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Liban - Conférence à l’USJ du patriarche Michel Sabbah

L’histoire, lieu de notre rencontre avec Dieu


Dans le cadre des conférences du « Mois de l'Orient chrétien », à l'USJ, le patriarche émérite des latins de Jérusalem, Michel Sabbah, a parlé de « L'avenir des chrétiens au Moyen-Orient », un thème qui sera repris en octobre prochain par une Assemblée spéciale du synode des évêques, au Vatican.
Les deux paroles les plus touchantes du patriarche émérite des latins, Michel Sabbah, à l'ouverture du Mois de l'Orient chrétien, mercredi dernier, à l'Université Saint-Joseph, portaient sur la sainteté et le martyre. Ce dont les Églises du Moyen-Orient ont besoin, pour rester dans cette partie du monde, c'est de saints et de martyrs, disait-il en confidence. Intitulée « L'avenir des chrétiens au Moyen-Orient », sa conférence épousait pour ainsi dire le thème de l'Assemblée spéciale du synode des évêques, consacrée à la question, qui se tient en octobre prochain au Vatican (« L'Église du Moyen-Orient, communion et témoignage »), et dont il sera l'une des figures de proue.
Au-delà des généralités qu'on entend toutes les fois que la question de la présence chrétienne en Orient est soulevée, au-delà des lamentations sur la montée de l'islamisme et du recul démographique des chrétiens - soit en raison de l'émigration, soit en raison de la natalité -, l'ancien patriarche latin de Jérusalem a su aller à l'essentiel, au cœur de la vérité.
Pour rester en Orient, les chrétiens doivent aspirer à la sainteté et être prêts, s'il le faut, à souffrir le martyre, « après avoir fait tout ce qui est humainement possible » pour se défendre, par les moyens légitimes à leur disposition. Après avoir fait tout cela, et si la menace continue à peser sur lui, que le chrétien accepte donc d'habiter son histoire. « Fuir l'histoire, c'est fuir la volonté de Dieu. L'histoire est le lieu de notre rencontre avec Dieu », a magnifiquement affirmé le patriarche des latins, qui venait directement du cœur de la souffrance du peuple palestinien, pour le dire.
Murmures dans la salle. Pourtant, ces paroles sont celles d'un homme de très grande expérience, d'un homme qui a assumé les charges patriarcales vingt années durant, et qui sait le prix de la souffrance.
Après avoir tiré sa conférence vers ces hauteurs, Sabbah descend dans la plaine et examine les « moyens humains » à la disposition des chrétiens d'Orient. Pour lui, « l'avenir des chrétiens dans notre région est conditionnée par des facteurs internes, politiques et sociaux, dans lesquels la religion a son influence. Mais aussi par un facteur externe puissant, et qui est la politique internationale, laquelle dans des projets pour la région ne tient aucun compte des chrétiens », comme on a eu la preuve en Irak.
C'est la raison pour laquelle Sabbah invite les chrétiens d'Orient à être les acteurs de leur propre histoire, à se libérer « de la notion du sauveur qui (leur) vient de l'étranger ».
Sur les « facteurs internes », la présence sociologique des chrétiens dans nos différents pays, pratiquement tout a été dit : ces communautés portent toutes les rides que les siècles ont creusées sur leur antique visage. Elles ont toutes un cœur à renouveler, une connaissance d'eux-mêmes à retrouver ; et une autre à oublier.
Entre l'Église et la Communauté, la ligne de fracture est spirituelle. La communauté, c'est la conduite « selon la chair », au sens paulinien du terme, et nous ne savons que trop comment, par mimétisme, la soif de pouvoir produit une autre soif du pouvoir ; la discrimination une autre discrimination ; le fanatisme un autre fanatisme. Même proclamer l'Évangile peut engendrer un nouveau fanatisme, quand on le fait contre une communauté, et non pour elle. « « La religion (...) apparaît être (alors) une barrière de plus. Elle accumule même toute la capacité de refus et d'exclusion de l'autre », engagée qu'elle est dans « la lutte express ou latente pour le pouvoir », dit Sabbah.
La « chair » peut aussi bien s'exprimer politiquement que culturellement. Des chrétiens ont pu jouer un rôle de premier ordre dans la Nahda, mais depuis, beaucoup d'eau a coulé sous ce pont. Civilisation chrétienne et modernité ont désormais un compte sérieux à régler. L'Occident, qui a étendu son empire culturel sur le monde, n'est pas le christianisme ; il est même parfois ouvertement antichrétien, que ce soit sur les valeurs de la vie ou de la morale. Et le patriarche de parler d'un « combat avec nous-mêmes... avec nos liturgies... avec notre catéchèse... avec nos écoles ». « Nos éducateurs (...) ce sont eux qui peuvent préparer des générations aptes à collaborer (...) ou des générations prêtes à tuer », dit-il
Le monde arabe, tel que nous le connaissons, a émergé de la Première Guerre mondiale, estime encore Sabbah. « Tous nos États en effet sont nés après la Première Guerre mondiale. Ils ont à peine une centaine d'années d'âge politique. D'un autre côté, ils ont à faire avec le facteur de déstabilisation permanente qu'est le conflit arabo-israélien». De l'effondrement de l'Empire ottoman ce sont de nouvelles ambitions et de nouvelles violences qui sont apparues, plutôt que de nouvelles libertés. Ainsi va l'histoire que lorsque l'effondrement d'un empire porte en lui la promesse de la liberté, pour certains peuples, c'est le malheur que cet effondrement annonce pour d'autres. Et pour tous parfois.
Pour Sabbah, c'est de la Première Guerre mondiale que date la question des Églises d'Orient telle qu'elle se pose aujourd'hui, l'avenir de l'Église étant aussi bien conditionné par la montée de l'islamisme que par la confrontation avec l'Occident.
« Parler de l'avenir des chrétiens, dit Sabbah, c'est parler de tout cela. Ce n'est pas seulement la montée de l'islam (...) c'est (aussi) la confrontation entre Occident et Orient, confrontation politique en premier lieu, mais qui influe sur tous les domaines et nous laissent tous, chrétiens et musulmans, victimes de telle ou telle vision ou aventure politique. »
Et d'ajouter : « La survie et la croissance des chrétiens du Moyen-Orient arabe sont aussi une question arabe et musulmane (...) L'émigration des chrétiens nécessite une action de l'État comme tel, et une action de la société entière qui exprime clairement son accueil et inspire tranquillité et stabilité. » Sabbah n'hésite pas à égratigner le « dialogue » et les assurances publiques que « tout va bien » ... « tant qu'il ne s'agit pas du pouvoir ».
Ce mouvement vers l'autre, l'Arabe chrétien l'attend encore de la part de l'Arabe musulman, conclut le patriarche Sabbah, qui souligne : « La question n'est pas : qui soumet qui ? mais sommes-nous capables d'égalité ? »
Quel dommage que l'amphithéâtre Gulbenkian ait été si dégarni, mercredi dernier. Cette génération risque de passer à côté de sa culture. Il reste heureusement trois mercredis.

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