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Liban - Enseignement supérieur

Exigences et spécificités de l’USJ : « À la recherche de la vérité dans tous les savoirs »

Pour la Saint-Joseph, le Pr René Chamussy s’est livré à une réflexion en profondeur sur l’identité jésuite de l’université.

Le Pr Chamussy durant son discours : « L’USJ, un lieu d’ouverture à toutes les classes sociales, à toutes les différences ; un lieu de remise en cause radicale et de discernement ; un lieu d’où l’on part pour s’impliquer toujours davantage dans la société ; le lieu enfin de l’innovation et de la création. »Photo Michel Sayegh

Qu’est-ce qu’une université jésuite au Liban, en 2012 ? Quelle sont ses exigences et sa spécificité ? À l’occasion de la fête patronale de l’Université Saint-Joseph, et devant un parterre de personnalités du monde politique et académique et de professionnels, le recteur de l’USJ, le Pr René Chamussy, s.j. s’est livré hier soir à une longue réflexion sur ces questions essentielles.
Fondée dans le dernier quart du XIXe siècle, l’USJ fut longtemps « un collage d’institutions et de départements aux finalités spécifiques » au sein de la société où ils s’inséraient, a-t-il expliqué. C’est progressivement qu’elle s’est articulée et est devenue une véritable université, cohérente, dynamique, fonctionnelle et moderne, ou encore « cet ensemble qui tend à s’unifier tout en laissant à chaque instance sa particularité propre ». Un processus qui, d’ailleurs, ne s’arrête pas et qui doit encore se déployer dans la création de nouvelles facultés – bientôt une faculté de langues ; hier même une chaire de sécurité routière –, dans un effort permanent pour relever les défis de l’époque, s’ajuster aux besoins émergents, innover, humaniser le monde.
« À la recherche de la vérité dans tous les savoirs », loin de toute « vision uniquement utilitaire de l’éducation » et de toute « cause idéologique fermée au dialogue rationnel », l’USJ « doit offrir au Liban où elle est enracinée et à la région quelque chose d’original et d’essentiel », a affirmé le P. Chamussy.
Sa présence, a-t-il enchaîné, est à la fois « un geste politique » d’insertion au service de la cité et du bien commun, « un geste économique » destiné à « pourvoir aux vrais besoins humains de tous » et un engagement culturel.
« Certes, a-t-il commenté sur le second point, nous savons tous qu’il s’agit ici de relever un défi de taille et d’aucuns, parlant peut-être un peu vite, décréteront que l’université fabrique finalement surtout des émigrés et des chômeurs. Nous savons cependant, du fait des enquêtes de l’Observatoire universitaire de la réalité socio-économique, qu’en ce qui concerne ces derniers temps, trois sur quatre de nos diplômés s’enracinent au Liban même alors que quatre diplômés sur cinq trouvent du travail. Un bon score par rapport à la moyenne nationale, même si, au Liban même, les empois découverts ne sont pas forcément très rémunérateurs. »

Les spécificités de notre université
« Mais la mise en évidence de ces traits ne dit pas tout de l’université, a poursuivi le Pr Chamussy. Par-delà ce que nous venons de mettre en valeur et en deçà des atouts qu’il nous faudra encore déceler, il est des hantises qui reviendront souvent dans les débats (...). Notre université est catholique mais hantée par le dialogue des cultures et des religions ; notre université est francophone mais s’efforce de mettre en place un système qui certifie le trilinguisme de ses étudiants; notre université est ouverte à la modernité, mais fidèle aux traditions reçues. »
(...) « Reste aussi, par-delà tout ce qui est dit, à préciser ce qui pourrait être au cœur de notre présence. Bien des auteurs ont ainsi voulu dire l’université en ce qu’elle doit être à coup sûr. On aime ainsi entendre Noam Chomsky décrire l’université comme « le lieu où peuvent exister l’intellectuel libre, le critique social ainsi que la réflexion irrévérencieuse et radicale dont nous avons si désespérément besoin pour échapper à la lugubre réalité qui menace de nous submerger ». Comme on applaudit aux affirmations d’un Théodore Berchem déclinant les différentes formes de dialogue qui doivent être au cœur de l’agir universitaire : dialogue entre les différentes disciplines, dialogue entre les civilisations, dialogue entre les générations et avec les forces de la société. Mais nous, qu’avons-nous à dire ? Pour quelle caractéristique dominante devrions-nous nous battre maintenant ? »

Exigences ignaciennes
Il n’y a pas de réponses toutes faites à de telles questions. Disons cependant qu’il est des exigences qu’il nous faut vivre et que là git l’essentiel. Et c’est en fonction de ces exigences très ignaciennes que nous pouvons insister sur les quatre dimensions qui devraient marquer notre université et la décrire dans sa spécificité. Une telle université pour nous devrait en effet être tout à la fois un lieu d’ouverture à toutes classes sociales, à toutes les différences ; un lieu de remise en cause radicale et de discernement ; un lieu d’où l’on part pour s’impliquer toujours davantage dans la société ; le lieu enfin de l’innovation et de la création.
« Un lieu d’ouverture à toutes les classes sociales, à toutes les différences... » On retrouve ici cette thématique du vivre-ensemble si essentielle pour nous tous, tout autant que ce souci qui doit être le nôtre de toujours accueillir tous ceux qui désirent vivre une formation universitaire quels qu’ils soient. Répondre à ce désir, cultiver ce désir, c’est là chose essentielle et rien ne devrait pouvoir faire obstacle tant à l’accueil des uns et des autres qu’à l’accompagnement nécessaire que cela implique. Nous avons déjà dit l’importance de l’interculturel et de l’interreligieux en notre université ; nous ne pouvons que confirmer ici que cette ouverture se doit de passer dans les faits tant d’un point de vue général au niveau de notre façon d’être dans le pays que d’un point de vue plus spécifique au niveau de l’institution qui est la nôtre. »

« Des hommes pour les autres »
« Un lieu de remise en cause radicale et de discernement. Les exercices de gouvernance qu’il nous a été donné de faire nous ont appris beaucoup de choses. D’abord qu’il fallait toujours instaurer dans les institutions des mécanismes de reddition de comptes. Ensuite, il nous a fallu découvrir que tous les processus vécus par tout un chacun exigeaient d’être régulièrement évalués ; cette évaluation pouvant bien évidemment entraîner des remises en cause radicales et le discernement des voies nouvelles qu’il faudrait alors aborder. Il s’agit là véritablement d’un travail difficile mais essentiel, un travail qui suppose tout à la fois une très grande liberté d’esprit – pour le bien de l’institution, tout ce que je fais peut toujours être remis en question – et une capacité réelle à discerner ce qui est le meilleur pour l’université. Évaluation, discernement, liberté d’appréciation et de remise en cause, autant de concepts qui sont là pour nous aider à garder nos institutions vivantes et saines, à maintenir notre université en perpétuel éveil.
« Un lieu d’où l’on part pour s’impliquer toujours davantage dans la société. C’est le P. Arupe, ancien supérieur général des jésuites, qui le dit un jour en parlant des collèges : il vous revient de “former des hommes pour les autres”. Il ne devrait pas en aller différemment à l’université. Qu’il s’agisse de la dimension professionnelle ou de l’engagement sociopolitique, la perspective ne peut changer, l’étudiant d’une université jésuite ne peut être formé que pour les autres, pour servir donc, pour changer ce qui doit être changé, pour vivre avec tous ceux qui ont à développer une famille, un groupe, un pays. »

Antithèse de tout conservatisme
« Le lieu enfin de l’innovation et de la création. Une université jésuite ne peut enfin être que l’antithèse absolue de tout conservatisme. En son noyau, en son cœur, il doit toujours y avoir ce dynamisme qui pousse chacun à innover, à créer. Le terme latin « magis » si souvent utilisé par saint Ignace signifie « davantage » et il est la clef de l’agir qui doit nous habiter. À nous de savoir décliner cet impératif comme il se doit ; nous sommes en fait provoqués, du fait même de notre engagement en une telle université, à faire toujours davantage en terme de don pour le pays, en terme d’innovation au plan de la recherche, en terme de création au niveau institutionnel. Il y a là comme une exigence interne qui devrait nous pousser à toujours tenter de briser les armatures qui nous enserrent et nous paralysent ; à toujours développer les potentialités trop souvent occultées de chacun, à toujours nous engager davantage en des processus qui nous entraînent et nous impliquent aux niveaux national, régional et international, au niveau des personnes comme au niveau des institutions.
« Il n’y a pas de doute, l’université qui se trouverait être le lieu de tant de potentialité ne pourrait être qu’une université aux traits bien marqués, une université typique, cette université jésuite que, depuis des décennies, des centaines d’universitaires, jésuites ou laïcs, se sont acharnés à construire. »

F. N.
Qu’est-ce qu’une université jésuite au Liban, en 2012 ? Quelle sont ses exigences et sa spécificité ? À l’occasion de la fête patronale de l’Université Saint-Joseph, et devant un parterre de personnalités du monde politique et académique et de professionnels, le recteur de l’USJ, le Pr René Chamussy, s.j. s’est livré hier soir à une longue réflexion sur ces questions...

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