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Liban - Séminaire

Le journaliste et le juge, un équilibre entre l’entraide et le clash

L’ordre des avocats a ouvert hier un séminaire de deux jours sur les rapports entre les médias et la justice, avec le soutien de l’Union internationale des avocats.

Le séminaire a été ouvert hier par les allocutions successives du bâtonnier Nohad Jabre et de ses prédécesseurs Chakib Cortbaoui et Ramzi Joreige, faisant suite aux réflexions du président de l’UIA Jean-Marie Burguburu, sur le rôle majeur, « mais parfois néfaste », de la presse dans le débat judiciaire.  Photo Nasser Traboulsi

La justice et les médias partagent leur aspiration à la vérité, même si chaque domaine observe des principes de travail différents, voire contradictoires.


Comment concilier la liberté d’expression avec le secret de la procédure judiciaire d’une part, et les principes de fond sur lesquels se base le juge (le respect de la vie privée, de l’image et de la dignité humaine) d’autre part ? Cette problématique a été traitée par les principaux intervenants à la Maison de l’avocat hier, au premier jour d’un séminaire sur la justice et les médias, organisé par l’ordre des avocats de Beyrouth, avec le soutien de l’Union internationale des avocats. Ce débat sera suivi aujourd’hui d’une réflexion sur une déontologie des médias.
Déjà, le cadre des échanges entre terrain médiatique et judiciaire a été défini hier lors du panel modéré par le juge Chucri Sader sur les rapports entre juges et journalistes. Le juge Roukoz Rizk, président de la chambre à la Cour d’appel de Beyrouth (ayant compétence en matière des imprimés) et le juge Jad Maalouf, juge des référés de Beyrouth, ont décrit concrètement les moyens d’aboutir à l’équilibre entre l’information et la justice.


Le juge Rizk s’est attardé sur le principe directeur de la jurisprudence actuelle en matière d’imprimés : la liberté de la presse, que seule limite l’exigence essentielle de ne pas nuire à autrui par l’insulte et la diffamation. Le juge distingue ainsi entre l’information erronée et l’information mensongère (la mauvaise foi de l’auteur est présumée dans ce cas, jusqu’à preuve du contraire).
En outre, alors que la loi libanaise prévoit une cause d’exonération en cas de diffamation contre un fonctionnaire public, si le journaliste prouve la véracité de ses propos, le juge des imprimés étend la cause d’exonération à tous les cas de diffamation.

« L’obligation de diffamer »
Il lui est arrivé par exemple d’exonérer un journal ayant traité de voleur une personne privée, après que ce journal eut présenté les documents nécessaires prouvant le bien-fondé de cette accusation. C’est dans ce cadre que Nizar Saghiyeh, avocat et fondateur d’al-Moufakkira al-qanouniya (observatoire et centre de recherche juridique), a évoqué « l’obligation citoyenne de diffamer », une constante jurisprudentielle en France, qui trouve un écho dans une jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’homme, rappelée par Jean-Yves Dupeux, avocat français et spécialiste du droit de la presse : « Quand les propos diffamatoires satisfont un débat d’intérêt général, leur auteur en est exonéré. » Cet échange a paru répondre aux interrogations de l’ancien ministre du Travail Charbel Nahas, contre lequel le PDG de Spinneys a intenté une action pour diffamation, dont la première audience doit se tenir aujourd’hui. Affirmer « le devoir citoyen de dénonciation » devrait ainsi neutraliser « le dépérissement actuel du sentiment de pouvoir recourir à la justice au Liban », a-t-il affirmé.


Parallèlement aux liens entre la justice et les médias, l’accent a été mis sur le lien entre la fréquence de la diffamation et le niveau de tension politique et social. Il semblerait en outre que certains médias aient vocation à insulter, comme en attestent la nature particulièrement outrageante de certains propos que l’on retrouve dans certaines pages et jamais dans d’autres (« candidat du vide et du vomissement » ; « avocate de l’ultraprostitution » ; « esclave laid et adepte de toutes les formes de dépravation sexuelle »...). Face à cela, le tribunal des imprimés sanctionne le coupable par le versement d’une amende et s’abstient de prononcer la peine d’emprisonnement pourtant prévue par la loi. L’idée même de séquestrer un journaliste importune.

Subtile « entraide »
C’est que le journaliste, fort d’un pouvoir équivalent au pouvoir judiciaire, se doit de s’autoréguler. Le juge des référés de Beyrouth, Jad Maalouf, a d’ailleurs précisé que « les médias et la justice s’entraident et se surveillent ». D’une part, dans sa surveillance des médias, le juge des référés, qui intervient de manière préventive, devrait veiller à ne pas basculer dans la censure préalable. C’est pourquoi le jeune magistrat prend en compte deux critères pour se prononcer sur la demande de non-publication ou diffusion d’une production médiatique ou artistique : « La preuve d’un dommage imminent et presque certain et/ou d’un dommage irréparable qu’engendrerait la publication » seraient seuls susceptibles de justifier une action judiciaire préalable. D’autre part, dans sa surveillance de la justice, le journaliste se doit « d’être à la hauteur de son rôle de rechercher et de divulguer la vérité. Sa responsabilité est proportionnelle à l’impact de son action en société », a-t-il conclu.
Enfin, la question des nouveaux médias a été évoquée subsidiairement. L’exposé exhaustif de l’avocat Ghaleb Mahmassani incite à repenser constamment le respect de la vie privée, sa valeur et ses limites. Un équilibre guidé là aussi par une retenue volontaire dans les médias.

La justice et les médias partagent leur aspiration à la vérité, même si chaque domaine observe des principes de travail différents, voire contradictoires.
Comment concilier la liberté d’expression avec le secret de la procédure judiciaire d’une part, et les principes de fond sur lesquels se base le juge (le respect de la vie privée, de l’image et de la dignité humaine) d’autre...

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