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Moyen Orient et Monde - Le point

Printemps arabe « new look »

« Time is money », disent les Anglo-Saxons. Et quand le temps et l’argent se conjuguent, cela donne une force de frappe difficile, pour peu qu’on le veuille, à contenir. Depuis que le rouleau compresseur saoudien s’est mis en branle, on assiste d’un bout à l’autre du Machreq à une succession d’événements propres à modifier, probablement de façon profonde sinon durable, la face de plus d’un pays, comme il est loisible de le constater depuis quelques jours en Égypte.
Le mouvement ayant abouti à la destitution par l’armée de Mohammad Morsi était vieux de quelques heures à peine, et Adly Mansour n’avait pas encore prêté serment en tant que président par intérim, que le roi Abdallah ben Abdel Aziz prenait l’initiative sans précédent de l’appeler au téléphone pour le féliciter, aussitôt imité par les responsables des Émirats arabes unis. Au début de la semaine en cours, on a vu Riyad et Abou Dhabi décider d’octroyer au Caire, le premier cinq milliards, le second trois milliards de dollars, dans un geste destiné à renflouer des caisses dangereusement vides. Autant d’initiatives qui contrastent avec le silence un tantinet gêné de la plupart des autres capitales arabes, et qui disent éloquemment combien sont bienvenus la bérézina subie par les Frères musulmans et le retour aux premières loges de ces militaires dont le chef (le rappel est utile) fut en son temps attaché militaire dans la capitale du royaume.
On aura noté en outre que le monarque wahhabite a vu en Abdel Fattah el-Sissi l’homme qui a « aidé son pays à éviter un sombre tunnel ». Les Ikhwane apprécieront...
C’est que, entre les descendants de Abdel Aziz al-Saoud et les héritiers de Hassan el-Banna, le courant passait difficilement. Vers la fin d’avril 2012, les relations, déjà passablement tièdes, s’étaient encore tendues en raison de l’affaire Ahmad Guizawi, du nom d’un avocat égyptien trouvé porteur, disait-on, de 20 000 comprimés de Xanax à son arrivée pour le pèlerinage de La Mecque. Des manifestations avaient éclaté devant le siège de l’ambassade au Caire, provoquant le rappel de l’ambassadeur.
La diplomatie saoudienne ne voyait pas d’un bon œil – c’est là un délicat euphémisme – la montée en puissance de la confrérie, jugée dangereusement déstabilisante pour les monarchies du Golfe et, d’une manière plus générale, pour l’ensemble de la région. De plus, estimait-elle, ses leaders, trop dogmatiques, n’ont aucune expérience du pouvoir et finiront par braquer contre eux cette (presque) moitié de la population qui avait choisi de voter pour un autre candidat. La suite des événements paraît avoir confirmé la justesse de ce jugement.
Il se trouve aujourd’hui des « arabologues » pour affirmer qu’à Riyad les stratèges avaient détourné les yeux quand les Ikhwane s’étaient lancés dans la course à la présidence alors qu’ils avaient décidé dans un premier temps de n’en rien faire, certains qu’ils ne tiendraient pas la distance. Bien vu là aussi. Contre l’avis de l’Amérique, qui leur suggérait de voler au secours de ces révolutionnaires de la onzième heure, les Saoudiens avaient, par exemple, refusé de desserrer les cordons d’une bourse devenue ces temps-ci, comme par miracle, véritable corne d’abondance.
Le retour en force des Saoudiens aura fait une victime, le Qatar, pour peu que l’on veuille voir dans le prince Tamim le continuateur de la ligne politique suivie par son père et son oncle, cheikh Jassem ben Hamad – ce qui est loin d’être évident. Après tout, le nouvel émir n’avait-il pas présidé en 2007 une commission conjointe chargée de réduire la tension entre les deux pays ? Il reste que, défaite diplomatico-militaire ou éclipse assumée, l’émirat connaît une traversée du désert (c’est le cas de le dire) qui présente l’amer avantage de lui éviter, à tout le moins pour l’instant, de nouvelles déconvenues. Scène impensable il y a peu : 22 journalistes d’al-Jazira ont démissionné pour protester contre la couverture par la chaîne qatarie des événements du Caire. Et les représentants de la « CNN arabe » à la conférence de presse tenue lundi ont été priés de vider les lieux sous les huées de leurs collègues égyptiens qui scandaient : « Dégage ! Dégage ! »
Plutôt qu’une retraite, c’est un virage que Doha a déjà amorcé en joignant sa voix à celle de ses voisins pour souhaiter plein succès au régime provisoire mis en place au Caire.
La énième révolution du Nil pourrait faire d’autres dommages collatéraux qu’il ne faudrait pas s’étonner, car elle va hâter un indispensable examen de conscience en d’autres points de la région. À Gaza notamment où les frères ennemis palestiniens, l’Autorité d’Abou Mazen et le Hamas, seraient tentés par une tardive mais indispensable réconciliation.
On le voit : c’est encore une fois l’Égypte qui donne le la. Sous la baguette du maestro saoudien, de tortue miraculeusement muée en lièvre.
« Time is money », disent les Anglo-Saxons. Et quand le temps et l’argent se conjuguent, cela donne une force de frappe difficile, pour peu qu’on le veuille, à contenir. Depuis que le rouleau compresseur saoudien s’est mis en branle, on assiste d’un bout à l’autre du Machreq à une succession d’événements propres à modifier, probablement de façon profonde sinon durable, la...

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