues cadrés (pour tout le Liban), alors qu’elle en a besoin de plus de 500 ! »

Continuité entre mémoire et projet
 Pour pallier toutes ces carences et limiter les risques en temps de guerre ou de crises, Fréderic Husseini suggère la mise en place pour chaque site d’un plan de gestion « soutenu par les services de sécurité et l’armée », et « porté par les collectivités locales, et incluant la Croix-Rouge et la Défense civile, dont les agents seront sensibilisés aux questions du patrimoine.
Un patrimoine qui englobe aussi l’héritage architectural, témoin de « l’évolution culturelle d’une société et d’une nation », a dit Hareth Boustany, qui note deux conditions indispensables à la préservation des bâtiments à caractère traditionnel : leur classement par décret présidentiel et non par décret ministériel qui est annulé à tout bout de champ ; et une politique de compensation financière qui ne grèverait pas le budget de l’État. Et de souligner qu’en milieu urbain, « on n’a pas le droit d’arrêter l’évolution et l’extension d’une agglomération urbaine et au cas où on voudrait garder les vestiges in situ, il faudrait qu’ils soient intégrés aux nouveaux bâtiments et présenté d’une manière cohérente aux visiteurs. Les exposer à ciel ouvert risque de les détériorer, d’en faire des dépotoirs pour les ordures, et de casser le tissu urbain ».
Chef du service des patrimoines de la Région Île-de-France, Arlette Auduc a fait observer que les départements qui ont pratiqué la politique de la table rase dans les années soixante sont actuellement « l’objet d’importantes opérations dites de rénovation qui, à leur tour, détruisent cet urbanisme décrié pour revenir à des projets moins durs », respectant (reflétant) un cadre de vie, fruit de siècles d’évolution et d’histoire. Pour ce faire, les élus ou aménageurs du département de l’Essonne au sud de Paris se sont dotés d’un inventaire appelé « diagnostic patrimonial » permettant de « définir ce qui peut et doit évoluer et à quelles conditions ». Cet outil de connaissance et d’aide à la décision se décline sous forme de fiches d’analyse succinctes des bâtiments du territoire, de synthèse par villes et surtout d’une cartographique de type SIG qui donne, pour chaque village, les éléments repérés comme intéressants, et les photographies correspondantes. Cette étude est une formidable aide à la gestion de notre territoire. Elle permet de mieux éclairer nos choix, notamment en matière d’habitat et d’urbanisme. Un inventaire, ce n’est pas une entreprise muséale ; c’est chercher à comprendre comment un territoire se métamorphose et comment il va continuer à évoluer. Il permet d’assurer une continuité entre mémoire et projet, en respectant l’histoire du territoire et donc de ceux qui y vivent.
Forts du succès de cette méthode en Essone, le service des patrimoines de la Région Île-de-France mène d’autres opérations de diagnostic patrimonial sur les centres anciens des villes dans leur globalité. L’inventaire se concentre d’avantage sur le patrimoine ordinaire et industriel que sur le patrimoine exceptionnel qui est moins en danger, signale Arlette Auduc, ajoutant que la démarche s’élargit désormais au patrimoine du XXe siècle. L’intervenante met aussi l’accent sur l’importance de la mobilisation de la population. « La législation ne peut pas tout. La France dispose d’un large corpus de lois de protection de son patrimoine, mais lorsqu’il s’agit de son patrimoine de proximité, seule la mobilisation des populations, leur appropriation, leur attachement à ce patrimoine est à même de le sauver et d’empêcher sa destruction. »

Les jeunes, acteurs-clés pour l’avenir
Dans ce but, Jbeil se mobilise pour sensibiliser les habitants au respect du patrimoine c’est-à-dire à leur mémoire profonde. De nombreuses activités éducatives organisées pour les jeunes sont gérées par la municipalité, a signalé Najwa Bassil, conseillère municipale de la ville, annonçant aussi que des mesures de protection et des actions de mise en valeur ont été lancées. À titre d’exemple, le port est désormais une zone piétonne et l’espace de stationnement extra-muros a gagné 1250 mètres d’extension et a été doté de cinq navettes écolo et d’un service de valets parking. La réhabilitation des façades du grand souk, financée à hauteur de 1700000 dollars, débutera très prochainement. Un projet avec le musée de Genève est sous étude pour la rénovation du musée des fossiles.
De même, l’outil pédagogique élaboré par Claudine Abdelmassih pour le projet Mare Nostrum d’Euromed Heritage 4 a pour objectif la promotion du patrimoine auprès des enfants et de la jeunesse, groupes cibles à privilégier, car ils ont tendance à une acculturation et méritent une attention particulière. Intitulé « Itinéraire phénicien », il est destinée à faire découvrir aux jeunes de Tyr ce peuple de la mer qui a joué un rôle essentiel dans la diffusion de la connaissance et du savoir dans l’Antiquité sur le pourtour du bassin méditerranéen. Le plan comprend la visite du port, suivie d’explications, de recherches sur son histoire, de projection de film sur ses activités comme la pêche, les chantiers navals, la réparation des filets, les marchés, la fragilité des écosystèmes marin. Ces travaux sont suivis d’un atelier de dessin, de photographie ou d’expression écrite. Le projet Mare Nostrum qui accorde aussi une place importante à la valorisation des techniques ou artisanat en voie de disparition se greffe au projet CHUD, dit Claudine Abdelmassih. Le Cultural Heritage and Urban Development (dit projet CHUD) est une initiative du gouvernement libanais qui, par l’entremise du Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) et avec le support de la Banque mondiale, de l’Agence française de développement et de la Coopération italienne, vise à protéger, réhabiliter et revitaliser les sites archéologiques et les centres urbains historiques de Tripoli, Baalbeck, Byblos, Saïda et Tyr. Et c’est l’architecte Jean Yasmine qui a offert une synthèse sur les travaux entrepris à Tyr, sur lesquels L’Orient-Le Jour y reviendra plus longuement.
Mais pour résumer, toutes les catégories du patrimoine, archéologie, architecture, environnement, sont fragilisées et l’essentiel des dégâts sont le fait de l’absence de plan de gestion et de mesures de protection. Aucune conservation n’est possible sans l’élaboration d’un cadre d’action pertinent qui engloberait les collectivités locales et les municipalités. Il faut toutefois leur donner les outils nécessaires à cela et les moyens adéquats pour y arriver.
Des recommandations ont été prises par les conférenciers parmi lesquelles : développer les procédures d’inventaires des biens patrimoniaux ; veiller à la cohérence et à l’effectivité des outils législatifs, et multiplier les échanges d’information au niveau national et international ; en appeler, en ces temps d’instabilité, voire de conflit, à la vigilance et à la responsabilité de tous les acteurs de la chaîne patrimoniale et muséale, et de tous les acteurs du marché de l’art aux niveaux national et international, notamment dans le domaine archéologique ; renforcer la protection des sites, des musées, des collections, des réserves et des archives ; mobiliser les élus et faire en sorte que les citoyens deviennent des acteurs du patrimoine par une sensibilisation dès l’école et une participation active à toutes les étapes de la valorisation patrimoniale ; inviter l’Unesco et toutes les institutions en charge de la protection du patrimoine à jouer un rôle effectif dans la protection des vestiges et matériels archéologiques en temps de guerre et de conflit.
Le coup d’envoi du séminaire régional sur la protection du patrimoine qui s’est déroulé à l’Institut français du Liban a été donné par le ministre de la Culture Gaby Layoun, le Premier conseiller à l’ambassade de France, Didier Chabert, et le directeur du bureau régional de l’Unesco, Hamed al-Hammami, qui a souligné la nécessité de sauvegarder le patrimoine moyen-oriental,...

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