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Moyen Orient et Monde

La Dame de fer libératrice

Yulia Timoshenko, Premier ministre d’Ukraine à deux reprises, est incarcérée depuis 2011 en tant que prisonnière politique.

La prison a toujours été un lieu de deuil. Mais peut-être le fait d’avoir appris la mort de Margaret Thatcher depuis ma cellule revêt-il aujourd’hui un certain sens, dans la mesure où cet événement m’amène à me remémorer la société carcérale qui caractérisa ma jeunesse, et que Margaret Thatcher fit tant pour libérer. Pour nombre d’entre nous qui avons grandi en Union soviétique et dans ses satellites d’Europe de l’Est, Margaret Thatcher restera éternellement une héroïne. Non seulement épousa-t-elle la cause de la liberté (particulièrement économique) en Grande-Bretagne et en Occident, mais, en qualifiant Mikhaïl Gorbatchev d’« homme avec qui on pouvait faire affaire » (à une époque où presque tous les chefs d’État démocratiques éprouvaient une profonde suspicion à l’égard de ses politiques de perestroïka et de glasnost), elle devint un catalyseur vital dans le déverrouillage de nos sociétés de goulag.
Chez tous ceux qui, au sein de l’ancien univers communiste, entendaient bâtir une société libérée du poids du totalitarisme, la « Dame de fer » devint en effet une icône de l’humanisme. Ses qualités de courage et de persévérance – « la Dame n’est pas du genre à faire marche arrière » – nous ont fourni l’exemple vivant d’un leadership qui ne fléchissait pas dans les moments de péril politique. Il est clair que je me suis inspirée de sa loyauté à l’égard de ses propres principes, ainsi que de sa détermination absolue à lutter, et lutter encore, lorsque la cause était juste.
L’une des grandes joies de mon existence en politique a été la chance qui m’a été donnée de savourer un déjeuner tranquille avec Margaret Thatcher à Londres, il y a quelques années, et de lui témoigner ma reconnaissance pour avoir embrassé notre droit à la liberté, et pris l’initiative diplomatique d’y contribuer. Au cours de mon mandat de Premier ministre, j’ai gardé à l’esprit l’une de ses formules : « Je ne suis pas une femme politique de consensus ; je suis une femme politique de conviction. » Son sens rigoureux du devoir en tant que responsable politique m’a toujours confortée face aux difficultés politiques, dans la mesure où notre responsabilité en tant que dirigeants ne consiste pas à rester au pouvoir, mais bien à utiliser ce pouvoir afin d’améliorer la vie des citoyens, et d’élargir le spectre de leurs libertés. Je n’étais qu’une jeune diplômée universitaire de 24 ans en début de carrière lorsque Thatcher exprima pour la première fois sa confiance dans le potentiel des réformes prodémocratiques de Gorbatchev. À l’époque, faible était mon espoir de mener une existence meilleure que celle de ma mère, et, plus décourageant encore, celui de pouvoir bâtir une vie meilleure pour ma petite fille.
La foi de Thatcher dans la cause de notre liberté fut pour moi véritablement électrisante. La célèbre écrivaine dissidente Nadejda Mandelstam avait décrit pour nous un futur dans lequel nous ne pourrions qu’« espérer contre les autres espérances » ; et voici que nous découvrions un leader qui entrevoyait pour nous un futur non pas de misère et de compromis moral, mais bien de liberté et d’opportunité. Je ne puis aujourd’hui encore réaliser comment elle parvint à poursuivre ce vain espoir de libération à une époque où nul ne pouvait l’imaginer, pas même Gorbatchev. Mais si Thatcher comprenait à ce point le concept de liberté, c’est bien sûr parce qu’il existait en elle jusque dans son propre sang. Pas du genre à faire marche arrière, elle n’était pas non plus de ceux à qui l’on donne des ordres ni de ceux qui auraient accepté le genre de vie étouffée que sa propre société semblait envisager pour elle. Dans une Grande-Bretagne où la classe sociale déterminait encore très largement la destinée des individus, cette fille d’épicier originaire du nord se traça une vois jusqu’à Oxford, et parvint à briller en tant qu’étudiante en chimie.
Elle osa par la suite faire son entrée dans l’univers exclusivement masculin de la politique. Lorsqu’elle devint la première femme à occuper le poste de Premier ministre britannique, elle éveilla les ambitions d’innombrables jeunes femmes autour du monde (y compris les miennes). Nous pûmes désormais rêver en grand, grâce à son exemple. En tant que femme, Margaret Thatcher apporta également quelque chose d’unique dans les coulisses du pouvoir. Comme elle l’exprima à l’occasion de sa prise de fonctions en 1979 : « Toute femme familière des difficultés inhérentes à la conduite d’un foyer comprendra davantage les difficultés attachées à la conduite d’un pays. » Ce bon sens qui consista à fusionner les valeurs familiales et la probité budgétaire fournit un exemple à tous les élus qui suivirent.
Je réalise bien évidemment combien nombre de personnes en Grande-Bretagne peuvent s’être senties abandonnées par la révolution économique et sociale entamée par Thatcher. Je pense cependant que l’objectif fondamental du thatchérisme, tel que je l’ai compris de loin, consistait à établir des conditions dans lesquelles chacun pourrait travailler dur pour réaliser ses rêves. Comme pour tous les autres démocrates d’Ukraine, c’est là ce à quoi j’aspire pour mon pays : une société d’opportunité, régie par le droit plutôt que par les népotistes et autres oligarques, qui évoluerait au sein d’une Europe ouverte.
Le bilan de cette femme parle de lui-même. Avant le mandat de Thatcher, la Grande-Bretagne était largement considérée comme la grande « malade de l’Europe » – affligée par des réglementations étouffantes, un chômage écrasant, des grèves constantes, ainsi que par des déficits budgétaires chroniques. Onze ans plus tard, lorsqu’elle quitta ses fonctions (après avoir occupé le poste de Premier ministre britannique pendant la plus longue période depuis le départ de lord Liverpool en 1827), la Grande-Bretagne brillait déjà parmi les économies les plus dynamiques d’Europe et du monde. C’est pourquoi nous sommes tous aujourd’hui en quelque sorte thatchéristes.

Traduit de l’anglais
par Martin Morel
©Project Syndicate, 2013.
La prison a toujours été un lieu de deuil. Mais peut-être le fait d’avoir appris la mort de Margaret Thatcher depuis ma cellule revêt-il aujourd’hui un certain sens, dans la mesure où cet événement m’amène à me remémorer la société carcérale qui caractérisa ma jeunesse, et que Margaret Thatcher fit tant pour libérer. Pour nombre d’entre nous qui avons grandi en Union...

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