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Économie - Liban - Énergie

Affaire Deir Ammar : encore du noir dans le dossier de l’électricité

Dans le chapitre du dossier de l’énergie au Liban, c’est un nouveau coup de théâtre que cette affaire de Deir Ammar 2. Le contrat autour de cette centrale électrique qui doit être construite à côté de la première et produire plus de 500 mégawatts d’ici à 18 mois est aujourd’hui menacé. Selon les dernières déclarations du ministre de l’Énergie, le budget prévu pour ce projet est inférieur au prix demandé par la société ayant remporté l’appel d’offres.

« Entre les bateaux producteurs d’électricité qui n’arrivent pas et les turbines des centrales électriques qui risquent de lâcher à tout moment, le Liban se rapproche inexorablement du black-out », explique un expert proche du dossier.



« Le budget disponible pour la construction de la centrale de Deir Ammar 2 est de 502 millions de dollars seulement, et la société espagnole ayant remporté l’appel d’offres réclame 662 millions de dollars pour sa construction », expliquait la semaine dernière le ministre de l’Énergie et de l’Eau, Gebran Bassil, au cours d’une conférence de presse. Cette déclaration n’a pas tardé à faire réagir les médias, les réseaux sociaux et les responsables politiques, qui se posent des questions autour de ce coup de théâtre de dernière minute et qui craignent surtout les conséquences que cette affaire aura sur l’approvisionnement électrique du pays.
Pour mieux comprendre l’affaire, rappelons qu’en octobre 2011, le Parlement votait la loi 181 qui prévoit 1,2 milliard de dollars pour l’augmentation de la capacité de production électrique du pays de 700 mégawatts et la réhabilitation d’anciennes centrales. À ce moment-là, l’idée est de construire une nouvelle centrale, fonctionnant au gaz naturel, moins cher que le fioul. Le seul emplacement au Liban équipé de canalisation à gaz est la centrale de Deir Ammar, dans le Nord. Des adjudications publiques vont ainsi être lancées pour la construction d’une deuxième centrale qu’on appellera Deir Ammar 2, avec un cahier des charges bien précis, validé par la Banque mondiale et approuvé en Conseil des ministres. L’article 9 de la loi 181 prévoit que ces adjudications publiques soient gérées indépendamment du ministère de l’Énergie et de l’Eau, par la direction générale de l’administration des adjudications publiques.
Au total, 28 sociétés vont retirer le cahier des charges, et 8 vont présenter une offre. Parmi elles, seules 4 sont considérées comme répondant aux critères requis : une société chinoise, une société turque, une société grecque en joint-venture avec une société indienne et enfin, la gagnante, une société espagnole, Abener du groupe Abengoa, en joint-venture avec la société libanaise Butec. Selon le cahier des charges, pour une production pouvant varier entre 380 à 550 megawatts, c’était à qui offrirait le meilleur prix au kilowattheure qui remporterait l’offre. Pour un tarif de 13,6 centimes de dollars le kilowattheure, Abener-Butec est donc officiellement déclaré adjudicateur provisoire le 20 octobre dernier.

Négociations en cours
Les explications avancées publiquement par le ministre de l’Énergie concernant cette affaire ne sont pas claires et les chiffres qui circulent dans les médias le sont encore moins. Sur les 1,2 milliard de dollars prévus pour augmenter la capacité de production énergétique du pays, qu’est-ce qui a été dépensé et où ? Contacté à maintes reprises par L’Orient-Le Jour, le ministère de l’Énergie n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Cependant, mis à part ce flou financier, plusieurs problèmes d’ordre juridique se posent aujourd’hui. Premièrement, les experts juridiques dénoncent la décision du Conseil des ministres de charger M. Bassil de négocier avec la société gagnante. « Selon la loi 181, le ministre de l’Énergie n’a aucun droit de traiter de gré à gré avec les sociétés, objet du ressort de l’administration des adjudications publiques », explique une source juridique proche du dossier désirant garder l’anonymat. Et pourtant, la réalité est que le ministère de l’Énergie est en train de négocier directement avec Abener-Butec pour essayer de revoir leur prix à la baisse.
« Si les sociétés refusent, il faudrait lancer un nouvel appel d’offres », a indiqué depuis peu le ministre Bassil. Inadmissible, répliquent les deux entreprises. « Selon la loi 181, à ce stade de la procédure, l’appel d’offres ne peut plus être annulé ni les critères établis dans le cahier des charges transcendentalement modifiés », explique la source juridique.
Du côté espagnol, la tendance est à l’optimisme pour l’instant. « Si Abener a répondu aux adjudications publiques et engagé une trentaine d’experts et d’ingénieurs pendant trois mois pour préparer le dossier et proposer une offre, c’est que la société souhaite fortement investir au Liban », a confié à L’Orient-Le Jour une source à l’ambassade d’Espagne qui suit le dossier. « Nous ferons tout notre possible pour essayer de trouver un compromis avec le ministre et Abener est aujourd’hui prêt à revoir son offre à la baisse à hauteur de 10 % », a-t-elle ajouté. « Nous ne pouvons aller au-delà d’une baisse de 10 % cependant, si nous voulons rentrer dans nos frais, mais aussi respecter l’article 181 qui ne permet pas de grandes modifications du contrat », a ajouté la source.
D’autres voix impliquées dans l’affaire semblent plus pessimistes. « Dans l’état actuel des choses, réduire son prix équivaut à brader son travail et il n’est pas question pour une société de renom international, qui a répondu à un appel d’offres transparent, et présenté une étude très poussée, de revenir en arrière », s’indigne une source qui prend également part aux négociations. « Et s’il était question de lancer un nouvel appel d’offres, l’affaire devra malheureusement se conclure devant un arbitrage international », ajoute-elle.

Des pertes économiques considérables
La centrale de Deir Ammar 2 est prévue pour fonctionner au fuel lourd, au diesel, mais aussi au gaz naturel, moins cher et moins polluant. « C’est un projet à cycle combiné, avec des turbines à gaz et des turbines à vapeur qui récupèrent la chaleur pour produire 50 % d’énergie de plus sans utiliser davantage de combustible », explique à L’Orient-Le Jour une source proche du dossier. La première usine sur le site, Deir Ammar 1 construite en 1996 par la société italienne Ansaldo, fonctionnait également au gaz, mais les turbines à vapeur se sont arrêtées et n’ont toujours pas été réparées. Selon cette même source, effectuer un nouvel appel d’offres qui devra durer encore douze mois engendrerait des pertes économiques terribles pour le Liban. « L’usine de Deir Ammar 2 aurait une capacité de production de 5,2 milliards de kilowattheures par an. Le prix du gaz sur le marché étant de 9,6 centimes de dollars le kilowattheure, soit 20 centimes moins cher que le prix du diesel, l’économie pour le Liban avec un tel projet fonctionnant au gaz serait d’un milliard de dollars par an, soit environ 3 millions de dollars par jour », explique la source. « De plus, les centrales électriques qui produisaient 2 800 mégawatts en 1998 ne produisent plus que 1 300 mégawatts aujourd’hui et la situation risque de s’aggraver rapidement car la majorité des turbines ont dépassé l’âge limite de fonctionnement », poursuit-on de même source.
Et pendant ce temps, l’affaire des navires producteurs d’électricité patine aussi. Il était prévu qu’ils produisent 200 mégawatts depuis l’été dernier, pour combler le déficit énergétique engendré par le programme de réhabilitation des vieilles centrales électriques. Mais à cause d’un différend entre le ministère des Finances et le ministère de l’Énergie qui se renvoient tous les deux la responsabilité du retard de cette affaire, le Liban risque de plus en plus de se retrouver dans le noir à un moment donné.
Et toutes ces histoires, en plus des coûts faramineux qu’elles engendrent, sont regrettables pour l’image du pays auprès des investisseurs étrangers. « Abener, du groupe espagnol Abengoa qui fait partie des dix meilleures entreprises au monde dans le domaine de l’énergie, veut travailler avec le Liban, explique la source à l’ambassade d’Espagne, du moment que la solution se fait dans le cadre légal. » Espérons que le Liban aura la maturité de ne pas laisser passer, une fois de plus, une telle occasion.
« Le budget disponible pour la construction de la centrale de Deir Ammar 2 est de 502 millions de dollars seulement, et la société espagnole ayant remporté l’appel d’offres réclame 662 millions de dollars pour sa construction », expliquait la semaine dernière le ministre de l’Énergie et de l’Eau, Gebran Bassil, au cours d’une conférence de presse. Cette déclaration n’a pas...

commentaires (1)

Merci l'Orient Le Jour et Marisol Rifai pour nous fournir ces explications qui eclairent en partie le probleme de l'electricite au Liban. Ce qui me depasse dans cette histoire c'est le mutisme quasi total du Ministre Bassil. Il y a quelques mois deja j'avais dit a l'assistant du Ministre au cours d'une presentation dans un hotel de la Capitale que le probleme a resoudre dans ce domaine n'etait pas uniquement technique mais relevait plutot d'une fausse conception des relations qui devraient exister entre les ministres et les citoyens. Les ministres,malheureusement, peinent a realiser (ou ne veulent pas le faire) que la chose publique ne leur appartient pas. Elle appartient aux 4.5 millions de Libanais qui sont dans le droit de reclamer des compte-rendus mensuels, et non pas une fois chaque trois ou quatre ans, comme c'est le cas a present.

George Sabat

07 h 44, le 01 décembre 2012

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Commentaires (1)

  • Merci l'Orient Le Jour et Marisol Rifai pour nous fournir ces explications qui eclairent en partie le probleme de l'electricite au Liban. Ce qui me depasse dans cette histoire c'est le mutisme quasi total du Ministre Bassil. Il y a quelques mois deja j'avais dit a l'assistant du Ministre au cours d'une presentation dans un hotel de la Capitale que le probleme a resoudre dans ce domaine n'etait pas uniquement technique mais relevait plutot d'une fausse conception des relations qui devraient exister entre les ministres et les citoyens. Les ministres,malheureusement, peinent a realiser (ou ne veulent pas le faire) que la chose publique ne leur appartient pas. Elle appartient aux 4.5 millions de Libanais qui sont dans le droit de reclamer des compte-rendus mensuels, et non pas une fois chaque trois ou quatre ans, comme c'est le cas a present.

    George Sabat

    07 h 44, le 01 décembre 2012

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