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Culture - Exposition

Goya, chroniqueur de guerre et précurseur du photojournalisme, à la villa Audi

Un accrochage-événement : 82 gravures de Francisco Goya, regroupées sous l’intitulé « Les Désastres de la guerre », sont à Beyrouth, à la villa Audi, à l’initiative de l’ambassade d’Espagne, de l’Institut Cervantès et de la Chalcographie nationale de Madrid. Une série d’œuvres magistrales qui, plus que toute autre, montre la conscience visionnaire de ce peintre et graveur exceptionnel du XIXe siècle.

« Avec ou sans raison », une planche qui évoque les scènes des peintures du « Dos et Tres Mayo ».

De Goya, on connaît surtout les fameuses peintures Dos De Mayo et Tres De Mayo – trônant au Prado – représentant l’insurrection des Madrilènes les 2 et 3 mai 1808 contre l’armée napoléonienne. Beaucoup moins connues sont par contre les gravures qu’il réalisa sur le même thème ou plutôt sur celui de la guerre qui s’ensuivit. Car le soulèvement populaire contre les troupes impériales françaises fut le déclencheur d’une ravageuse «guerre de libération» qui embrasa différentes villes espagnoles durant cinq ans. Ces combats engendreront d’incommensurables désastres: répressions, massacres, tortures, souffrances, famine... pour aboutir au final à la restauration sur le trône d’Espagne du roi Ferdinand VII. Lequel se révélera un despote réactionnaire, rétablissant la monarchie absolue, s’entourant d’une cour de charlatans idolâtres et décevant les aspirations de ses sujets. Notamment, celles de Francisco Goya. Le célèbre peintre réputé pour ses idéaux humanistes et ses idées libérales, proches de celles des philosophes français des Lumières, finira d’ailleurs par s’exiler vers la fin de sa vie à Bordeaux.
«Les Désastres de la guerre» ou la série de 82 gravures qu’il réalisa entre 1810 et 1815 – présentée à la villa Audi* jusqu’au 31 juillet – illustre avec force la conscience visionnaire de Goya et son engagement d’artiste témoin.
Car c’est dans un esprit de vérité, sans parti pris ni désir de propagande, mais avec le regard lucide d’un homme qui a saisi, bien avant ses contemporains – bien avant « nos » contemporains – l’inutilité de la violence dans la résolution des conflits qu’il va graver sur plaques de cuivre les horreurs de la guerre, ses dérives sadiques, les souffrances qu’elle inflige et les conséquences dramatiques qu’elle engendre... En véritable chroniqueur, Goya s’inspirera de ce qu’il a vu – une des gravures est d’ailleurs tout simplement titrée Je l’ai vu – sans chercher a atténuer l’horreur des scènes de viol, d’empalement, d’assauts sauvages... Ses gravures et aquateintes sont descriptives. Elles exposent les faits, retracent les agissements, les attitudes des belligérants des deux camps, sans « victimiser » la population espagnole (dont il montre les élans de hargne, notamment dans les scènes de décapitation à la hache) ni en «héroïser» la guérilla. Sans en donner aucune interprétation romanesque en somme.
En représentant, par exemple, un couple effondré en pleurs devant un amoncellement de corps sans vie, mais dont l’un se bouche le nez, Goya décrit, dans ses moindres détails, l’insoutenable – à l’instar de l’odeur pestilentielle des cadavres en décomposition – vérité de la guerre!

 « Les Désastres » : un réquisitoire pour la paix
Et, contrairement aux artistes de son époque, il ne fera pas de la représentation des scènes de combats de glorieuses allégories patriotiques. Ses «Désastres de la guerre» – qu’il accompagne de légendes souvent lapidaires – sont tout simplement des images crues, violentes, morbides, voire cyniques, tant elles montrent la noirceur de l’humain livré à ses pulsions agressives... Et cependant, elles constituent un véritable réquisitoire de l’artiste en faveur de la paix !
D’ailleurs les deux planches – la première et la dernière de la série – choisies par Juan Bordes, le commissaire de l’exposition, pour introduire l’exposition mettent très nettement en lumière l’intention pacifiste de Goya dans la réalisation de cette suite. L’une, exécutée en 1810, évoque, à travers la figure pleine d’effroi d’un homme agenouillé, le Pressentiment des horreurs à venir, et l’autre clôture ce travail, en 1815, avec une représentation d’un amas de squelettes dont un tenant une feuille sur laquelle est écrit un simple « nada ». Qui, en espagnol, signifie « rien » !
Réparties dans les différentes salles du sous-sol de la villa Audi, suivant une subdivision en 7 thématiques établie par Juan Bordes qui est, par ailleurs, à la tête de la Chalcographie nationale de Madrid (institution dépendante de l’Académie royale des beaux-arts qui compta, justement, parmi ses illustres professeurs-académiciens Francisco Goya), les 82 planches exposées suivent le plan suivant: les victimes; les fronts; les exécutions; la famine; les exodes et pillages; le rôle des femmes; enfin, la restauration. À signaler que le propos de ce dernier groupe d’œuvres est plus politique et sa représentation plus allégorique, avec les personnages de cour et le clergé dépeints en vautours, loups ou ânes!
La scénographie de l’exposition comprend, en outre, une confrontation entre les différents ensembles de planches et quelques photographies tirées des archives de la guerre civile espagnole (et imprimées sur panneaux) pour souligner la similitude, à travers les époques, des... désastres de guerre. De même, en parallèle, deux vidéos diffusant des reportages de conflits mondiaux accompagnent l’accrochage et mettent en relief l’atmosphère d’instantanéité qui se dégage des gravures de Goya. Et qui rapproche son art de celui des photographes de guerre.
Goya, précurseur des photoreporters? Ses images des «Désastres de la guerre», d’une intensité, d’une universalité et d’une force d’interpellation incroyable – malgré leur format réduit – semblent l’affirmer! À vous d’en juger sur place. Ces œuvres d’un des grands maîtres de la peinture universelle valant bien le déplacement!

* Horaires d’ouverture : du lundi au vendredi, de 10h à 17h. Tél. 01/200445.
De Goya, on connaît surtout les fameuses peintures Dos De Mayo et Tres De Mayo – trônant au Prado – représentant l’insurrection des Madrilènes les 2 et 3 mai 1808 contre l’armée napoléonienne. Beaucoup moins connues sont par contre les gravures qu’il réalisa sur le même thème ou plutôt sur celui de la guerre qui s’ensuivit. Car le soulèvement populaire contre les troupes...

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